Au cours d'un vaste changement de philosophie en interne, qui passe aujourd'hui pour une époque lointaine ou révolue, la question de l'affrontement des Inhumains et des Mutants était l'une des priorités de Marvel. Certains estimeront que les gestions de droits en parallèle de projets d'adaptation étaient à l'origine de ce changement de paradigme : remplacer les X-Men par les Inhumains, la société mère n'étant pas capable d'exploiter les enfants de l'atome au cinéma ou en télévision, tandis que la race de Medusa et Black Bolt commençait à se profiler à l'horizon d'Agents of S.H.I.E.L.D., d'un film hypothétique et vraisemblablement abandonné, et d'une série ABC de triste mémoire.
Death of X était de son côté l'amorce d'une explication sur la question : après Secret Wars, huit mois s'étaient écoulés, huit mois au cours desquels divers événements avaient affecté le genre mutant et où un décès d'importance avait été perpétré. Jeff Lemire et Charles Soule avaient alors été mandatés, aux côtés d'Aaron Kuder, pour combler le vide. La mini Death of X retrace le récit, elliptique, des brumes tératogènes et de leur effet nocif sur les porteurs du gêne X. En dépit des noms ronflants associés à cette mini, rééditée en VF par Panini Comics, le bouquin est tout sauf un indispensable et passerait même pour le témoin d'un passé anachronique dans le climat des séries Marvel d'il y a quelques années.
Pour repeupler leur espèce, ou pour insuffler un vent nouveau d'Inhumains sur le pur plan éditorial de la compagnie, deux nuages verts se promènent sur Terre, tel celui de Tchernobyl. Là où la parabole fonctionne dans l'esprit d'un scénariste de fiction - à l'époque où on rêvait de radiations salutaires susceptibles de transmettre des pouvoirs aux infectés éventuels - les brumes ont bien pour mission d'isoler les humains potentiellement compatibles pour créer de nouveaux Inhumains, et venir grossir les rangs d'une race qui a beaucoup souffert de son combat contre Thanos.
Ces deux vagues de brumes passant de villes en villes, il apparaît soudain à Cyclops, toujours dans la clandestinité, que celles-ci auraient un effet dévastateur sur les mutants. Le personnage va prendre sur lui de mettre un terme à ce cataclysme potentiel en déclarant la guerre aux Inhumains, et en menant une campagne de propagande contre eux qui passerait pour une métaphore de la stratégie des fake news répandues dans les médias, au moment de la sortie de ce petit crossover (souvenez vous).
Cela étant, au-delà de cet embryon de propos politique, Death of X est surtout le quiproquo le plus castrateur de l'histoire récente des comics : plutôt que de trouver une stratégie pour évacuer les mutants des villes où passerait le nuage tératogène, ou les rassembler en un point tranquille le temps que celui-ci disparaisse, la solution de Cyclops est d'aller mettre une raclée à Black Bolt et Medusa ou de faire passer ces sympathiques aliens plutôt bien intentionnés sur le papier pour d'immondes irresponsables qui auraient propagé dans l'air un glyphosate gazeux qui pourrait tout aussi bien anéantir l'espèce humaine dans son ensemble.
Le bouquin est parsemé de réactions à brûle pourpoint du même genre : Medusa, qui paraît pourtant sympatoche et compréhensive avec cette situation, décide dans le feutré que si un mutant choisit de prendre ombrage de cette possibilité de mort potentielle, le rétamer serait une option viable le cas échéant. Il en va de même pour la quasi-seule interaction des X-Men et des Inhumains dans le bouquin, un cas classique de "on est plus ou moins dans le même camp, mais on va quand même vaguement se taper dessus au cas où discuter et trouver un terrain d'entente serait trop ennuyeux pour le lecteur, qui n'est tout de même pas venu pour ça".
Le récit ne manque pas de quelques effets de styles travaillés, ou chers à Jeff Lemire. Mais, on sent que le scénariste commençait déjà à rechigner de travailler en salarié dans le mainstream à côté de ses propres projets. Loin d'être à la hauteur de sa plume, le récit passe pour une commande d'éditeur où début et fin sont déjà pré-programmés, et où seul importe de livrer une copie correcte et suffisamment distrayante pour porter le lecteur sans trop s'appesantir. Soule, en charge de la partie Inhumains, ne fait pas de vague, tandis qu'Aaron Kuder est de son côté sur un rythme de croisière tranquillou sans planches particulièrement mémorables.
En résumé, un produit de milieu de gamme avec quelques bons moments, et toutes les erreurs anatomiques de ces petites histoires sans envolées où il est surtout important de caser les rebondissements d'usage. Death of X ne va pas forcément au bout de son concept d'ailleurs, puisque s'il s'agit bien d'une histoire "importante" pour Cyclops, le volume ne donne pas au personnage la possibilité de briller ou d'être particulièrement bienveillante envers son rôle pendant ces dernières années d'évolution. Un petit twist pas désagréable en sortie de tome et emballé, c'est pesé, à ranger dans le rayonnage temporaire de sa bibliothèque des non-indispensables.
