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Édito #40 : Matt Murdock, bête de somme pour la psychanalyse ?

Édito #40 : Matt Murdock, bête de somme pour la psychanalyse ?

chronique

Connu pour être un secret bien gardé des fans de comics, le personnage de Daredevil souffre depuis 12 ans maintenant d'une réputation de héros faussement complexe, en grande partie à cause de l'adaptation discutable de Mark Steven Johnson. Il serait pourtant triste de s'arrêter à la surface et le héros aveugle le plus torturé de l'industrie vient nous le rappeler dès vendredi, avec une série qui explore en profondeur les différents reliefs d'un véritable exutoire pour scénaristes.  


 
Si Matt Murdock est bien content que son compère Bruce Wayne soit sous les spotlights des analyses psychanalytiques dans le petit monde des comics, il semblerait pourtant que l'homme sans peur ait quelques arguments à revendre pour les amoureux d'études sérieuses autour des plus grands héros de la pop culture. Complexe, déchiré par la conception même de la justice (un thème décuplé par la vie civile du personnage, avocat de jour et vigilant la nuit), sensible au charme de la gent féminine, plus violent et extrême que ses comparses encapés, Daredevil ferait un parfait sujet pour Freud et Hegel. Mais puisque les deux super-héros de la psychanalyse ne sont plus parmi nous, tentons ensemble de faire le point sur ce qui fait du héros de Stan Lee et Bill Everett un personnage culte aux yeux des fans qui ont traversé les époques, de Frank Miller à Mark Waid, en passant évidemment par Brian M. Bendis et Ed Brubaker
 
Il faut alors commencer par pointer l'une des grandes forces du personnage : réunir les deux types d'identification classique de la narration. Jonglant sans cesse entre "l'identification admirative" lorsqu'il enfile son masque à cornes pour mieux faire régner l'ordre à Hell's Kitchen, dans New York et même dans l'espace (oui oui), Daredevil est aux antipodes de ce que propose Matt Murdock, qui joue lui avec "l'identification sympathique", eût égard à sa vie "banale" d'avocat, d'ami et d'amant. Et si cette donnée paraît toute naturelle dans un univers de super-héros, c'est cependant avec Daredevil qu'elle se développe le mieux, tant il est impossible de dissocier les deux alter-egos qui forment l'homme sans peur. Plus proche de la rue, Matt Murdock est également plus proche des problèmes du quotidien, qu'il combat tant bien que mal la nuit venue, sans oublier de mettre le doigt dans un engrenage vicieux à mesure qu'il pense assécher le circuit du crime dans la grande pomme. 
 

 
L'autre force de Daredevil, c'est également son rapport à la spiritualité, que ce soit au travers de la religion ou de sa formation avec Stick, son adaptation à un monde qu'il se doit de redécouvrir privé de ses yeux, de sa perception qui dépasse largement les (archaïques) 5 sens, de son questionnement sur la viabilité d'un système judiciaire dans le système qui est le nôtre et j'en passe. Des questions, Daredevil s'en pose beaucoup et c'est autant de pistes de réflexions qui s'ouvrent chez un lecteur en proie aux mêmes doutes que son héros. Terre-à-terre et exceptionnel, Matt Murdock se veut l'avatar d'une justice absolue, sans (presque jamais) sombrer du côté obscur de la force. C'est d'ailleurs cette perpétuelle (et vaine ?) quête de justice qui finira par épuiser un héros lassé d'empiler les goons pour mieux les voir réapparaître dans ses rues, quand celles-ci ne sont pas menacées par des vilains (de seconde zone) aux dents longues. Comme me le souffle mon fidèle Alfro, Daredevil c'est la séparation entre l'œil et le regard. 
 
Véritable obsession pour les artistes qui ont eu la chance de l'écrire, Daredevil est du propre aveu de Frank Miller ce qui lui a permis de trouver la confiance d'aller livrer deux chefs d'œuvres (Year One, The Dark Knight Returns) sur Batman, peu après son passage du côté de Hell's Kitchen. Ce n'est donc pas étonnant de voir Brian Bendis se livrer à la même confection, lui qui juge son (divin) passage à la tête de l'homme sans peur comme la catharsis dont il avait besoin en mettant un pied chez Marvel, après avoir consacré sa carrière aux polars chez différents éditeurs indépendants. 
 

 
Dernier point sur lequel on se penchera aujourd'hui (pour se laisser de la marge avec les 6 jours à venir, qui sont extrêmement chargés en informations), l'amour des fans pour Daredevil. Une fois passé au dessus de la terrible réputation du personnage auprès du grand public, de très nombreux lecteurs jouissent de découvrir un héros ô combien profond, ô combien utile dans le paysage de la BD américaine et c'est presque avec regret qu'ils accueillent la série Netflix, qui donnera enfin ses lettres de noblesse (et sûrement un peu plus, si l'on en croit la qualité de la série) à un héros qui ne réclame pourtant rien, si ce n'est son précieux anonymat. Soyez rassurés : l'avenir de Daredevil sur les écrans ne devrait pas nous épargner les questions morales chères à ses meilleures histoires, et il ne serait pas étonnant de voir en Charlie Cox un allié de Chris Evans, lors de la Civil War qui se prépare. 
Sullivan
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