Brian Wood est partout en ce moment, chez Dark Horse avec Rebels, chez Marvel où il avait reprit Moon Knight après le départ de Warren Ellis ou même chez Titan Books où il écrit Mono. Et voilà qu'il revient chez Image Comics où il lance une toute nouvelle série : Starve. Mort de faim, Brian Wood ?
Brian Wood est obsédé par l'état du monde. A vrai dire, il ne voit pas l'avenir d'un œil très positif, jugeant l'effondrement inévitable (et il n'est pas le seul). Mais là où d'autres jugent que celui-ci sera l'occasion pour l'humanité de s'unir enfin et de commencer à agir ensemble, le scénariste voit les choses par une lorgnette légèrement moins positive. La dystopie est d'ailleurs un peu son fond de commerce, puisqu'il s'est fait connaitre avec DMZ et qu'il a observé dans un spectre très large les effets du réchauffement climatique et de l'effondrement économique dans The Massive. Deux futurs ravagés, mais où il s'intéresse d'abord à ses personnages, aux êtres humains qui vivent dans ces dystopies.
Dans Starve, Brian Wood continue sur la même lancée, mais avec une focale différente. Son titre l'annonce, ce qui l'intéresse ici, c'est la faim, et quelle sera la nourriture dans ce futur post-apocalyptique (qui ressemble beaucoup à celui de The Massive, ses conclusions sur l'état du monde n'ayant pas changé entre les deux séries). Mais ce n'est que le primat conceptuel de sa nouvelle BD, car l'intérêt de Wood se situe encore et toujours dans ses personnages. Ici, nous suivons Gavin Cruikshank, un chef au nom imprononçable (il fait d'ailleurs une blague dessus d'entrée, ce qui donne tout de suite du corps à son personnage) qui passe son temps à se défoncer et à aller voir des combats de boxe dans une ville d'Asie du sud-est surpeuplée. Cela jusqu'à ce que la réalité le rattrape.
"The .1% celebrate their station in life with fantastical excess, irresponsible excess."
Si l'économie s'est effondrée, appauvrissant drastiquement 99% des habitants de la planète, si le réchauffement planétaire a fait monter les eaux au point que les buildings de Manhattan ont les pieds dans l'eau, une élite a continué de s'enrichir, encore et encore. Ils demandent à être amusés, eux qui ont tout et surtout du temps. C'est ainsi que l'ancien show de Gavin, une émission de cuisine, est réactivé. Mais de façon légèrement différente et totalement indécente. Alors que le monde se meurt de faim, Gavin doit reporter la toque et se livre à ce petit jeu infâme.
Mais encore une fois, ce qui intéresse Brian Wood, ce sont ses personnages. Outre le héros, on croise son ex-femme Greer qui le hait toujours pour avoir fait son coming-out ou le rival Roman, qui n'est pas très heureux de voir son concurrent revenir aux affaires. Il donne à ces personnages assez de personnalité pour développer une histoire qui ne serait pas juste un étalage conceptuel. Surtout qu'il est servi par le dessin de Danijel Zezelj avec qui il a souvent collaboré. Le dessinateur croate que l'on connait aussi bien pour son travail dans les comics, on l'a vu récemment sur Django Unchained, que pour ses BD publiées en France (aux éditions Mosquito), livre des planches aussi dérangeantes que fourmillantes de vie. Un dessin accompagné par les couleurs de Dave Stewart, magnifiques bien entendu.
Brian Wood ne se fait pas d'illusion sur le sort du monde et s'interroge déjà sur ce que sera notre société après l'effondrement. Dans Starve, il aborde ce futur (assez proche) à travers les thèmes de la faim dans le monde et du show-business. En résulte un discours sur les disparités sociales emprunt de peu d'espoir, si ce n'est que son héros semble bien décidé à ne rien lâcher, qu'importe ce qu'on lui met sur son chemin. Sans doute le meilleur (le seul ?) choix possible. Il faudra pourtant attendre le deuxième épisode pour vraiment entrevoir où il nous mène.