Un nouveau mois de lectures estivales se profile. L'édition VF se remet doucement en marche avec de nouvelles sorties, alors que les éditeurs VO travaillent toujours d'arrache-pied pour maintenir l'industrie en place. Face à cette profusion constante de nouveautés comics, la Checklist reste fidèle au poste, avec un nouveau run dont les lecteurs par ici sauront, on l'espère, apprécier la longévité. Du mainstream le plus grandiloquent à l'indé' plus confidentiel, on vous emmène au coeur des lectures qui font l'actualité ou qui, à notre humble avis, méritent votre attention.
Bien entendu, nous ne saurions avec Corentin (qui co-écrit la rubrique, l'aviez vous remarqué ?) être calés sur 100% des sorties comics, aussi si votre petit dada est également de sortie cette semaine mais absent de la Checklist, on ne saura que vous conseiller de faire un petit addendum dans les commentaires. En vous souhaitant, dans tous les cas, de biens bonnes lectures, quelles qu'elles soient !
La nouvelle série de Robert Kirkman, illustre auteur de The Walking Dead, Invincible, Outcast ou Oblivion Song, est enfin là. Les astucieux plans de publication du scénariste ont hélas en partie été eventrés par la crise du coronavirus, mais qu'importe, l'idée générale reste bonne. Un premier album (TPB) en guise de prologue nous permettait de faire les présentations du personnage, de la mythologie environnante de cet art permettant de former des boules de feu (ce qui amuse toujours l'ami Corentin), et Fire Power #1 est désormais là pour lancer son intrigue principale. Quinze ans ont passé, Owen a décidé d'oublier ses frasques en Asie et tente de vivre une vie de famille somme toute normale... avant que son passé ne vienne évidemment le rattraper. Pour le moment, Fire Power ne cherche pas à réinventer la roue, et donne dans une longue exposition avec ce premier numéro. Une lecture agréable, qui place Owen en père de famille dans lequel Kirkman se replace, en prises aux thématiques modernes sur le rôle paternel dans une société qui se refuse de plus en plus au patriarcat. De nombreux rappels au Prelude sont évidemment présents, et les choses commencent doucement à se complexifier, à base de non dits et de trahisons. Une entrée en matière qui jouit du travail régulier de Chris Samnee, à l'aise avec les scènes du quotidien, et un trait qui donne des expressions réalistes aux personnages, malgré un trait très éloigné du photoréalisme. Pour ceux qui souhaitent un peu plus d'action, ça tombe bien : Fire Power #2 est de sortie aussi cette semaine, avec une longue séquence où l'artiste peut se laisser aux joies de la mise en scène et du découpage pour un très joli affrontement. En somme, le diptyque fonctionne, et on a hâte de voir la direction du 3e numéro à la rentrée prochaine.
Après deux numéros qui donnaient déjà le ton, le premier one-shot en spin-off direct de Dark Nights : Death Metal nous arrive, ouvrant le bal d'une quantité de plus en plus croissantes de numéros. L'idée ici est de présenter de nouvelles histoires sur d'autres itérations maléfiques du Chevalier Noir, pensée comme une anthologie sous forme réduite des sept one-shots que l'on avait eu pour Metal premier du nom. L'histoire principale revient sur l'origine de ce qu'on appellera désormais le Darkest Knight et de ses plans plus grands que nature - un récit qui fera hurler, encore une fois, les amoureux d'un certain Watchmen et de ce qu'avait voulu faire Johns il y a un moment. Passé cet énième outrage (enfin, après, vous avez aussi le droit de kiffer, faut reconnaître qu'il y a une constance dans le délire), les histoires plus ou moins longues d'après sont assez amusantes, parfois originales, et surtout permettent de retrouver des artistes formidables le temps de quelques planches, dans des univers parfois particulièrement sombres. Riley Rossmo, qui brillait déjà sur son histoire du Batman Who Laughs, revient à une ambiance vraiment hardcore sur le Robin King (qui gagne de suite en charisme avec ce dessinateur). On se plaît à retrouver, même pour de courts instants, les brillants Daniel Warren Johnson, Francesco Francavilla (pour une tonalité qui fleure l'horrifique façon sorcellerie noire, on aime) ou Joëlle Jones, dans un two-pager de Garth Ennis particulièrement désopilant. Si bien est qu'au final, on se prend à espérer que les futurs tie-ins puissent, en fait, se révéler assez plaisants à la lecture.
Techniquement, ce n'est pas une fin, même si ça y ressemble beaucoup. La série Sex Criminals de Matt Fraction et Chip Zdarsky est en train de prendre fin, après avoir longtemps représenté le fleuron des titres Image Comics. Cette dernière ligne droite est aussi bizarre que d'habitude, mais peut-être un peu moins drôle : au crépuscule de son aventure avec Jon, Suzie vit son moment Premier Contact (ou son moment Interstellar, c'est selon) en opérant un grand bilan rétrospectif de sa vie à travers le spectre métaphorique du Grand Calme. Le parcours de l'héroïne s'achève sans dialogues, avec une voix intérieure et une fin apaisée, en reflet de la relation entre Fraction et son épouse, Kelly Sue DeConnick, inspirations manifestes de cette curieuse saga érotico-militante, fascinante et originale dans le paysage de la bande-dessinée aux Etats-Unis. Reste encore l'épilogue proprement dit, pour voir comment le scénariste a évolué depuis les premiers numéros de la série.
En cherchant bien, et en faisant abstraction de son travail pour Marvel, il doit certainement être possible de trouver un truc nul écrit par Jason Aaron. Certainement. Mais là, tout de suite, on vous avoue, rien ne nous vient. Avec la seconde série The Goddamned, le bonhomme poursuit sa réinvention barbaresque de l'ancien testament, mélangé avec l'esprit des nouvelles de Robert E. Howard. Une sorte de Criminal biblique : différentes histoires, un environnement commun, un esprit d'anthologie ultra-violente et superbement exécuté. Sharri et Jael s'échappent de leur couvent et sont traquées par une armée d'amazones vengeresses, avec le propos habituel sur le fanatisme clanique des religieux dans ce proto-monde brutal et merveilleusement illustré. Loin d'être atteint par les affres de la longévité artistique, R.M. Guéra se bonifie avec les années, de plus en plus proche d'un style de bande-dessinée franco-belges pour adultes, chaque fois plus précis, dynamique et travaillé. Les superbes couleurs de Giulia Brusco rendent un aspect de jungle paradisiaque et ensoleillée à cet enfer terrestre où la mort et la violence sont omniprésents. Pour peu qu'Aaron suive le projet sur d'autres mini-séries, The Goddamned risque bien de s'imposer comme l'un des indispensables de sa bibliographie aux côtés de Scalped et Southern Bastards, en développant un peu plus loin son propos général sur la bestialité du genre humain. En résumé : ça tue, et c'est même tout le principe.
Dans la catégorie des origines définitives, Frank Miller et un excellent John Romita Jr. des débuts seront rentrés dans l'histoire il y a un long moment pour avoir raconté différemment les premiers pas du jeune Matt Murdock, survivant d'un accident qui lui aura ôté la vue, mais amplifié le reste des sens. La version de L'Homme Sans Peur rééditée par Panini Comics dans la liste des Must Have (au prix "accessible") servira de main tendue aux curieux comme aux amateurs de DD et Miller passés à côté de ce classique, équivalent brutal et adulescent d'un Year One, plus expéditif, plus accidenté. Dans cette version de l'histoire, Jack Murdock est loin d'être le paternel idéal mais fauché du canon habituel, et Daredevil n'est pas encore le ninja précis et déterminé du présent. Les rues d'Hell's Kitchen puent le crime et l'effondrement social, une sorte de complément naturel à Born Again et à cette lecture si particulière de DD par son plus grand architecte, avec un Romita Jr. fana' de Miller et cherchant à rendre hommage au maître. A lire si ce n'est pas déjà fait.
Alors, oui, ce n'est techniquement pas du comics puisqu'Ombrane est une création bien française, publiée chez Akileos, mais il nous paraissait impensable de ne pas vous en toucher un mot. L'album de Bastien Lextrait et Julien Hanoteaux est en effet une petite pépite. Un conte de fantasy où l'on s'intéresse à Ombrane, créature de la nuit, qui arpente un monde duquel elle est censée bientôt disparaître. Les rencontres de fil en aiguille seront autant de moments d'émotions diverses et variées, parfois légères, parfois plus dramatiques, le tout étant emprunt d'une poésie et d'un onirisme vraiment fort. Plus encore, la patte graphique, qui lorgne dans un style proche de l'animation particulièrement moderne, est un régal total pour les yeux de bout en bout. Le trait est d'une beauté à s'en décrocher la machoire, avec des jeux d'ombres et de couleurs resplendissants (pensez un peu à Ori d'un point de vue DA). Bref, un coup de coeur qui lui méritait largement de se glisser en catimini dans notre Checklist Comics !
Avant-dernier numéro en ce début de mois pour l'excellent diptyque House of X/Powers of X chez Panini Comics - et on profite avant de passer la vitesse supérieure avec Dawn of X, et ce qui sera certainement l'augmentation de prix de trop pour les Softcovers de la maison d'édition française. Après les importantes révélations du #2, Hickman continue de tisser sa toile pour l'installation de son nouveau statu quo mutant. Les numéros contenus dans ce recueil sont eux aussi fondateurs des nouvelles idées instaurées par le scénariste, avec notamment un nouveau rapport à la mort avec lequel les mutants vont devoir composer, et qui sera source de nombreux fils rouge essentiels par la suite. Le tout est toujours aussi plaisant à lire, avec les différentes temporalités de Powers of X sources de toujours autant d'interrogations. D'un point de vue graphique, on reste également dans l'excellence avec Pepe Larraz et R.B. Silva qui sont vraiment au sommet de leur forme - et on sait que ça continuera par la suite. De toute façon, si vous avez déjà lu les deux précédents softcovers, il paraît évident que vous ne pourrez passer à côté de celui-là.