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Nemesis le Sorcier : je suis tout cela, et bien plus encore

Nemesis le Sorcier : je suis tout cela, et bien plus encore

ReviewIndé
On a aimé• Les scénarios acérés de Pat Mills
• Des dessins irréprochables et un Kevin O'Neill qui touche au divin
• Le travail éditorial exceptionnel de Delirium
• Les bonus à la fin du tome 2
On a moins aimé• Le propos politique manque parfois un poil de subtilité
Notre note

Article rédigé par Jaime Bonkowski

Au croisement du space-opera, du fantastique et de l’ésotérique, Nemesis le Sorcier offre un formidable concentré de ce que fût « l’esprit 2000 AD » au sommet de son art : impertinent, violent, politique. Et Delirium sort en ce début d’année le second tome d’une intégrale dédiée aux aventures du sorcier alien. Bilan.

Rares sont les périodiques qui ont eu sur le monde de la bande dessinée une empreinte aussi forte que 2000AD. Titre britannique légendaire, entre ses pages se sont succédés certains des plus grands auteurs du siècle : Pat Mills, Kevin O’Neill, Alan Moore, John Wagner, Warren Ellis, Garth Ennisand the list goes on and on...  Parmi les innombrables séries désormais cultes qui y sont nées (Judge Dredd, Slaine, Marshal Law...), Nemesis le Sorcier n’est pas la plus connue mais est indéniablement une des plus sous-cotées. Créée par Pat Mills et Kevin O’Neill, le titre nous narre les aventures complètement barrées de Nemesis, un sorcier extraterrestre à tête de dragon luttant sur une Terre apocalyptique contre un culte religieux fanatique et son leader.

Longue vie à l’empereur et mort aux aliens

Dans un futur éloigné, la Terre est dirigée d’une main de fer par un culte religio-dictatorial avec à sa tête le Suprême Techno-Leader Torquemada. Un seul mot d’ordre régit la planète : un bon alien est un alien mort. Et quiconque s'oppose à cette philosophie ou au régime en place n’est bon qu’à brûler dans les flammes du bûcher purificateur... Mais certains extraterrestres sont plus durs à abattre que d’autres : c’est le cas de Nemesis dont les pouvoirs lui permettent de tenir tête à Torquemada et ses armées de Terminators. La lutte s’annonce sanglante, et gare aux dommages collatéraux...

À l’instar d’un Marshal Law ou d’un Judge Dredd et dans la droite continuité de la ligne éditoriale si caractéristique de 2000AD, Nemesis le Sorcier nous plonge dans un monde futuriste ultra-autoritaire entre 1984 et Metropolis. Méga-structures, vaisseaux spatiaux, flingues lasers, exosquelettes de combat : on retrouve pêle-mêle tous les éléments les plus caractéristiques de la SF façon 2000 AD. L’univers est dense et surchargé, et chaque planche, chaque case, déborde de clins-d’œils, du discret stickers avec un slogan aliénant à l’affiche de propagande.


Kevin O’Neill, Bryan Talbot, Jesus Redondo et John Hicklenton se relaient au dessin dans les chapitres de ces deux intégrales, et on est clairement face à du très très grand art. Le trait en noir et blanc est millimétré, chirurgical, pour faire tenir dans chaque case le milliard d’idées qui traversent les dessinateurs. Le style est très caractéristique du périodique et a indéniablement vieilli : il ne plaira peut-être pas à tout le monde mais les amateurs s’en régaleront. Et au-delà de l’appréciation subjective du style, on ne peut que reconnaître l’immense talent des dessinateurs. Particulièrement (mais pas uniquement) de Kevin O’Neill, le dessinateur principal, qui se surpasse à tous les instants, notamment avec ses innovation en matière de narration. Exit le traditionnel gaufrier du 9e Art, il se passe parfois carrément de cases pour laisser ses personnages naviguer dans la page au gré de leurs mouvements. Mais l’action reste presque miraculeusement lisible et claire. Du grand art on vous dit.

Une esthétique aux petits oignons

Les charas-designs sont également à souligner. Sortes de parodies de curés et de prêtres du futur, Torquemada et ses sbires sont parés de milles armures et costumes plus délirants les uns que les autres. Et à ce petit jeu, c’est Bryan Talbot qui s’impose comme le plus remarquable. Sous ses crayons les personnages deviennent à la fois des hommages aux designs classiques de la SF bien old school (les robots à tête carrée, les scaphandres reluisant etc) et des trésors d’inventivité sans pareil. Et que dire du personnage principal Nemesis : tout droit sorti d’un cauchemar de Cronenberg, il évoque autant un Superman qu’un Baphomet.

La patte graphique instaurée par ces dessinateurs colore donc Nemesis le Sorcier d’une teinte toute particulière au sein même des séries 2000AD. Science-fiction un peu plus « space-opera » que Judge Dredd, un peu moins violente que Marshal Law, un peu plus mystique que Slaine, les auteurs se lâchent et développent un univers aussi riche qu’original.


Et une petite anecdote sympa : l'univers de Warhammer 40 000 est pas mal inspiré de la série, notamment pour l'armée des Space Marines. Les plus attentifs d'entre vous ne manqueront pas de remarquer les nombreuses similarité entre les deux univers : les troupes de chocs des Space Marines s'appellent aussi les Terminators, leurs armures ressemblent beaucoup à celles de la série, le chef de l'Imperium (empire des hommes dans le monde de Warhammer 40 000) est lui aussi un leader religieux ultra-autoritaire et quasi divin, et le design même de Nemesis n'est pas sans rappeler quelques démons de Tzeentch. Fin de la parenthèse.

Pat Mills VS Big Brother

C’est récurrent, quasi-systématique : Pat Mills, à travers ses œuvres, tourne allègrement en ridicule le totalitarisme et le fanatisme religieux. C’est surtout ce second thème qui prévaut dans Nemesis le Sorcier : sorte d’Inquisition ultra-violente, l’armée de Torquemada mène une croisade contre les aliens autant pour s’en protéger que pour plonger la population dans un climat de peur favorable à une dictature sans pitié. Comme un grain de sable dans la machine, Nemesis apparaît comme un trublion anarchique avant tout désireux de foutre le bordel et d’emmerder le monde. Pas de héros aux nobles idéaux, pas de Bien contre le Mal, le manichéisme ennuie Pat Mills qui préfère toujours mettre en scène des personnages bourrés d’aspérités et d’ambiguïtés.

Comme souvent chez lui, ce ne sont pas tant ses personnages qui priment que l’univers dans lequel ils évoluent. Jouant sur des thématiques aussi variées que le voyage dans le temps, le mysticisme ou la mythologie, les aventures des héros sont pour l’auteur des prétextes pour décrire et repousser les frontière de son monde et instiller un propos politique acide. On y distingue une virulente critique du Thatcherisme, de la société de consommation, du totalitarisme en général et des religions, parfois pas très subtile mais toujours pertinente.

Du reste, les aventure de Nemesis sont absolument jubilatoires et traduisent l’exceptionnelle créativité de l’artiste. Jamais redondant, jamais ennuyant : une fois la première page tournée on est happé dans le tourbillon ébouriffant de la série et on en ressort avec des envies de conquête spatiale et de révolution.


Et c’est pas fini...

En plus de rassembler les « hérésies complètes » du sorcier, Delirium a mis la main sur de vrais trésors pour clore le second tome de l’intégrale : des histoires bonus sous la forme de romans-photos complètement hallucinés, et surtout des BDs dont vous êtes le héros qui mettent le lecteur dans la peau de Nemesis ou de Torquemada, publiées dans le magazine Diceman dans les années 80. Avec enfin les habituelles galeries de couvertures d’époques et d’illustrations en couleur, on est choyé.

Ces bonus tiennent du patrimoine et attestent, une fois de plus, de l’exceptionnel sérieux de Delirium dans son travail de réédition. L’éditeur n’en finit pas de nous offrir de somptueuses intégrales aussi précieuses de fond que de forme. La traduction signée Philippe Touboul est irréprochable, l’impression est on ne peut plus soignée, la couverture est magnifique : rien à redire sur l’écrin, comme d’habitude chez Delirium.

Monument trop méconnu en France du comics britannique indé, Nemesis le Sorcier est un incontournable qui régalera les amateurs du genre. Les deux volumes de l’intégrale proposés par Delirium valent sans aucun doute leur pesant de cacahuètes, et on ne peut que remercier l’éditeur pour son formidable travail d’exhumation des plus grands titres de l’histoire de la bande dessinée indépendante. En un mot comme en mille : foncez en librairie, vous ne le regretterez pas.

- Vous pouvez commander Nemesis le Sorcier à ce lien

La Redac
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