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Invincible Intégrale tome 1 - De zéro à cent en quinze secondes

Invincible Intégrale tome 1 - De zéro à cent en quinze secondes

ReviewDelcourt
On a aimé• Le fameux "renversement"
• La paternité par Robert Kirkman
• Une parodie violente efficace
• Une bonne quantité de bonus
On a moins aimé• Les premiers numéros, point de passage obligé
Notre note

Les éditions Delcourt, refuge familier des amateurs du travail de Robert Kirkman, ont récemment eu la bonne idée de démarrer une intégrale de la série Invincible, l'autre chef d'oeuvre du scénariste des comics The Walking Dead. Cette série, lancée la même année que sa cadavérique soeur jumelle, se sera achevée un peu plus tôt (au fil de cent quarante-quatre numéros), entrée depuis dans l'histoire des grandes sagas de super-héros pour sa capacité à prendre les codes du surhomme à revers. Dans l'inconscient collectif d'un lectorat plus habitué aux histoires de héros costumés, il arrive parfois que certains séparent Invincible de Walking Dead, considérant que les deux oeuvres seraient deux opposées dans la bibliographie de Kirkman, avec des fans d'Invincible allergiques aux morts-vivants grisâtres d'un côté, et des fans de Walking Dead de l'autre, qui n'ont simplement pas entendu parler de cette annexe pour justiciers par un auteur dont ils apprécient le travail.

Varions les habitudes : pour quitter un instant le perchoir de la neutralité journalistique, voici comment votre rédacteur est lui-même passé à côté de ce phénomène pendant de trop longues années. A l'adolescence, avant de devenir un lecteur "régulier" de comics, encore versé dans la lecture de mangas et de BD franco-belges aux tomes moins épais (Bilal ou Arleston, particulièrement), des amis de la famille m'offrent le premier tome d'Invincible en comptant sur mon amour naissant pour les super-héros. Le volume en question est décevant : drôle, rythmé, mais basique, sans idées à lui. Une sorte de parodie gentille et adolescente d'un environnement que les films du début des années 2000 (Spider-Man, les X-Men) étaient déjà en train de dépasser avec des oeuvres plus noires ou plus engagées émotionnellement. Invincible est un héros sympathique, oui, mais dont la promesse semblait vite résumée.
 
En définitive, si l'édition de l'époque s'était contentée d'incorporer un numéro supplémentaire, il est probable que ce-dernier aurait pu me convertir aux comics des années avant Sin City, Swamp Thing ou Daredevil. Puisque c'est bel et bien sur la promesse d'un renversement de scénario que Robert Kirkman bâtit à l'époque tout le point de départ de sa "méthode" d'écriture : après un premier volume candide et familial, semblable à un dessin animé du mercredi matin, Invincible s'envole vite vers des sommets de violence et, plus tard, de maturité tout à fait comparables à ceux de Walking Dead. Des valeurs transversales passent de l'une à l'autre, avec le goût pour l'effet choc, les valeurs familiales, et la construction de grands arcs guerriers où deux factions s'affrontent dans un conflit sans merci. Ce n'est pas par hasard que beaucoup attendent de Fire Power un même genre de "surprise" inespérée, de la part d'un auteur habitué à choquer, au hasard, en mettant un fusil à pompe entre les mains d'un gosse pour varier son attaque sur le genre usé du monde de morts vivants. Faisons le point.
 

 
La saga Invincible démarre, comme beaucoup d'univers de super-héros publiés en indépendant, par une petite série de plagiats. Dans un monde très proche de celui de DC Comics, un justicier à la Superman, Omni-Man (Nolan Grayson) débarque d'une planète lointaine avec des envies de sauvetage. Le personnage tombe amoureux d'une terrienne, se marie, a un enfant, et poursuit son activité de justicier moustachu avec ses nombreux, nombreux collègues en capes et collants. Arrivé à l'adolescence, son fils, Mark Grayson, obtient enfin ses propres super-pouvoirs et entame à son tour un mode de vie de héros masqué. Quelques premières aventures, des rencontres et quelques gags peuplent les pages de cette entrée en matière, ouvertement inspirée par la série Ultimate Spider-Man de Brian Michael Bendis.
 
Le départ de la série se fait dans la précipitation : lorsque Robert Kirkman et Cory Walker rencontrent les responsables d'Image Comics, ils leur proposent le projet Science Dog, une histoire de chien-détective doué de la parole. Le co-fondateur de la société, Jim Valentino, refuse (au prétexte que les chiens qui parlent n'intéressent personne) mais espère tout de même travailler avec ces deux jeunes gens de talent. Il leur propose en échange de l'aider à repeupler le parc de super-héros d'Image Comics, à l'abandon. Le succès d'Ultimate Spider-Man motive Kirkman à attaquer le projet sous l'angle de l'adolescence, avec six numéros centrés sur la famille Grayson et les petites histoires de lycée du héros, mais l'auteur s'aperçoit vite que l'intrigue risque bien de tourner en rond sans une visée de long-terme plus accrocheuse. Il serait d'ailleurs intéressant de se demander si le lancement de la série Walking Dead, ouverte quelques mois après le départ d'Invincible, n'a pas guidé la main du scénariste dans cette envie de prendre le lectorat à revers ou de se positionner sur un projet un peu plus adulte. Le renversement intervient dans Invincible #7 avec l'entrée en scène des Guardians of the Globe et l'arrivée du dessinateur Ryan Ottley pour remplacer Cory Walker, incapable de tenir les délais d'une publication mensuelle. Pour l'anecdote, Science Dog sera tout de même intégré à Invincible, devenant un "comics dans le comics" qui permettra à Kirkman de se moquer gentiment des facilités utilisées par Walker pour les dessins des premiers numéros.
 
Le cas particulier d'Invincible est proportionnel à celui de sagas comme Dragon Ball, partie d'un voyage pour enfants dans le style Dr Slump vers un ensemble plus adulte de combats violents, où beaucoup des principes narratifs posés dans les premiers volumes vont évoluer et gagner en maturité au fil de la série. La transition est seulement plus rapide - vous pouvez par exemple vous amuser à observer la densité des dialogues entre les numéros #1 et #13 compris dans le premier tome de cette intégrale, pour mesurer ce changement de cap manifeste. Les intentions éditoriales sont aussi très palpables dans ce premier volume, où Savage Dragon fait une petite apparition, aux côtés de Tech Jacket, un autre super-héros inventé par Kirkman chez Image Comics et dans lequel Mark Grayson sera apparu pour la toute première fois. La parodie générale des super-héros de DC Comics est aussi au coeur de cette entrée en matière, avec les Guardians of the Globe, équivalent local et modernisé de la Justice League dans lequel Kirkman insuffle un peu de diversité (War Woman est par exemple ouvertement lesbienne), une satire Rorschach au faciès inattendu qui mène une enquête en grommelant systématiquement, et un Alfred vengeur qui n'a plus le temps pour ces facéties. 
 

 
Les premiers numéros restent amusants, notamment grâce à la technique des plans fixes et de la réutilisation de cases dont abuse Cory Walker pour gagner du temps, et qui participe au rythme et à l'humour général souvent bien dosé. Kirkman s'appuie sur une méthode de parodie toute bête : prendre à la légère le sérieux et la dangerosité de la vie de justicier. L'époque n'est pas exactement la même pour les super-héros. The Authority, Planetary ou Top 10 sont passés par là pour dresser un consensus général qui veut que, quitte à ne pas travailler pour DC Comics ou Marvel, il est important de déconner dès lors que l'on cherche à s'attaquer au mythe des super-héros. Les ressorts du surhomme indépendant ne sont plus proportionnels au sérieux et au premier degré des débuts d'Image Comics, des oeuvres plus ouvertement cyniques, violentes ou irritées ont inventé de nouveaux codes - Robert Kirkman lui-même a démarré dans cette écurie satiriste quelques années auparavant avec Battle Pope. L'auteur alterne régulièrement entre un humour de sale gosse amateur d'effets de choc et gags potaches (au hasard, Omni-Man est issu d'un peuple où tout le monde porte la moustache, c'est rigolo) et le sérieux de certaines situations, plus réelles, plus violentes ou plus quotidiennes dans la vie de la famille Grayson.
 
La qualité de cette écriture revient à résumer les choses le plus simplement possible, en revenant à des valeurs très humaines, très proches de nous. Un style franc, sans détour, qui va vite et ne s'embarrasse pas d'une exposition complexe ou de dialogues verbeux si cela n'est pas nécessaire, pour mieux aller à l'essentiel. Kirkman cible des points précis : la vie de famille, l'adolescence, la paternité - ce thème particulier couvre sur plusieurs de ses travaux et demeurera l'une des obsessions de la saga Invincible sur le long-terme. Cette franchise dépouillée dans le texte et les situations permet de faire passer la pilule sur des moments plus lourdauds ou d'accepter quelques facilités, un effet direct de la façon dont le scénariste conçoit ses histoires : autour de personnages, de parcours et de trajectoires plus que dans l'établissement (à la Grant Morrison ou Jonathan Hickman) de principes fondamentaux ou d'un univers global régi par des règles strictes. Les histoires de Robert Kirkman sont d'abord des histoires à personnages, dans lesquels il insuffle sa propre humanité. C'est justement ce qui permet au twist scénaristique de résonner : plus qu'une simple surprise mécanique, l'échange repose sur le texte, l'interaction humaine mise en images.
 

 
Côté dessins, intéressant de noter que la charte graphique posée par Cory Walker - un dessin léger, dynamique, des expressions plus cartoon que réalistes et un ensemble très coloré - sera encore utilisée au fil de la série et de son évolution, en revers de son intention originale, qui était de correspondre à un esprit adolescent et accessible. Le paradoxe d'Invincible sera, plus tard, d'évoluer dans un univers au style relativement enfantin dans une saga traversée par des thèmes d'adultes. La transition entre Walker et Ottley se fait sans douleur, avec un peu moins de petits cercles noirs pour représenter les paires d'yeux surpris, quelques fonds plus détaillés et des contours plus épais. Au demeurant, l'ensemble reste très agréable à l'oeil, avec des scènes de combats détaillées et généreuses.
 
Invincible est un cas particulier dans la bibliographie de Robert Kirkman. S'agit-il d'un laboratoire pour super-héros, par un auteur amateur de coups de théâtre et de violence graphique ? Ou bien d'une allégorie sur la maturité artistique, au moment où un scénariste encore jeune s'aperçoit qu'il a tout à gagner à faire les choses à sa façon et, comme son héroïque rejeton Mark Grayson, renonce à la légèreté de ses jeunes années pour entrer dans le monde des adultes ? L'un ou l'autre, la saga de ce super-héros particulier mérite d'être découverte - série Amazon ou non - et on salue le travail de Delcourt pour compiler en quelques gros volumes cette énorme engin de cent quarante numéros. De longues années plus tard, l'effet de surprise fonctionne toujours, voire même mieux qu'avant. Rétrospectivement, ce point de départ mènera vers une longue série aboutie et complète, emblématique des éditions Image Comics et de leur liberté de ton. 

Corentin
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