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Fables : agacé par DC Comics, Bill Willingham décide de basculer la série et les personnages dans le domaine public (!)

Fables : agacé par DC Comics, Bill Willingham décide de basculer la série et les personnages dans le domaine public (!)

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Il y en a qui claquent la porte en partant, et puis, il y a les autres. Dans le cas de Bill Willingham, le scénariste ne s'est pas contenté de quitter DC Comics en suivant la routine classique de l'artiste en colère (à savoir, insulter la direction, promettre de ne jamais revenir, refuser les futures royalties, etc). Le créateur des comics Fables a opté pour une méthode plus radicale pour exprimer sa colère : quelques jours après s'être exprimé sur la situation du moment, en promettant de plus amples précisions d'ici les prochains jours, celui-ci n'a pas mis longtemps à revenir pour clarifier l'état des lieux. En résumé ? Bill Willingham s'est décidé à inscrire la propriété intellectuelle Fables dans le domaine public. Oui. Et ça, c'est punk.

Fables vs The Adversary

Sur le plan de la législation, cela signifie donc que les comics Fables ne sont plus susceptibles d'appartenir à une maison d'édition isolée - ni à un scénariste isolé. En somme, plus personne ne serait en mesure de détenir le monopole ou l'usufruit exclusif des comics Fables, qui n'est plus non plus protégé par les réglementations relatives aux droits des auteurs. Autrement dit, si une autre maison d'édition entend publier une nouvelle série Fables, par n'importe quelle équipe créative, ni DC Comics ni Bill Willingham ne seraient en mesure de l'en empêcher. Idem dans le cas de comics amateurs, de courts-métrages, de jeux vidéo... Un cas extrêmement rare pour une propriété intellectuelle aussi récente, et qui aura rencontré un tel succès au moment de sa diffusion aux Etats-Unis et à l'international. 
 
Sur le papier, cela signifie aussi que Bill Willingham ne devrait plus être en mesure de percevoir de royalties sur les ventes des anciens volumes de Fables. Une situation que le bonhomme aborde avec philosophie. Sans surprises, l'ensemble de la discorde part effectivement de l'évolution mécanique de la gestion interne de DC Comics sur ce genre de projets, depuis le départ de Karen Berger, la fermeture de Vertigo, la mise à pied de Dan DiDio, les vagues de licenciements de ces dernières années, la refonte de l'appareil productif - bref, le durcissement général de l'entreprise, menée par des impératifs financiers plus stricts. Voici ce qu'en a dit Bill Willingham, lors d'une entrevue commandée pour sa propre newsletter Substack (à retrouver en intégralité via le lien source).
 
"Lorsque j'ai signé mon premier contrat de creator owned avec DC Comics, la compagnie était alors gérée par des hommes et des femmes honnêtes, intègres, qui interprétaient (pour la majorité) les détails de cet accord sur le plan de l'équité et de la transparence. Lorsque les premiers problèmes ont fini par se dessiner à l'horizon - comme c'est toujours le cas - nous étions capables de les résoudre, comme des adultes raisonnables. Or, depuis, en l'espace de deux décennies, ces gens avec qui je travaillais ne sont plus là. Certains sont partis, d'autres ont été virés. Et ils ont été remplacés par une cohorte d'inconnus, qui n'ont pas la moindre once d'intégrité, et qui ont décidé d'interpréter chaque détail de notre contrat sous un angle qui favorise DC Comics, seulement DC Comics et les entreprises du groupe.

A une époque, la propriété intellectuelle Fables était entre de bonnes mains. Aujourd'hui, par l'effet d'attrition, ou parce que d'anciens employés ont fini par être remplacés, elle a fini par tomber entre les mauvaises griffes.

Or, puisque je ne peux pas me permettre d'attaquer DC en justice, pour les obliger à se montrer dignes des engagements et de l'accord que nous avions conclu à l'époque, et puisque même si j'étais en mesure de gagner ce procès, il me coûterait énormément d'argent et me prendrait plusieurs années de ma vie (j'ai 67 ans, je ne peux pas me permettre de gâcher le temps qui me reste), j'ai décidé d'opter pour une approche différente. Pour les combattre sur un autre terrain, inspiré par les tactiques de la guerre asymétrique. 

Le seul élément de mon contrat que les avocats de DC Comics ne peuvent pas contester, ou réinterpréter à leur avantage, c'est que je reste le seul propriétaire officiel de la marque Fables. Je peux la vendre, ou la donner à qui bon me semble. Et je choisis de la donner à tout le monde. Si je n'ai pas été en mesure d'empêcher Fables de tomber entre de mauvaises mains, alors peut-être que, de cette façon, je peux m'arranger pour que le titre tombe entre quelques bonnes mains prises dans la masse. Dans la mesure où je considère réellement qu'il existe plus de gens bien sur Terre que de gens mauvais, je considère cette décision comme une forme de victoire."

Le communiqué qui ouvre cette entrevue précise au passage que, lorsque ce genre d'opérations légales est mise en route, il n'est pas possible de revenir en arrière. Comprenez : si on imagine bien que DC Comics tentera d'agiter les parades d'avocats pour bloquer la mécanique, une fois que celle-ci aura été achevée, Fables sera officiellement passé dans le domaine public. Les éditeurs français pourront produire leur propre version, comme dans le cas de certaines nouvelles de Conan le Barbare. Evidemment, le monde de Fables lui-même repose sur des principes qui étaient, déjà, de l'ordre du domaine public - à savoir, les héros et héroïnes de contes de fée ou de folklores d'orient et d'occident. Des personnages qui n'ont jamais été la propriété exclusive de Bill Willingham ou de DC Comics.
 
 
Mais, dans le cas de Bigby Wolf, par exemple, cette lecture du grand méchant loup réinventé en détective, en général de l'armée des Fables, en héros immortel et bougon à la Wolverine, voire en prince consort de l'empire de Fabletown, voilà un héros à part et doté de son propre caractère qui pourrait intéresser certains autres scénaristes, dessinateurs, ou maisons d'édition à terme. Après tout, beaucoup de lecteurs avaient regretté que les enquêtes de Bigby, présenté au départ comme le "Columbo" de la mythologie locale, ne durent que le temps d'un album avant que la saga géopolitique des Fables et de l'Adversaire ne démarre sur le temps long. D'autres versants de ce riche univers seraient à développer, et il est même assez difficile de ne pas penser aux réinterprétations des personnages de Spirou & Fantasio lorsque l'on entend "Fables" et "domaine public" dans la même phrase, pour contempler la possibilité de vues d'artistes, de réinterprétations d'auteur, sur cette vaste mythologie.
 
Bill Willingham poursuit, en évoquant les problèmes de gestion de DC Comics.
 
"Trop de choses se sont passés pour dresser une liste exhaustive, mais voici tout de même quelques points importants : au fil des années, et de ma relation professionnelle avec l'éditeur, DC a toujours été en infraction de l'accord que nous avions signé au départ. Généralement, il s'agissait seulement de petites choses, comme oublier de me demander mon avis avant de choisir les dessinateurs de telle ou telle nouvelle histoire. Ou pour des couvertures, ou pour les formats de nouvelles collections, etc. Dans ce genre de cas, je leur passais un coup de fil, et j'entendais généralement 'désolé, on a encore oublié de t'en parler. Ca s'est perdu dans la liste des choses à faire.' Cette réplique, je l'ai entendue si souvent que j'ai fini par leur interdire de me la ressortir à nouveau. Souvent, ils étaient en retard pour les chèques de royalties, et les royalties en question étaient sous-évaluées, ce qui m'obligeait à devoir leur courir après pour avoir le reste de ce qu'ils me devaient.

Mais récemment, leur façon de faire est passé de simples petits problèmes désagréables à quelque chose de plus grave, ce qui a amorcé cette situation. D'abord, ils ont essayé de m'arracher mes droits sur Fables. Quand Mark Doyle et Dan DiDio m'ont approché au départ, avec l'idée de ressusciter Fables pour les vingt ans de la série (ces deux messieurs ont depuis été virés de chez DC), lors de la négociation du nouveau contrat, leurs avocats ont essayé de formuler une condition obligatoire qui voudrait que ces comics soient réalisés en work for hire (ndlr : dans ce genre de cas, l'éditeur ne verse qu'un salaire au scénariste, se considérant comme le propriétaire légal des personnages et de l'univers mis en jeu). Ce qui aurait eu pour effet de jeter la propriété intellectuelle dans les mains de DC, sans espoir de retour.

Et quand ils ont vu que je ne mordais pas à l'hameçon, leur excuse a été de dire 'désolé, nous n'avions pas lu votre contrat initial lorsque nous avons entamé ces négociations. Nous pensions que l'éditeur était le propriétaire de Fables depuis le début.'"

Là-dessus, Willingham détaille la façon dont DC Comics, s'estimant propriétaire ou co-propriétaire des comics Fables (selon la théorie du "creator shared"), ne l'aurait jamais consulté au moment de vendre les droits de la BD à différents studios de cinéma, chaînes de télévision ou sociétés du secteur vidéoludique, comme dans le cas de Telltale Games avec The Wolf Among Us
 
L'éditorial estimait apparemment que la propriété intellectuelle de Fables leur appartenait, et n'aurait donc pas cherché à verser le moindre centime à Bill Willingham, lors de ses différents contrats d'adaptation avec des sociétés tierces. Une nouvelle proprement ahurissante, compte tenu de la politique du groupe Warner Bros., connu pour rémunérer les auteurs dans le cas de films ou de séries basés sur des héros du catalogue DC Comics.
 
"Lorsqu'ils ont fini par capituler sur certains points à l'occasion des conversations suivantes, en promettant par téléphone de me payer l'argent qu'ils me devaient pour avoir vendu les droits de Fables à Telltale Games, par exemple, lorsque nous avons formé un nouvel accord, ils sont revenus sur leur promesse. A la place, ils m'ont proposé de me payer en tant que 'consultant', pour éviter d'établir un précédent juridique qui signifierait qu'ils me devaient légalement de l'argent sur la base de mon contrat. Ils m'ont aussi fait signer une clause de confidentialité qui m'imposait de ne pas donner mon avis (sauf si celui-ci était positif et enthousiaste) sur la collaboration avec Telltale.

Etc, etc. Il y a beaucoup d'autres choses, mais voilà les points qui ont eu le plus d'impact. A partir du moment où je me suis opposé à leurs différentes tentatives de former un nouvel accord qui les arrangerait eux, nous étions en conflit ouvert. Ils m'ont presque provoqué pour que je leur fasse un procès, afin que je fasse valoir mes droits, en sachant très bien que ce serait un processus très long et très coûteux. A la place, je me suis mis à rechercher une autre façon de m'en aller."

L'auteur explique que cette décision ne tombe pas du ciel. Pendant plusieurs années, Bill Willingham aurait proposé à DC Comics de former un contrat qui graverait dans le marbre son statut de propriétaire officiel de Fables, pour éviter de futurs conflits. Et malgré un enthousiasme de façade, malgré les discours des communicants et des avocats qui assuraient à chaque fois être prêts au dialogue, le bonhomme se retrouvera à chaque fois coincé avec les voracités d'un groupe qui cherchait depuis des années à le mettre à la porte, pour conserver l'usufruit exclusif de sa création. L'auteur a même alerté les équipes de chez DC Comics de ce qu'il s'apprêtait à faire, pour leur donner une dernière opportunité de se préparer, voire de communiquer sur la situation. Il n'en fut rien, et Willingham s'attend désormais à ce que l'enseigne fasse tout ce dont elle est capable pour bloquer (ou ralentir, a minima) la mécanique légale.
 
Une situation forcément choquante pour les admirateurs de l'ancien label Vertigo, un rouage essentiel du marché indépendant dont se seront inspirés beaucoup d'éditeurs modernes, gouverné par une Karen Berger fonctionnant en bonne intelligence avec ses créatifs. A l'inverse, cette nouvelle n'est en revanche pas une surprise dans la longue histoire des éditeurs de comics cherchant à subtiliser les propriétés intellectuelles aux auteurs. Ni pour les créateurs de Superman, ni pour les créateurs de Watchmen. On ne doute pas que d'autres témoignages du même genre finiront par tomber d'ici les années à venir, de la part d'autres anciens grands scénaristes ou dessinateurs de chez Vertigo, peut-être passés par le même processus de manipulation et de négation des droits officiels, au mépris de la loi et de la parole donnée.
 
 
Quant à tirer une conclusion à toute cette affaire, si Bill Willingham reste lucide sur sa propre situation, il vous invite, vous - oui, vous, là, derrière l'écran - à faire preuve d'imagination. La prochaine génération de comics Fables est à inventer, et puisque lui n'en est plus capable, encore prisonnier de son accord historique avec DC Comics, il vous invite à tenter votre chance. 
 
"Notez bien que mon contrat avec DC est toujours valable. Je n'ai rien fait pour en bafouer les règles, et je ne peux pas le faire annuler sans l'accord de la partie adverse. Ce qui signifie que je ne peux pas publier de nouveaux comics Fables sans leur accord. Que je ne peux pas autoriser un film Fables sans leur accord. Je ne peux pas non plus vendre les droits de Fables pour le merchandising sans eux. A l'inverse, ils sont aussi obligés de me payer si je produits de nouveaux comics pour eux. Ce sont les règles de notre contrat. Et je ne compte pas renoncer à l'argent qu'ils me doivent. D'une manière ou d'une autre, j'ai bien l'intention de récupérer les 50% des sommes qu'ils me doivent depuis des années pour le jeu Telltale et pour quelques autres choses.

Mais, à l'inverse, vous, qui êtes donc les nouveaux propriétaires de Fables à 100%, n'avez pas signé de contrat avec DC Comics. Moi, je suis bloqué avec eux, pour le meilleur ou pour le pire, dans un mariage malheureux qui durera peut-être jusqu'à ma mort.

Mais ce n'est pas votre cas.

Si j'interprète la loi correctement (et comprenez bien que la loi sur les copyrights est un joyeux chaos, créée à dessin pour être vague et boueuse, et aucun avocat - même celles et ceux qui sont spécialistes du sujet - n'arrivent à s'entendre sur quoi que ce soit), vous êtes désormais en mesure de faire votre propre film Fables, de faire votre dessin animé Fables, de publier des livres Fables, de produire vos propres jouets Fables, et de faire tout ce qui vous passe avec cette propriété. Puisqu'elle vous appartient, à vous, le public.

Mark Buckingham est lui-même tout à fait libre de faire sa propre version de Fables (et j'espère sincèrement que ce sera le cas en ce qui le concerne), Steve Leialoha est libre de faire sa propre version de Fables (j'adorerais lire ça), et ainsi de suite. Vous n'avez pas besoin de me demander ma permission. En revanche, vous aurez peut-être ma bénédiction, en fonction de vos projets. Vous n'avez pas non plus besoin de la permission de DC, ou de qui que ce soit d'autre. Parce que vous n'avez signé aucun contrat avec DC Comics."

En conclusion :
 
"Ca a été une joie de vous proposer ces histoires de Fables sur ces vingt dernières années. J'ai hâte de voir ce que vous en ferez, à présent."

Dorénavant, la parole est aux avocats de DC Comics, qui vont évidemment s'époumoner à sortir toutes les parades légales possibles pour aller contre la volonté de celui qui a créé l'univers et les personnages. La rédaction de BleedingCool s'interrogeait sur la capacité concrète de Bill Willingham à prendre seul cette décision au regard de la loi - et compte tenu de la façon dont le droit américain a été formé au départ sur cette question de la propriété intellectuelle, il n'est pas garanti que le créateur puisse s'en sortir sans, au moins, passer devant les tribunaux. Autrement, on imagine bien qu'Alan Moore aurait appuyé sur le même genre de bouton pour se débarrasser du problème Watchmen, ou des créations America's Best Comics, depuis longtemps. A voir, dans la mesure où chaque contrat a sa vérité.
 
L'affaire aura au moins le mérite de mettre quelques évidences sur la place publique. Notamment, sur le fait que l'industrie ne va pas nécessairement vers le mieux dans le cas des deux grandes maisons d'édition de super-héros, ouvertement engagées dans une campagne de substitution de la propriété intellectuelle et des royalties envers les anciens grands noms du label Vertigo. En somme, une raison de plus de se montrer extrêmement méfiant envers les contrats de work for hire proposés par les Big Two, à partir du moment où même les accords en creator owned ont tendance à être bafoués dès lors que la série commence à avoir un certain succès.
 
 
 
Corentin
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