Loin des cimes de la colline hollywoodienne, une autre capitale de la culture américaine s'intéresse (parfois) aux personnages de comics, pour développer ses propres adaptations. Le roman graphique Fun Home d'Alison Bechdel avait, par exemple, eu droit à une comédie musicale montée dans le mythique quartier de Broadway, New York, place forte du théâtre chanté aux Etats-Unis. Avec un certain succès, soit dit en passant. Et si les super-héros représentent un foyer moins évident d'histoires à transporter sur les planches ("à part dans Hawkeye"), du fait des difficultés techniques que peuvent représenter la démonstration de leurs pouvoirs, rien n'empêche les artistes de Broadway de lire, d'apprécier et de d'adapter d'autres genres de bandes-dessinées.
Voire même des monuments de l'art comics
La société Tiwary Entertainment Group (TEG+), à l'origine de la comédie musicale American Idiot de Green Day ou d'une adaptation chantée sur scène de La Famille Addams, a décidé d'investir dans le roman graphique A Contract With God (1978) du grand Will Eisner. Le patron de cette petite enseigne, Vivek J. Tiwary, lui-même auteur de comics à ses heures perdues (on lui doit notamment The Fifth Beatle : Brian Epstein Story avec Andrew Robinson et Kyle Baker), explique assouvir un caprice personnel. Grand fan du travail de Will Eisner en règle générale, et du volume A Contract With God en particulier, Tiwary reconnaît énormément de ses propres premières années de vie dans cette anthologie de destinées croisées dans un immeuble fauché de New York.
Le roman graphique de Will Eisner s'intéresse effectivement à différents personnages. La plupart d'entre eux résident à la même adresse, dans un bâtiment situé au 55 Dropsie Avenue. Leurs histoires forment le maillage d'un portrait parfois assez sombre de la vie urbaine dans les quartiers défavorisés, avec une présence assez importante de la foi hébraïque en toile de fond.
A commencer par la première histoire qui donne son titre à tout l'album : A Contract With God suit l'histoire d'un vieil homme qui, se pensant protégé des hasards de la vie par un contrat qu'il aurait passé avec Dieu Lui-même, perd la foi et renonce à la religion après la mort de sa fille adoptive. Fervent pratiquant du judaïsme, le héros tente de faire valoir un second contrat plus officiel rédigé par les rabbins de son quartier après avoir consacré la deuxième moitié de sa vie à investir dans l'immobilier en renonçant à ses valeurs de bien.
D'autres histoires suivent, plus loin : celle d'une romance abusive entre un chanteur des rues et une ancienne diva, d'un raciste accusé à tort de pédophilie, de petits segments au sein de la communauté du quartier, etc. Relativement sombre, l'album étudie quelques destins croisés dans une allégorie générale de la désillusion et de la violence anonyme, dans un projet en noir et blanc qui joue sur la mise en scène et l'espace pour insuffler une puissance souvent glaciale dans un environnement autrement plus réaliste.
Cette présence du judaïsme devrait avoir un rôle à jouer dans les compositions musicale prévues pour l'adaptation, selon Tiwary. e communiqué de presse précise que l'ensemble des morceaux exclusifs à la production seront réalisés par une équipe de musicien(ne)s juifs(ves), et que les premières sessions d'enregistrements devraient démarrer d'ici peu de temps. La production embarquera aussi différents morceaux originaux, écrits et assemblés par Sam Hollander (auteur des chansons "Save Me San Fransisco" de Train, "Daylight" de Kelly Rowland et de nombreuses collaborations avec Panic! at the Disco), Lisa Loeb (une musicienne professionnelle de folk, rock et pop), Matisyahu (spécialiste de la fusion de thèmes religieux et hassidiques dans différents genres musicaux, le reggae en particulier), Ryan Miller (guitariste et auteur du morceau "Your Hand I Will Nevet Let Go" de Stevie Nicks) et Jill Sobule (guitariste et autrice des morceaux "I Kissed a Girl" et "Supermodel" pour le film Clueless).
Hollander se chargera de diriger l'équipe, avec une expérience de producteur musical sur différentes séries télévisées (Smash et Ordinary Joe pour la chaîne NBC). Visiblement, un projet assez ambitieux à l'échelle de l'industrie des comédies musicales.
En comics, A Contract With God, considéré comme l'un des chefs d'oeuvre définitifs de la carrière de Will Eisner, est aussi l'un des albums fondateurs du répertoire des "romans graphiques", cité tel quel dès la couverture. Le titre avait été commercialisé dans les librairies à une époque où le marché des comics se contentait majoritairement des boutiques spécialisées et des kiosques de presse, un chef d'oeuvre doublé d'un pionnier qui n'avait jamais été adapté jusqu'alors malgré son aura en dehors du cercle fermé des fans de bandes-dessinées aux Etats-Unis. A voir ce que donnera cette version chantée (et on imagine, actualisée) des différentes intrigues.
En France, A Contract With God est édité chez Delcourt sous le titre "Un Pacte avec Dieu".
