Difficile pour les indépendants de se faire une place parmi les sorties (régulières) de parutions-événements du côté des majors. Pour certains, cependant, le problème ne se présente pas. Après des années à envier l'énormité commerciale des Big Two, certains auteurs se sont élevés au rang de marques, de célébrités à l'ombre des figures fictives sensées se vendre toutes seules - Mark Millar est de ceux là.
Depuis peu, l'auteur de Kick Ass semble avoir compris qu'il lui sera impossible d'être à l'écriture de l'ensemble des séries dérivées de son gargantuesque empire éditorial. Alors, imitant la méthode Stan Lee, Millar a fait ce que tous les scénaristes créateurs ont un jour du apprendre à faire dans la work for hire : dire adieu aux gamins. Après Hit-Girl, l'auteur se sépare donc des commandes narratives de l'une de ses oeuvres les plus emblématiques, Kick-Ass, récemment relancée dans une rampe de lancement sensée mener à cette "nouvelle" ongoing. Celle-ci démarre cette semaine, au numéro #7.
Preuve de l'étendue de ses moyens dans son nouveau costume de sous-sectionnaire chez Netflix, Millar se paye les talents de Steve Niles à l'écriture. Un autre rentier (qui bosse au gré de ses envies ou de la grosseur du chèque), créateur de 30 Days of Night avec Ben Templesmith. Aux dessins, l'Argentin Marcelo Frusin vient prendre la place de John Romita Jr., ce qui fera plaisir aux nombreux détracteurs du dessinateur (ne riez pas, ils sont partout. Même au sein de la rédaction).
L'histoire reprend donc là où les parents de Patience l'avaient laissé : désormais reine du crime, l'héroïne mène une guerre contre des gangs plus violents ou moins moraux que le sien, récupérant au passage sa part du gros gâteau illicite. Avec un meneur de jeu en particulier dans le viseur, Kick-Ass s'engage dans une guerre de clans où tous les coups sont permis. Surtout les coups de feu et de fusils à pompes, parce que les cartels spécialisés dans la drogue et le trafic sexuel utilisent généralement ce genre d'outils dans leur travail.
Le premier numéro de cette nouvelle équipe est plutôt convaincant : le récit se passe des effets de styles gras ou tape à l'oeil de Millar, son éternelle quête des personnages durs à cuire à la réplique qui tape bien, de la bonne patate dans la bonne gueule et du rythme "cool" au détriment du fond. Sur le dernier arc, l'auteur s'était pris les pieds dans le tapis sur une métaphore sociale plutôt mal exécutée, avec la paresse qu'on lui aura connu pendant ces dernières années - Niles propose d'emblée un rythme plus calme, plus posé, plus introductif. Plus classique, en définitive, avec quelques échanges réussis et les bases d'un premier arc qui détricotera ce double rapport justicier/chef de gang.
Frusin livre une jolie copie, avec des contours flottants et une simplicité d'ensemble, mâtinée à une ambiance de polar violent qui évoquerait le travail d'Eduardo Risso. L'inspiration se retrouve jusque dans l'usage des cases silencieuses, des jeux sur les noirs profonds et les regards souvent puissants des personnages - graphiquement, l'ensemble est plutôt très réussi. Tandis que Hit-Girl se sera épanouie de son côté en d'autres mains équipées d'autres crayons, on se demande finalement pourquoi la saga Kick-Ass a attendu si longtemps pour se débarrasser du style Romita.
Cela étant, justement dépourvu des effets de styles et de la force de frappe de Millar (souvent gratuite, mais inhérente au style-signature des séries de l'auteur), ce premier numéro paraît un peu poli et n'annoncer qu'une série d'action sans grands rebondissements. Une ongoing (ou plus simplement, une suite) dans laquelle on sent le risque des chaussons s'installer. Là-encore, difficile de ne pas faire la comparaison avec les aventures de Mindy autour du monde : certes, c'est marrant, l'occasion d'autres points de vue et d'autres équipes créatives, mais derrière, le personnage semble privé du but de long terme qui définit généralement l'écriture du Millar. Construite en arcs scénaristique prêts à l'emploi pour le cinéma - ici, l'horizon est plus floue ou plus simplement, moins prometteuse.
Cela étant, on se contenterait d'une bonne série d'action bien dessinée pour le moment avec ce personnage (ou cette licence) qui n'aura jamais volé plus haut que son premier TPB. Qu'on ne se leurre pas : le fait que Matthew Vaughn, grand pote de Millar, ait annoncé à mots couverts que Kick-Ass et Hit-Girl reviendraient au cinéma, vraisemblablement inspirés par les comics actuels, rappelle que ces personnages sont en quelques sorte obligés d'exister dans les rayonnage de comics shops. Pour faire vivre la marque, et avoir quelque chose à vendre quand les films sortiront. A partir de là, que fait-on ? On trouve de quoi les occuper.
C'est pourquoi il n'est pas étonnant que ce départ paraisse un rien quadrillé. Le Millarworld est désormais une entreprise fonctionnant selon la logique de boîtes comme Marvel, DC ou les ongoings des premiers titres d'Image. Après l'origin story, le héros doit battre de ses propres ailes et évoluer d'artistes en artistes comme n'importe quelle propriété super-héroïque d'une grosse compagnie. Dès lors, ce petit run qui s'engage avec Steve Niles et Marcelo Frusin s'annonce très convaincant, le renouvellement graphique que beaucoup attendaient et une respiration entre deux pirouettes à la Millar. On regrette juste que l'ensemble soit (déjà) si automatique.
Vous pouvez commander Kick-Ass #7 chez notre partenaire à ce lien.