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Space Bandits - Thelma, Louise, Lionel Ritchie et beaucoup de flemme

Space Bandits - Thelma, Louise, Lionel Ritchie et beaucoup de flemme

ReviewPanini
On a aimé• Matteo Scalera
• Quelques moments sarcastiques
• Thena et Cody, chouette potentiel
On a moins aimé• Aucun relief, aucune surprise, aucune réflexion
• La tactique du pitch pour l'adaptation, lassante
• Racoleur à différents niveaux
Notre note

Dans le cadre d'un récent courrier des lecteurs, la question "avez déjà été au bout d'un comics inintéressant en échange de jolis dessins ?" venait s'échouer en haut de la pile. Etourdie, la rédaction n'eut pas nécessairement d'exemples intéressants à proposer pour cette catégorie de bouquins qu'on regarde plus qu'on ne les lit, devant l'écart manifeste entre la réussite des planches intérieures contre un scénario assez pauvre. Au fil des années passées, le constat s'est pourtant imposé autour des projets du scénariste Mark Millar, systématiquement accompagné d'artistes talentueux pour des histoires automatiques, jetables, mais jolies, à l'image de Prodigy ou Sharkey : The Bounty Hunter.
 
Vieille gloire de l'industrie, Millar s'est enfermé au fil des ans dans une sorte de case inamovible. Une plume qui symbolisait la fureur et l'inventivité d'une jeune génération prête à prendre le relais au tournant du dernier millénaire, avec les Authority, Swamp Thing ou Ultimates, migrant vers des thèmes plus politiques et des sagas denses et originales qui seront, depuis, entrées dans l'histoires des comics avec Civil War ou Old Man Logan. L'avant et l'après Kick Ass reste toutefois un marqueur net de cet abandon progressif de l'ambition d'écrire, avec des Nemesis, MPH, Super Crooks, Reborn ou Huck, autant de bouquins avec la somme habituelle de bons moments et d'idées fondatrices intéressantes, étouffées sous le poids de numéros #2, #3 ou #4 après une intro' séduisante pour imiter sans cesse le mouvement d'un soufflet qui se dégonfle. 
 
Le reproche, sempiternel, est à faire et à refaire : Mark Millar est un grand scénariste, mais il est aussi un très grand paresseux. Au-delà même du reproche à propos de son obsession pour les adaptations, l'auteur écorne sa propre légende à coups de séries sympatoches, avec des dessinateurs hors pairs, pour un lectorat occasionnel qui prend sa dose de Millarworld comme on prend les films de Marvel Studios : par habitude, parce qu'on sait dans quoi on s'engage, que c'est facile d'accès et pour les quelques fulgurances de plus en plus occasionnelles. Cette semaine, Space Bandits, sans convictions.
 

 
La mini-série Space Bandits éditée en France par Panini Comics, se manifeste comme une réponse du promoteur Mark Millar à l'obsession moderne des années 1980, qui se sera distillé dans différentes oeuvres populaires au cours de la décennie passée. L'idée repose sur une blague, déjà utilisée dans Starlight avec Happy Days : pour l'équivalent extra-terrestres des otakus, mordus de culture terrienne, les produits culturels de la planète bleue mettent un certain temps à traverser l'espace pour atteindre les civilisations qui se planquent par-delà les étoiles. Un peu comme quand la télévision française a commencé à s'intéresser aux séries du câble américain, avec du retard - c'est le même principe, mais à l'échelle de plusieurs décennies. Dans Space Bandits, le grata du cosmos vibre pour les sonorités funks et colorées des années 1980, intégrées à la mode vestimentaire, à l'architecture des vaisseaux et à l'esthétique générale d'un monde de space opera bariolé et bordélique, qui pioche un peu partout pour construire un univers visuel séduisant.
 
Côté scénario, la mini suit les aventures de Thena Cole et Cody Blue, une cambrioleuse et une arnaqueuse trahies toutes deux par leurs collègues masculins. Envoyées en prison, les deux femmes vont se lier d'amitié et s'évader pour fomenter leur vengeance contre leurs anciens complices en passant par différents environnements. L'intrigue reste dirigiste passé l'introduction, en filant d'un méchant à l'autre avec quelques difficultés superflues sur le chemin. Des emprunts à Star Wars ou au cinéma de Quentin Tarantino, référents culturels très évidents pour ce genre précis d'histoire de vengeance sur fond de western spatial, alimentent l'énergie générale du volume, rythmé, mais sans aucune surprise et sans développer les personnages ou les thèmes au-delà de leur seule fonction utilitaire. En résumé, l'intrigue file vite et droit vers sa conclusion passé l'instauration de cette série-monde, du principe "Men are Trash" et des quelques gags violents ou graveleux qui restent encore à l'écriture de Millar, comme un stigmate de ses jeunes années de grande gueule provocateur. 

L'écriture reste assez légère, voguant d'une scène d'action à l'autre. Comme à son habitude, le scénario repose sur de très grosses facilités, du côté des obstacles à résoudre comme du côté du caractère basique des personnages principaux. Le méchant est méchant, et il le vit bien. Les héroïnes sont héroïques, soudées, fortes, même dans la difficulté, avec une structure de buddy movie où l'une sera la futée, l'autre la coriace. Déplacez l'intrigue dans n'importe quel autre contexte ou dans les mains d'un dessinateur moins adroit de ses crayons, et les ficelles deviennent immédiatement visibles : Space Bandits ne raconte pas grand chose, ni dans ses quelques thématiques abordées (l'éthique dans le traitement des animaux ou le tourisme sexuel pour les 1%, effleurées sans être approfondies), ni dans le voyage des personnages. Millar suit un cahier des charges de routine, où les gentils gagnent et où les méchants perdent, sans relief, réflexion ou surprise. Un divertissement guidé par des codes d'écriture volontairement limités, et qui cherche surtout à expliquer une formule à un autre genre de lecteurs que ceux qui achètent réellement ses bouquins : les producteurs d'adaptations.



La stratégie du scénariste est assez facile à analyser. Comme d'habitude, il s'agit de préparer une adaptation, ce qui va nécessairement réduire le champ des possibles : les personnages ne sont pas développés au-delà de leurs archétypes, pour être facilement "compréhensibles" par celui ou celle qui se chargera de les développer sous une autre forme, en mouvement. Là-dessus, il sera difficile de reprocher au bonhomme son talent de promoteur. Au moment où Hollywood commence doucement à se tourner vers une science-fiction un peu plus pulp il y a quelques années, après l'échec de John Carter, l'annonce d'un retour de Doc Savage par Shane Black, les rumeurs autour d'un nouveau film Flash Gordon ou des Maîtres de l'Univers, Mark Millar livre Starlight, contribution ouverte et facile d'accès à cette lecture rétro' de la science-fiction des comic strips d'autrefois. Lorsque les amateurs d'un Superman souriant et lumineux accueillent froidement Man of Steel et la série New 52 sur le personnage, l'auteur répond avec Huck, pour proposer un surhomme plus optimiste au lectorat. Avec The Magic Order, il remarquera sans doute la difficulté des films Les Animaux Fantastiques à rebondir sur le succès des Harry Potter, et tente d'imposer sa propre saga fantastique sur les sorciers, avec une lecture plus sombre et moins adulescente.

Avec Space Bandits, Mark Millar se positionne sur la mode en fin de vie des années 1980 et la question de la représentativité des femmes dans les médias filmés et grand public. En résumé, pour le cas où Netflix aurait envie de produire un long-métrage de science-fiction avec des héroïnes attachantes et un message relativement engagé, le gars répond, en substance "voilà ce que je vous propose". Une analyse cynique du marché de la bande-dessinée, qui se coordonne avec ses propres promesses de long-terme. Il y a quelques années, l'auteur avouait lui-même que l'ensemble des titres Millarworld de demain étaient développés avec le département créatif de Netflix, jusqu'à Space Bandits, présentée dès son annonce comme une franchise potentielle pour occuper un marché : celui de la science-fiction de la déconne et du rire, à la Guardians of the Galaxy. Le comics a même une scène post-générique à la Marvel Studios, pour ouvrir sur un univers partagé avec un autre personnage de son écurie. Dans les autres motifs "utiles", l'auteur cherche aussi à jouer sur la corde du féminisme dans la foulée, sans trop se casser la tête. 

 

Le discours qui présente les femmes comme des figures de droiture morale contre des hommes abusifs, bienvenu dans le paysage culturel moderne qui manque encore de représentativité, en particulier sur ce terrain particulier de la science-fiction de vaisseaux, évoque ces hashtags placardés par les community managers de corporations empruntant à la rhétorique progressiste pour s'attirer une image plus favorable. Thena et Cody sont deux personnages avec un fort potentiel, mais leurs caractères ou leurs trajectoires stéréotypées trahissent un féminisme de façade, sans effort, qui ne cherche pas à aborder de thème précis ou à s'engager réellement sur la question de la toxicité masculine sous des formes explicites ou détaillées. 

Plus simplement : tout fait cliché, et l'avalanche de péripéties tapageuses et sonores ne laisse aucune place à la possibilité d'être un tant soit peu surpris, de trouver une idée, faute d'un idéal, sur la question du sexisme ou de la féminité en fiction. Mark Millar cale un creux de représentativité (et on sera ravis de voir Janelle Monae et Alison Brie camper les deux héroïnes dans le film qui sera, peut-être, produit d'ici quelques années), mais ne se mouille jamais, en s'arrêtant aux frontières du "token", cette manière d'habiller un objet marketing d'éléments progressistes pour s'attirer les faveurs d'un certain type de public. Ce qui est dommage quand la Kick Ass actuelle pousse plus loin le sujet de la mère célibataire en difficulté, dans un équivalent féminin de Breaking Bad, et que l'auteur a su écrire des personnages féminins plus intéressants par le passé. Cela étant, connaissant aussi son goût pour la glorification de la violence, de la virilité et de l'enfoirade en général, on aurait peut-être tort de l'attendre dans cette zone là - tout le monde n'a pas forcément vocation à se reconvertir après quarante ans.



Sur le plan des dessins, un second papier serait vraisemblablement nécessaire pour souligner l'esprit bicéphale des séries Millarworld. L'univers inventé par Matteo Scalera est superbe, varié, en combinant toute une batterie d'influences depuis Métal Hurlant à Richard Corben, l'esthétique de Prince, Grace Jones ou Lionel Ritchie, des paysages paradisiaques opposées à un urbanisme déliquescent, une générosité assez étrange dans les costumes (on a rarement vu un tel soin dans les changements de tenue entre deux scènes), et un talent pour les scènes d'action, systématiquement dynamiques et détonantes. Les têtes sont bien, les silhouettes sont bien, les vaisseaux inventifs et les couleurs superbes dans ce paysage halluciné, tout a du style quelques belles trouvailles impriment la rétine.

En apposant un même filtre cynique à la lecture du bouquin, on pourrait trouver une explication logique à ce différentiel entre texte et dessin : d'un côté, le scénariste cherche à vendre un pitch assez neutre à une équipe de production en col blanc, en se contentant donc de donner un exemple de ce à quoi chaque scène pourrait ressembler. De l'autre côté, Matteo Scalera, lui, doit déjà réfléchir en termes de pré-production, chaque page et chaque costume étant déjà une sorte de première bible pour les artistes qui récupéreront son travail, avec des story-boards, des plans larges pour représenter les planètes de cette série-monde et un bestiaire de créatures ou de flingues en forme de modèle de construction prémâché. 

Reste donc à voir si les industries Netflix auront envie de parier sur la série Space Bandits dans leurs grands plans d'adaptation. Dans les faits, la fameuse mode des années 1980 semble déjà s'être érodée, à force de voir trop de films ou de séries tirer sur la corde en l'espace de quelques années, et l'énorme univers inventé par Scalera passe pour très coûteux au regard d'autres séries ou films des usines Millarworld. Pour l'heure, on se retrouve donc avec un comics à trous, où l'auteur pose des idées sans les développer réellement. Sans jeter la pierre à Mark Millar, qui a après tout bien le droit de se venger de Marvel en rêvant à son propre empire de franchises, cette envie de ne plus du tout se fouler, de ne plus surprendre, voire d'aplanir son propre style quitte à vider ses séries de toute substance, a fini par se voir. De volumes en volumes, on a surtout l'impression de voir de bons dessinateurs gâcher leur temps et leur talent sur des titres dont on ne retiendra, au mieux, qu'une lecture passagère et éventuellement sympathique, sans plus. Ce qui restera toujours décevant pour un type avec quatre Eisner Awards sur son étagère. Les fans de Matteo Scalera en auront au moins pour leur argent.

Corentin
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