Home Brèves News Reviews Previews Dossiers Podcasts Interviews WebTV chroniques
ConnexionInscription
Comics en France en 2023 : non, le marché n'est pas en péril

Comics en France en 2023 : non, le marché n'est pas en péril

chronique

"Les comics ne fonctionnent plus." Une forme de ritournelle entêtante que l'on entend circuler souvent, d'autant plus après qu'un média généraliste tel que BFM en ait fait l'un de ses sujets (pour un article de qualité au demeurant). Au cours de l'automne dernier, nous avions pu dresser un état des lieux du marché des comics qui nous poussait à contextualiser, sinon relativiser sans démentir cette affirmation, car le secteur comics en France a considérablement - et brutalement - changé au cours des dernières années. En cause notamment, la multiplication des collections de comics à petit prix qui, par leur positionnement tarifaire, et surtout par leur modalité de distribution, a rendu extrêmement compliqué la lecture de l'état du marché.

Comme à l'habitude en cette période de l'année, le FIBD, associé au panéliste GfK, a publié son bilan annuel sur le marché de la bande dessinée. Il est plus vital que de contextualiser les données brutes de cette étude. On y retrouve en effet quelques affirmations "choc" - où l'on parlerait de "seconde plus mauvaise année pour les comics de la décennie" et d'un "-37% de ventes en volume" - qui tendent à servir une vision catastrophiste du milieu. La contextualisation de ces données permet de relativiser ce qu'il en est réellement.

Quelle est la véritable santé du marché des comics ?

Nous remercions Xavier Guilbert pour sa relecture et ses conseils avisés.

Avant de se pencher sur la question du segment comics, il y a quelque données plus globales qu'il conviendra d'analyser, sinon de rappeler. Assez tôt dans l'année 2023, les signaux envoyés par les différents acteurs du marché ont indiqué une tendance à la baisse. Un phénomène en réalité normal compte tenu des augmentation des ventes phénoménales des années précédentes, parfois d'un score à deux chiffres (pour le manga, particulièrement), qui ne pouvaient en aucun cas continuer ainsi. 

Il est essentiel de rappeler que la période 2020-2023 a quelque chose de profondément anormal compte tenu des évènements extraordinaires qui ont touché le monde, et l'impact qu'ils ont eu sur le lectorat et les dynamiques du marché de la bande dessinée. En conséquence, c'est l'année 2019, précédent la crise du covid et l'embellie des années 2021/2022, qui est utilisée comme point de repère. Ainsi, en se référant à 2019, l'étude GfK pour le FIBD montre que les chiffres de ventes de 2023, malgré leur baisse, restent largement supérieurs (+55%) à ce qu'ils étaient dans "le monde d'avant." Pour Xavier Guilbert, "la bande dessinée est sortie [des confinements et du rattrapage qui a suivi] en ayant pris une autre dimension."


Autre donnée intéressante de l'étude, celle de l'évolution des prix. En conséquence de la crise des matières premières (2021/2022) et de l'inflation (2023), l'ensemble du secteur de la bande dessinée a dû revoir ses prix à la hausse. Le comics apparaîtrait comme le secteur le plus touché, avec une augmentation spectaculaire du prix moyen de 28%, menant à un prix moyen de 17,2€. Un prix certes plus élevé que le prix moyen du manga, mais en-dessous de celui du secteur "BD de genre". Cette donnée brute est en vérité un leurre, à cause d'une donnée très importante : les collections à petit prix

Nous avons déjà largement écrit dans nos colonnes sur ces collections, telles que les titres Carrefour à 2,99€, les opérations ponctuelles de Panini Comics (à 5,99€ puis 6,99€) et celles d'Urban Comics (à 4,90€). Nous avons également déjà expliqué qu'elles ont représenté un volume très important des ventes, notamment sur les années 2021 et 2022. En 2023, elles ont connu un coup d'arrêt important, identifié par plusieurs facteurs : 

  • Des collections chez Panini qui, dans l'ensemble, ont moins bien fonctionné que les premières. La proposition s'est sûrement essoufflée suite à un rythme de sortie soutenu, et des thématiques qui n'ont pas fédéré le même intérêt sur la durée. Mais aussi par la transition d'un format semi-cartonné au souple qui donnait un aspect moins séduisant à ces albums.
 
  • La réduction du nombre de titres par collection Panini, passant de 10 à 6 par collection. En conséquence, même si le même nombre de lecteurs était présent et achetait la même quantité qu'auparavant, les ventes auraient mathématiquement chuté de 40%.
 
  • L'arrêt des opérations petit prix d'Urban Comics au profit d'une collection Urban Nomad dont les tarifs oscillent de 5,90€ à 9,90€.
 
Puisque d'une part, le nombre d'albums proposés à 6,99€ chez Panini Comics a été réduit de 40% sur l'ensemble de ses opérations petit prix, et que d'autre part Urban Comics a fait passer un prix unique de 4,90€ à trois tarifs supérieurs, il est donc naturel que ces évolutions aient un impact significatif sur le prix moyen des comics. Cette variable est considérablement touchée par l'introduction puis la disparition de ces collections à petit prix. Dans la pratique, tous les comics n'ont pas vu leur prix augmenter de 28%. Mais la disparition d'un certain nombre de comics à bas prix explique cette hausse en apparence spectaculaire. En apparence seulement.
 
Ce qu'il faut surtout en retenir, et nous l'avions déjà démontré en septembre dernier, c'est que les fluctuations des ventes sur les collections à petit prix, au vu de leur importance sur l'ensemble du marché comics, peuvent complètement fausser la lecture que l'on peut avoir sur le marché au global.


D'autres tendances déjà identifiées dans nos colonnes sont également rappelées par l'étude GfK. D'une part, la tendance du marché à développer plus de formats "collector", même s'il faudrait savoir de quels critères on parle pour désigner ces collectors. Il y a évidemment les versions "collector" des mensuels Marvel Comics et X-Men, mais aussi les éditions variantes de certaines parutions chez Panini Comics, les couvertures variantes que peuvent faire Delcourt, les éditions limitées qu'on trouve dans des campagnes comme celles de Komics Initiative, ou encore les tirages limités que sont les Urban Limited. L'augmentation de 3% de ces formats n'apparaît pas comme quelque chose d'ahurissant, si ce n'est la confirmation que les amateurs de beaux objets ou d'éditions limitées sont tout aussi présent sur le comics qu'ailleurs. A ce titre on aimerait bien voir l'augmentation sur le secteur du manga, qui doit être bien plus importante. 

D'autre part, le format poche qui commence à prendre de l'ampleur. A l'été 2022, seule une vague Urban Nomad était lancée, et trois autres ont suivi en 2023, d'où la multiplication logique par trois du nombre d'albums à ce format. Il faudra s'attendre à ce que ce nombre augmente en 2024 avec les prochaines vagues d'Urban Comics et l'arrivée du format poche de Panini Comics dans la foulée (qui s'annonce malgré tout moins ambitieux en termes de vagues de titres).


Le fameux graphique de la répartition du marché de la bande dessinée entre les différents secteurs identifiés par GfK nous montrerait un comics toujours aussi peu présent, désormais à 3% du marché total de la BD. Depuis plusieurs années, nous cherchons à rappeler que ce chiffre masque la réalité de ce qui est réellement vendu en termes de comics sur notre territoire. La catégorie "comics" est en effet attribuée par l'éditeur et ne reflète donc pas nécessairement l'origine réelle d'un album de bande dessinée. 

A titre d'exemples, Jilian Tamaki (New York New York), Emil Ferris (Moi ce que j'aime c'est les monstres) ne sont pas classés en comics mais en "roman graphique", quand des licences mainstream (Garfield, Calvin & Hobbes) seront placées en "BD jeunesse". Tout ceci additionné fait que des milliers d'exemplaires de bande dessinée vendus se retrouvent en dehors de la partie "comics" de ce graphique, dont le poids devrait donc être bien plus important. Ce n'est pas quelque chose de nouveau, mais il faut le souligner.

Autrement dit, écrire que "le comics ne représente que 4% du marché de la BD" - et nous nous excusons d'avoir pu le faire auparavant malgré nos précisions dans nos articles - est une contre-vérité. Cela pose en revanche bien les enjeux du format et de l'identification de ce qu'est un "album de comics" et de sa mise en avant dans les rayons de librairie. Mais cette image d'outsider ou de pestiféré de la bande dessinée doit absolument cesser, notamment à l'heure où les deux prix les plus importants du FIBD (Fauve d'Or et Fauve de la série) ont été décernés, justement, à des comics.


On en vient à la partie la plus crispante de la présentation GfK. Lue telle qu'elle, il est affirmé que le secteur comics aurait enregistré la seconde "plus mauvaise année de la décennie" avec une chute des ventes en volume de 37% et en valeur de 19%. Ce qui en effet apparaît absolument catastrophique et serait en phase avec la lecture "les comics ne fonctionnent plus" telle que titrée sur BFM et dont nous avons pu nous même débattre dans ces colonnes ou dans les podcasts que l'on réalise avec First Print

Comprenez-bien que l'idée n'est pas de dire que cette vision catastrophiste est fausse mais de la nuancer en mettant en exergue l'importance qu'ont (encore) les collections à petit prix sur cette première lecture. Réglons donc une bonne fois pour toute la question de ces collections en identifiant leur importance dans la baisse des volumes de ventes.


On voit dans un premier temps que le poids des collections à petit prix sur l'ensemble du secteur comics a considérablement diminué, de 25%, soit un quart du marché total. Concrètement, de quoi parle-t-on par rapport à l'an passé ?

  • En 2022, elles représentaient 38% de ventes estimées à 3,7 Mio d'exemplaires vendus, soit 1,4 Mio à elles seules. 
 
  • En 2023, elles ne représentent plus que 13% de ventes estimées à 2,4 Mio d'exemplaires vendus, soit 0,312 Mio - ou pour le dire autrement, 312 000 ventes. 
 
  • Un simple calcul permet donc de calculer la diminution des ventes de ces collections à petit prix, qui est d'un exorbitant -77,8%. Une dynamique vers le bas colossale (dont les baisses de ventes en GSA, comme nous l'avions déjà expliqué à la rentrée 2023) dont l'impact se fait évidemment ressentir sur tout le marché.
 
Conclusion évidente : puisque les collections à petit prix se prennent, pour ainsi dire, une telle gamelle, c'est que la véritable santé des comics n'est peut-être pas aussi mauvaise qu'on le dit. Du moins, que ce "-37%" ne peut définitivement pas traduire la santé du secteur comics complet. 


L'étude de GfK note que les comics "hors opération petit prix" ont vu leurs ventes en volume diminuer de 11% - ce qui se traduit selon l'analyse de Xavier Guilbert, contacté par nos soins, d'une baisse en valeur de 10%. Bien entendu, une baisse n'est jamais source de réjouissance, mais quand on la met à côté des dynamiques des autres secteurs du marché de la bande dessinée, il n'y a en fait rien d'anormal. "L'évolution est en ligne avec celle du marché", explique Xavier Guilbert, "ce qui relativise pas mal la dynamique très à la baisse qui ressort au premier regard.

Dans son étude, Gfk explique en effet que les ventes de bande dessinée au global sont en baisse sur 2023 de 11% (14% si on enlève les mastodontes que sont Astérix et Gaston). Autrement dit, la baisse des ventes du marché comics n'est pas différente de ce que connaît l'ensemble du marché de la BD.

Il est donc plus important que jamais de ne pas céder à une lecture catastrophiste de ces chiffres, et le but de cet article n'a pas pour volonté de dire que "tout irait bien" ou qu'il faudrait se "satisfaire" de baisses de ventes de 10%. Oui, il y a une baisse de ces volumes, oui, les ventes à la semaine sont moins élevées (ce qu'il faudra aussi élucider, mais le fait est que le nombre de nouveauté a considérablement augmenté), et oui, on a vu des grandes enseignes réduire la taille des rayons comics au profit du manga - qui soit dit en passant, a vu ses ventes chuter de 40% cette année. Une opportunité à saisir pour les comics ? 

Les comics ne sont pas en péril. Nous l'avons écrit plus tôt : deux comics ont été couronnés au FIBD, le mois de janvier 2024 s'est montré très rapidement pourvu d'excellentes sorties, comme Au Dedans, It's Lonely at the Centre of the Earth, The Shaolin Cowboy Tome 4, L'Oeil d'Odinn, le milieu regorge de propositions variées et l'offre n'a sûrement jamais été autant diversifiée. Les problématiques actuelles, qui ne tiennent pas tant du prix des albums que de la mise en avant du comics dans les rayons des librairies et dans les médias non-spécialisés, sont bien présentes, mais devraient appeler à multiplier les moyens de présenter les comics. Qui représentent en France bien plus que les 4% auxquels on voudrait les cantonner. 

Source : Panel GfK / FIBD

Le Fauve © Lewis Trondheim / 9e art

Arno Kikoo
est sur twitter
à lire également
Commentaires (0)
Vous devez être connecté pour participer