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Amazing Spider-Man (vol.2) # 36, Marvel et le 11 septembre

Amazing Spider-Man (vol.2) # 36, Marvel et le 11 septembre

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Notre note

Il n’aura échappé à personne que ce dimanche marque le dixième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001. Ces évènements tragiques ont marqué non seulement l’Amérique, mais le monde entier. Y compris l’industrie des comics. Comicsblog a donc décidé de revenir sur la réaction de cette dernière au lendemain de la chute des tours du World Trade Center. On ne parlera pas ici d’ouvrages tels qu'In The Shadow Of No Tower d’Art Spiegelman, arrivé bien plus tard, mais des tous premiers ouvrages réalisés juste après le drame. Et plus particulièrement d’Amazing Spider-Man (vol.2) #36, le célèbre numéro à la couverture noire, premier comic mainstream à traiter du sujet.

Marvel fut le premier éditeur à réagir, publiant dès décembre 2001 le magnifique Heroes. DC, Dark Horse et Alternative Press publieront eux aussi des ouvrages similaires en janvier et février 2002 (intitulés 9-11 pour les deux premiers, 9-11 Emergency Relief pour le troisième). Marvel publiera aussi en février 2002 Moment Of Silence, contenant quatre histoires courtes. Les profitsHeroesétaient bien entendus destinés à des organisations caritatives. Mais revenons-en à Heroes. Il s’agit essentiellement d’un recueil d’illustrations, contenant aussi quelques textes très courts, rendant hommage aux first responders (pompiers, policiers, ambulanciers, secouristes, etc…). Ces hommes et femmes courageux avaient été élevés au rang de héros par une Amérique endeuillée et traumatisée. Les plus grand noms des comics ont participé à cet ouvrage (George Pérez, Joe Kubert, David Mack, Neal Adams, Alex Ross…), même ceux qui en temps normal n’auraient rien eu à faire avec Marvel (Frank Miller, Jim Lee, Alan Moore,…). C’était l’union sacrée pour une bonne cause. Le plus intéressant à propos de Heroes, c’est que les super-héros y sont très peu représentés. Il y a bien quelques images où ils figurent, qu’il s’agisse d’un Captain America symbolisant l’Amérique blessée par Frank Miller ou, plus surprenant, d’un Hulk de Dale Keown tenant le drapeau américain. Mais sur l’immense majorité des 64 illustrations, ce sont bel et bien les fameux first responders qui sont représentés. Logique, vu que c’était leur courage et leur dévouement qui étaient célébrés. Mais aussi symptomatique du fait qu’on était alors très réticent à mélanger une fiction fantastique à une tragédie bien trop réelle.

Ce dernier point est très important et renforce le caractère exceptionnel d’Amazing Spider-Man #36. Car à l’époque, trois mois seulement après les attentats (le numéro est sorti le même mois que Heroes), en parler dans un comic-book de super-héros était une décision des plus audacieuses. Il était en effet totalement inenvisageable de ré-écrire l’histoire, de voir Spidey, ou tout autre héros, utiliser ses pouvoirs pour arrêter les avions et déjouer les attentats. C’eut été perçu comme le comble du mauvais goût. Mais alors quelle histoire raconter ? C’est au duo Joseph Michael Straczynski et John Romita Jr qu’il a incombé de répondre à cette délicate question.

Les deux hommes étaient alors aux commandes de la série Amazing Spider-Man et lui redonnait ses lettres de noblesse après des années de disette. En ce sens, le hasard a bien fait les choses. Le scénariste était considéré comme la nouvelle star de l’industrie et l’un des tous meilleurs auteurs de sa génération. Et Romita Jr faisait déjà partie des légendes de chez Marvel, presqu’au même titre que son illustre père. Même le choix du personnage qui serait utilisé s’imposait comme une évidence. On aurait certes pu penser à Captain America, mais à l’époque sa série n’était pas au mieux (un relaunch se préparait) et le personnage n’avait pas sa notoriété actuelle. Et puis Spider-Man, c’est le héros New-yorkais par excellence. Ayant grandi dans le Queens, fan des Mets, il est aussi lié à la grosse pomme que Batman peut l’être à Gotham ou Superman à Metropolis. Alors qui mieux que lui pour nous faire partager les sentiments de la ville la plus traumatisée par les attentats ? Restait à trouver quoi dire…

J. M. Straczynski n’y va pas par quatre chemins. Après la célèbre couverture noire et une première page comme un avertissement calqué sur les messages annonçant les éditions spéciales à la TV, on a droit à une double page choc : Spider-man face aux ruines des tours jumelles.

Spider-Man

Ce qui suit ne sera pas une histoire mais plutôt un voyage en compagnie du tisseur parmi les décombres et les blessés, alors que lui et presque tous les héros Marvel prêtent main forte aux first responders. Car comme dans le recueil qui leur rend hommage, ce sont eux les héros. Des héros anonymes (on n’apprend aucun nom), silencieux (il n’y a presque aucun dialogue dans tout le numéro) mais omniprésents. La narration se fait sous la forme d’un long monologue de Spider-Man, une stream of consciousness comme on dit en littérature. C'est-à-dire une réflexion spontanée, livrée comme elle vient. Il est à mettre au crédit de J. M. Straczynsky de n’omettre quasiment aucun point. Seul l’avion qui s’est écrasé sur le Pentagone est étrangement oublié. Sinon tout y est. Il y a le traumatisme des survivants bien sûr, mais aussi les passagers qui se sont  révoltés dans l’avion qui s’est écrasé en pleine campagne en Pennsylvanie, et même la question de la réponse militaire apportée à ces attaques.

Captain AmericaL’écriture est belle, parfois un peu grandiloquente avec le recul, mais dans l’ensemble émouvante. Il y a quelques scènes qui sortent du lot comme la page consacrée à Captain America, assez subtile. La comparaison tacite avec Pearl Harbour est bien amenée. Où encore cette scène ou Spidey, sans voix, ne peut que tenir la main d’une rescapée pour la réconforter. Et les trois dernières pages, comme un ultime hommage et un regard vers l’avenir sont superbes. Il y a aussi quelques facilités, comme cette scène avec l’enfant dont le père (on suppose pompier) meurt dans les décombres et que le tisseur ne peut consoler. Et il y a même quelques fausses notes, qui montrent bien que ce numéro a été écrit sans aucun recul (pour sortir en décembre, il a du être écrit en octobre au plus tard). Ainsi on a droit à la vision improbable de Magneto, le Caïd et Doctor Doom au milieu des ruines, attristés. Et comble du comble on voit Doom y aller de sa petite larme. Le message qu’à voulu faire passer l’auteur est clair : la barbarie des attentats est telle qu’elle révolte jusqu’aux vilains. Et ça aurait presque pu coller avec cette marque de fabrique Marvel qui consiste à présenter ses méchants comme des héros déchus mais pas dépourvus d’une certaine noblesse. A part que quand on repense aux divers stratagèmes que lesdits vilains ont pu échafauder pour dominer le monde, on se dit que la chute d’un gratte-ciel ne devrait sûrement pas les émouvoir à ce point. Bref, pour le coup, fiction et réalité ne se mélangent pas.

C’est d’ailleurs la principale faiblesse de ce numéro en tant qu’objet littéraire : il ne tient pas compte du fait que si les attentats étaient un évènement on ne peut plus traumatisant dans le monde réel, ils n’ont pas grand-chose d’exceptionnel à l’échelle démesurée de l’univers fantastique des comics. Quand Galactus arrive pour dévorer la planète, qu’Onslaught ou Hulk dévastent des villes entières ou que Thanos détruit l’univers, deux tours qui s’effondrent ce n’est pas grand-chose au final. Mais c’était un écueil inévitable. Il était impossible, pour des raisons de décence élémentaire, de minimiser l’importance de l’évènement. Mais du coup, quand on le compare à d’autres, fictifs, on tique. Quand Spidey dit « J’ai vu d’autres mondes. D’autres espaces. J’ai marché avec les Dieux et pleuré avec les anges. » pour lui ce n’est pas une image. Pour nous si. C’est pour la même raison que la page sur Captain America sonne si juste. Car la comparaison se fait avec un autre évènement historique, et donc dans un cadre de référence qui nous est accessible.

Amazing Spider-manL’autre point marquant en termes d’écriture, c’est la « voix » de Spider-Man. En fait ce numéro donne l’impression d’être très personnel pour J. M. Straczynski. Ainsi on a beaucoup plus l’impression que c’est lui plutôt que Peter Parker qui nous parle. Surtout au niveau des tournures de phrase, qui sont celles d’un auteur, pas les réflexions d’un personnage. Mais finalement c’est moins gênant que ce qu’on pourrait croire, déjà parce que c’est bien fait. Mais surtout parce que pour le coup on veut bien croire que les sentiments ressentis par l’auteur sont les mêmes que ceux de son personnage.

Ceci nous amène à une autre observation : ce numéro si particulier d’Amazing Spider-Man a une dimension politique indiscutable. Que ce soit quand il évoque les extrémistes religieux de tous poils avec le même dégout, ou quand est abordée la nécessité d’une réponse armée qui ne doit pas devenir vengeance. Cette posture idéologique, a priori hyper-consensuelle, fut en fait celle de la gauche américaine (par opposition aux conservateurs bellicistes qu’on surnommera les « faucons du pentagone »). C’est encore une illustration du fait que l’industrie des comics est un milieu globalement de gauche, comme on a encore pu le constater récemment avec l’Action Comics #1 de Grant Morrison. Ceci sera illustré de nouveau quelques mois plus tard (en juin 2002 pour être précis) dans la série Captain America relancée au sein du label Marvel Knight, que ce soit dans les premiers arcs consacrés aux 11 septembre ou plus tard dans celui évoquant la prison de Guantanamo.

A noter d’ailleurs que ces deux titres majeurs, traitant tous deux du même thème, ont opté pour des approches très différentes. Amazing Spider-Man #36 fut comme une parenthèse à laquelle il n’a plus jamais été fait référence. Alors que la nouvelle série Captain America plaça le 11 septembre au centre de son intrigue et de la redéfinition du personnage principal.

Enfin, il convient d’évoquer les dessins. John Romita Jr avait une tâche plus facile que son compère (lui n’avait qu’à dessiner, pas à trouver quoi dire) mais il s’en acquitte remarquablement. L’artiste était alors au sommet de son art. Il avait un peu toiletté son style si particulier pour le rendre plus net (moins de coup de crayons) et ses personnages à l’anatomie si massive avaient retrouvé des proportions plus humaines. Le trait n’est pas très réaliste mais retranscrit parfaitement le chaos ambiant. Les décors sont évidemment très soignés. Et les mises en pages et cadrages permettent d’alterner brillamment entre souffle épique et moments plus calmes. Bref il est parfaitement à la hauteur de la tâche qui lui avait été confiée.

Cet Amazing Spider-Man # 36 est donc un numéro remarquable à bien des égards, en bien comme en mal. Il est une catharsis pour son auteur et pour l’industrie des comics dans son ensemble. Une réponse instinctive à un traumatisme. Il restera à jamais à part, y compris dans l’histoire de Spider-Man.

 9-11

Jeffzewanderer
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