Dans l'industrie du divertissement, il est souvent difficile de traduire avec exactitude les fluctuations du marc de café. Le sujet de la rentabilité des productions représente un objet d'étude complexe avec plusieurs variables à considérer : souvent, le grand public va d'abord regarder du côté du box office, qui représente en réalité une sorte de "chiffre d'affaire" pour les films qui sortent dans les salles de cinéma plutôt qu'un indicatif clair sur le bénéfice réel que le studio va effectivement récupérer une fois passée la ligne d'arrivée. De cette courbe, il faudra d'abord déduire le coût de production, puis les frais publicitaires. Et ensuite, la part réservée aux exploitants, aux salles de cinéma elles-mêmes, qui captent une partie de l'argent sur les billets vendus. Et puis, les taxes, et puis...
Deadpool & Wolverine : Golden Guns
Pour nous permettre de plonger un peu plus clairement dans la réalité économique des blockbusters modernes, chaque année, la rédaction de
Deadline liste les grands champions de l'industrie - ces films qui s'en seront le mieux tirés une fois que toutes les variables auront été considérées et que toutes les courbes de pertes et profits auront été alignées dans le bon sens. Or, récemment, cette rubrique s'est attardée
sur le cas de Deadpool & Wolverine, l'un des films les plus populaires de l'an dernier du point de vue des entrées en salle. Si l'on se fie aux chiffres présentés par
Deadline... celui-ci serait finalement parvenu à dégager un bénéfice net de 400 millions de dollars en tout et pour tout. Cette donnée comprend l'argent généré sur le cinéma, mais aussi sur les achats de copies physiques (DVD et blu-rays) ainsi que sur le dématérialisé, achats et locations en VOD, en n'oubliant pas le streaming proprement dit.
En observant ces chiffres dans le détail, on remarque tout de suite quelques éléments plutôt intéressants. D'abord, l'argent généré sur les entrées en salles (le box office, donc) représente 1,338 milliards de dollars. Mais dans les faits, une fois que tous les acteurs du circuit ont pris leur part de ce gâteau coquet (exploitants, distributeurs étrangers, taxes diverses), on découvre que Disney a finalement ramassé 620 millions de dollars de son côté. Soit moins de 50% de la somme globale, en tout et pour tout. Cette variable permet à elle-seule de comprendre à quel point la seule notion du box office ne permet pas de se faire un avis réel sur l'argent qui tombe réellement dans la poche des producteurs et des distributeurs sur le moindre film sorti.
Pour ce qui concerne le marché de la vidéo, entre la télévision, les copies physiques et le streaming, Deadpool & Wolverine s'en serait plutôt bien sorti, avec 360 millions de dollars engendrés pour cette seconde période d'activité. Au global, l'enveloppe pour le groupe Disney se situerait donc aux alentours de 980 millions de dollars. Et ensuite, la deuxième période des calculs de pertes et profits peut s'amorcer.
En effet : le projet a coûté 200 millions de dollars en budget de production et 160 millions de dollars en frais publicitaires. Soit 360 millions. Et sur les bénéfices, tout le monde prend sa part : les comédiens, les scénaristes et les diverses professions syndiquées qui profitent des arriérés de paiements standardisés dans les contrats proposés à Hollywood (50 millions de dollars), et le partage des bénéfices entre les partenaires qui ont mis la main à la pâte en échange d'un intéressement sur la courbe des profits (studios d'effets spéciaux, sociétés de co-production, actrices ou acteurs vedettes qui ont bien voulu participer en échange d'un pourcentage sur les entrées en salle, pour un résultat de 170 millions de dollars entre les intéressements et participations extérieures). Au total, cette partie représente 580 millions de dollars à déduire des 980 millions de bénéfices. Ce qui porte la somme finale à 400 millions tout rond pour le groupe Disney.
Et si vous vous demandez "dites donc, finalement, c'est pas beaucoup ?", mettons surtout que ce bilan économique se situe quelque part entre deux réalités. Du point de vue du public, le fantasme du fameux "milliard de dollars au box office" agité comme un triomphe aura trop souvent eu tendance à négliger ces différents points de médiation entre les producteurs à l'origine d'une œuvre et les différents acteurs du circuit du cinéma qui bénéficient de ce système, en captant une part de l'argent généré sur les entrées en salle. Et du point de vue des studios... de fait, un produit qui coûte 360 millions de dollars (entre la production et la campagne promotionnelle) aura d'abord besoin de se rembourser avant même de générer un premier dollar de bénéfice net.
Et lorsque l'on veut travailler avec des vedettes qui se présentent comme les patrons de leurs propres entreprises (à l'image de Ryan Reynolds), ce premier dollar va forcément devoir être morcelé entre producteurs et coproducteurs, par la voie des intéressements sur les entrées en salle et les ventes de copies physiques ou dématérialisées. Pour le dire plus simplement : oui, 400 millions de dollars, c'est beaucoup, une fois toutes les données remises dans le bon ordre. Si le film coûte cher, si les équipes ont bien négocié leurs contrats, si la campagne publicitaire a été plus importante que prévu (80% du budget de production, en l'occurrence), les grands studios s'attendent forcément à un résultat morcelé.
De ce point de vue, Deadline avance quelques données comparative : le film d'animation Spider-Man : Across the Spider-Verse aurait par exemple généré un bénéfice net de 328 millions de dollars pour le groupe Sony. En comparaison, cette somme peut paraître énorme pour un film qui a généré 690 millions de dollars au box office. Mais on doit sans doute considérer d'autres explications - sans doute que le projet a été articulé différemment du point de vue des intéressements et des participations extérieures, ou que celui-ci a suffisamment bien fonctionné sur les plateformes de streaming et les copies physiques. Dans la mesure où Sony n'a pas sa "propre" plateforme de VOD, il était sans doute plus facile de vendre les droits à plusieurs gros clients au coup par coup, comme Netflix ou Prime Video, en récupérant un peu d'argent à chaque fois sur les différents territoires d'activité de ces géants de l'industrie.
Deux autres chiffres pour servir de comparaison : chez Marvel Studios, Deadline assure que le troisième volet des Gardiens de la Galaxie aura permis de générer un bénéfice de 124 millions de dollars (contre 773 millions au box office). Et pour se référer aux chiffres de l'ancien monde, avant le COVID et l'explosion du marché du streaming, le premier Black Panther de Ryan Coogler avait dégagé un bénéfice de 476 millions de dollars (contre 1,35 milliards de dollars au box office).
En somme, on comprend globalement que la méthode Marvel Studios et les budgets validés pour le développement du moindre film de super-héros (avec les intermédiaires et les participations externes) impose mécaniquement au moindre film une sorte de minimale chiffrée. Ce qui n'est pas forcément bon signe pour des œuvres comme The Marvels ou Captain America : Brave New World. En définitive, plutôt que de rogner sur les accords de branche, les studios auraient peut-être intérêt à repenser leurs modèles (ou à produire pour moins cher des films qui intéressent moins de gens dans le présent... mais ceci est un autre débat).