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Sara : Journal de guerre glacial d'une sniper russe par Garth Ennis et Steve Epting

Sara : Journal de guerre glacial d'une sniper russe par Garth Ennis et Steve Epting

ReviewPanini
On a aimé• Magnifique promenade dans les forêts de Russie
• Hommage rendu aux snipers russes
• Sara, l'héroïne
• Un propos politique particulier
On a moins aimé• Pas recommandé aux amateurs du Garth Ennis de l'humour
Notre note

Dans la bibliographie du scénariste Garth Ennis, la guerre opère comme une variable constante. Qu'il s'agisse d'insérer un élément connexe au thème paramilitaire dans une oeuvre aspirant à d'autres visées (au hasard, le toutou soldat dans Rover Red Charlie ou la parabole entre super-héros et complexe militaro-industriel dans The Boys) ou bien de frapper fort sur un conflit réel, la guerre sera, encore et toujours, un point de départ évident. L'auteur s'est même fait une spécialité de ce genre d'assimilations, en poussant le Punisher ou Nick Fury vers des postures d'hommes-soldats plus affirmées, pour évoquer la réalité martiale des Etats-Unis dans la ligne Marvel MAX

Ennis est aussi très connu pour ses séries militaires proprement dites, qui se passent de l'apparat des super-héros ou de ses manies de sale gosse amateur de choses grasses pour piocher ici ou là dans l'étude des grandes batailles et des corps armés. Au moment où la jeune société d'édition TKO Studios se lançait sur le marché, le bonhomme s'insérait dans la brèche pour placer un autre de ces projets dédiés aux porteurs de fusils. En l'occurrence, Sara, conçue avec Steve Epting, était l'un des tous premiers titres annoncés par cette enseigne neuve, ravie de pouvoir brocarder le nom de Garth Ennis dans son catalogue de lancement. 

Panini Comics a depuis récupéré quelques uns des titres de TKO, parmi lesquels Sentient et Sara, pour caler un creux dans l'appétit vorace des amateurs de cet amoureux des armées, très apprécié de notre côté de l'Atlantique. Le titre évite la plupart des écueils communs aux BDs de Garth Ennis sur la soldatesque, connus pour assommer le lecteur de détails superflus sur les modèles de fusils ou les stratégies de déploiement, pour proposer un ensemble complet, sans aspérités, presque sans aucune faute de rythme ou de goût, et avec un dessinateur plus adroit de ses crayons que les collaborateurs habituels du scénariste. Pour Sara, un Jacen Burrows n'aurait sans doute pas eu la même force de frappe.
 

 
L'intrigue suit un bataillon de snipers (snipeuses) russes pendant la Seconde Guerre Mondiale, au moment de l'invasion de l'Union Soviétique par les forces du Troisième Reich. Cette partie décisive du conflit, qui finira par mener l'Armée Rouge jusqu'aux portes de Berlin avant les Etats-Unis, entrera dans l'histoire pour sa brutalité (30 millions de morts parmi les victimes du front Est) et son impressionnant retournement de situation : après une solide percée et la prise de plusieurs grandes villes, les Nazis furent finalement repoussés par les Russes à l'hiver 1941. En l'occurrence, Garth Ennis slalome entre ces détails historiques pour mieux s'intéresser à un sujet précis : à l'inverse d'autres nations empêtrées dans le conflit, l'U.R.S.S. fit le choix d'autoriser les femmes à participer au combat dans les corps armés des snipers. Deux mille cinq cent recrues furent formées au tir et envoyées à la guerre, dont certaines obtinrent un statut d'icône populaire pour la propagande soviétique. Sara s'inspire directement de certaines d'entre elles, parmi les plus populaires, Lyudmila Pavlichenko et ses trois cent "tirs réussis".
 
Au terme d'une année de conflit, Sara mène sa propre croisade vengeresse contre l'armée nazie. Exceptionnelle pour sa précision et sa bonne compréhension des arcanes guerrières, le personnage représente un alpha très habituel dans la bibliographie de Garth Ennis avec l'imagerie du fameux soldat parfait : douée d'un instinct exceptionnel, taiseuse, froide, sans remords et capable de faire corps avec le terrain, l'héroïne évoque le Frank Castle de Punisher : The Platoon ou d'autres figures de guerriers nés dans de plus anciens travaux du géant. Sara incarne le modèle d'héroïsme désabusé sur lequel Ennis se repose généralement. Des combattants très doués, mais aussi coupés d'une humanité plus normale, faits pour la guerre et piégés sur un champ de bataille permanent. Généralement, ceux-ci ne sont pas dupes des crasses de leur hiérarchie de planqués, ni de la propagande politique qu'on agite autour d'eux. Pour ce roman graphique, l'auteur interroge évidemment le cas particulier de l'Union Soviétique, dictature en guerre contre une autre dictature aux motifs similaires, et le paradoxe de vouloir défendre une patrie aux mains d'un autre genre de salauds. 
 
L'histoire se présente comme une série de scénettes dans les forêts glaciales d'une Russie en pleine invasion. Les femmes snipers mènent différents types de missions d'assassinat ou de suppressions de troupes ennemies, avec de superbes batailles et une ambiance pesante rendue avec talent par les crayonnés de Steve Epting et les couleurs d'Elizabeth Breitweiser, qui saisit immédiatement l'apport graphique de la neige et du froid dans la mise en scène de la violence. Des forêts immaculées qui respirent le danger, où l'on entendrait presque crisser les bottes de soldat et les détonations lointaines du fusil de l'héroïne avant que la balle ne traverse la cible. 
 
 
 
L'artistique est lourd de sens, chargé de sous-entendus sur la vérité de terrain dans le cadre d'une guerre usante en forme de gigantesque partie de cache-cache. Parfois, les morts sont à peine visibles, vus de si loin, et à d'autres moments les éclaboussures jaillissent à une vitesse folle et sans une once d'humanité. Les morts s'empilent, l'atmosphère grise et glaciale écrase le destin de certaines de ces jeunes femmes aux profils variés. Pour tenir l'exercice, Garth Ennis se coupe de son second degré habituel : le destin de ces héroïnes est présenté avec sérieux et noblesse, sous la forme d'une écriture qui trahit son profond respect pour ces pionnières des champs de bataille largement en avance sur la réalité sociale des femmes de leur temps. Pour les quelques uns qui auraient découvert le travail scénariste par des travaux comme The Boys ou Rover Red Charlie, le comparatif risque bien de surprendre. Sara évoque davantage un cinéma guerrier sans pathos fataliste ni bataillons de grands copains avec un portrait de fiancée floqué en médaillon. L'héroïne est une arme fonctionnelle dans un conflit qui n'a rien de marrant, ni grand chose de très héroïque à proprement parler.
 
Sara a aussi l'avantage d'être l'une des rares héroïnes de Garth Ennis à être traitée avec ce degré de respect : taillée sur le modèle du Frank Castle de Platoon et Fury Max, le portrait de cette combattante, qui paraît avoir mieux saisi le fonctionnement d'une guerre que ses homologues masculins, est aussi un exercice de style intéressant pour ce scénariste de la virilité à l'ancienne. Sur beaucoup de ses anciens travaux, l'auteur s'était borné à suivre un modèle inspiré par le fameux trope américain du "strong silent guy" à la John Wayne ou Gary Cooper, plus froid ou ludique sur le Punisher en fonction des situations, plus cowboy sur Preacher et plus alcoolique ou désabusé sur Fury. Sara amasse quelques uns des traits de ces différents personnages en permettant aussi au scénariste de poser un différentiel vis-à-vis de l'image de la femme dans l'armée - consciente de son rôle symbolique lorsqu'elle botte les fesses de soldats masculins chez les Nazis, de son rapport particulier à la hiérarchie, voire même de son stéréotype genré lors de son combat contre un sniper ennemi. 
 
Au cours d'un duel ardu avec ce tireur très douée, l'héroïne va jouer sur le regard viriliste de l'ennemi pour prendre le dessus. L'axe de réflexion reste bref, mais assez intéressant pour l'auteur Garth Ennis. Le bonhomme a eu plusieurs fois l'occasion de se mettre à dos un lectorat plus féminin lors de quelques titres plus provocateurs (The Pro avec Amanda Conner, au hasard), mais son regard sur la question féministe semble s'être affuté avec le temps. Récemment, dans Punisher Soviet, il présentait une fois encore une femme plus intelligente que ses équivalents masculins et douée d'une meilleur instinct de survie, dans le cadre d'une critique assez générale sur les "épouses trophées" arborées avec fierté par les milliardaires et les truands de haut vol. Notons tout de même que le roman graphique Sara ne se veut pas pamphlétaire sur ce sujet particulier, mais pour ces snipers qui représentaient l'une des rares factions de soldates à l'époque d'un conflit à grande échelle dans l'Histoire, et dans la bibliographie d'un bonhomme plus habitué aux héros masculins, le boulot reste très intéressant. L'auteur s'applique, et livre une réflexion assez puissante en filigrane de ses scènes de combat.
 
 
 
Plus généralement, Sara est un excellent comics martial. Dans la catégorie fermée de ce genre de niche, raisonnablement moins prisé par le lectorat européen, Garth Ennis, Steve Epting et Elizabeth Breitweiser ne font presque aucune erreur le long de cette aventure chapitrée. De magnifiques planches aux ambiances travaillées, aux combats impressionnants, des héroïnes avec des physiques et des personnalités bien identifiées, le paradoxe idéologique de l'U.R.S.S. contre l'Allemagne nazie et les purges conduites par Joseph Staline sur son propre peuple, l'ensemble est impeccablement documenté et rend un hommage historique à ces différentes soldates du réel qui auront participé à défendre leur pays contre un envahisseur carnassier. Sara reste cependant une bande-dessinée du genre guerrier sans le moindre compromis, il est donc possible qu'elle ne plaise qu'aux amateurs de ce registre particulier de fiction. Pour les gros mangeurs de Garth Ennis et les amoureux du trait de Steve Epting, il est en revanche difficile de nommer de réels défauts dans l'exécution.

Corentin
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