Tout au long de l'année passée, Glénat nous aura proposé en VF les titres du Archie Comics moderne, dans une collection young adult Log-In qui souffre peut-être d'une identité encore à définir (tant sur la forme, puisque le choix du souple ne plaît pas forcément aux habitués des comics à la française, que sur un contenu assez épars). On aura eu à coeur de vous parler des différentes sorties puisque malgré le dispensable Les Chroniques de Riverdale d'ouverture, les sympathiques Archie et Betty & Veronica méritent qu'on y accorde de l'attention. Qu'en est-il de ce premier tome consacré à Jughead, bien plus orienté vers l'humour absurde ? C'est ce qu'on va voir de suite.
Pour ceux qui ne le connaîtraient ni des comics, ni de la série tv Riverdale, Jughead Jones est le meilleur ami d'Archie Andrews. Un bonhomme plutôt malin mais un poil paresseux, qui ne se préoccupe principalement que de nourriture. Un bonhomme assez excentrique et par moments pragmatiques, qui dans ce premier tome, écrit par Chip Zdarsky (Sex Criminals, Howard the Duck, Marvel Two-in-One), va se rendre compte d'une machination orchestrée par le nouveau principal de son lycée, Riverdale High. En effet, il semblerait que le remplacement de l'ensemble des professeurs et la mise en place de cours très particuliers cache quelque chose de sinistre. Pire : c'est le menu de la cantine qui se voit complètement modifié, et Jughead va devoir convaincre ses camarades du bien fondé de sa théorie - et lutter contre la menace qui pèse sur le lycée.
Mine de rien, Chip Zdarsky réussit à tisser une intrigue plutôt solide, pour peu qu'on adhère à ce type d'histoire un peu absurde, qui réussit à amener sur la longueur pas mal de rebondissements, en jouant sur un léger côté premier degré en total contraste avec les personnages et la façon dont Jughead est écrit. Porté sur la dérision et jouant beaucoup sur les mots et les situations, le personnage principal est rapidement attachant, le scénariste prenant ses caractéristiques principales (l'obsession pour la bouffe, surtout) pour remettre au goût du jour ce qui en fait l'essentiel depuis des décennies. Tout le ressort humoristique de Zdarsky joue sur l'invraisemblable de la situation telle que Jughead la voit, en mettant autant les protagonistes secondaires que le lecteur dans une certaine incrédulité, alors que l'absurde s'immisce par touches bien plus franches à chaque chapitre.
Le scénariste s'amuse en effet à reprendre un gimmick des anciens comics Archie dédiés à Jughead, façon Silver Age, qui le voyait dans des situations invraisemblables - transporté dans un Riverdale médiéval, futuriste, ou sur un bateau pirate, pourquoi pas. En utilisant un personnage atteint de narcolepsie, c'est l'occasion à chaque fois d'aller faire des à-côtés loufoques, très souvent en références à de précédentes publications d'Archie (datant d'il y a plusieurs décennies, ou en renvoi direct à leurs propres productions super-héroïques) ou à des oeuvres de pop culture en général. Pas forcément pertinentes mais souvent assez drôles dans le rapport qu'elles entretiennent avec les évènements en cours dans la "vraie vie" de Jughead, ces scénettes restent amusantes, malgré la cassure du rythme qu'elles entraînent. Et il faut accrocher au concept, assurément.
Que ce soit d'ailleurs dans cette atmosphère à l'humour assez particulier et dans l'approche graphique de Erica Henderson, il s'agit d'un titre qui ne manquera pas d'entraîner un côté tout ou rien chez le lectorat. La dessinatrice a un dessin résolument orienté jeunesse, avec un trait très anguleux qui convient très bien au nez pointu de Jughead. La lisibilité et la mise en scène, au sein d'un découpage assez sage, participent au sentiment d'hyper-activité dans les histoires. A titre personnel, votre rédacteur vous avouera ne pas être le plus grand amateur du dessin d'Henderson, notamment pour l'approche des personnages, car il faut reconnaître une certaine aisance de l'illustratrice dans le storytelling, et une capacité à pouvoir dessiner tout et n'importe quoi - un gros plus quand chaque chapitre vous invite à aller dans un contexte complètement barré.
Jughead est donc une lecture assez atypique, qui ne veut pas se prendre trop au sérieux, et se destinerait sûrement plus aux vrais connaisseurs du Archie classique et de ses personnages et codes qu'au tout venant. L'ensemble reste assez divertissant, si la proposition humoristique farfelue et le trait marqué vous parle, mais l'on pourra regretter (une fois de plus) que Glénat limite à ce point la partie des bonus en fin d'ouvrage, les variantes se retrouvant regroupées jusqu'à douze sur une seule page. Dommage pour les artistes, et pour le plaisir des yeux.
Couronnée d'un Eisner Award, la série Jughead a de grandes qualités dans son approche humoristique de l'univers Archie Comics. Chip Zdarsky joue sur l'absurde pour une intrigue qui devient prenante au fil du temps, et s'amuse des micro-siestes de son héros pour délivrer des scènettes complètement hallucinées. Le dessin d'Erica Henderson est adéquat avec cette tonalité, et dans un cas comme dans l'autre, c'est votre affinité avec ce style d'humour et de dessin qui conditionnera son appréciation. Une publication plaisante à lire, mais l'on se doute qu'elle ait du mal à trouver son public par ici.
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