Nouvelle intégrale en approche du côté des éditions Delirium. Et paradoxalement, une annonce qui tombe sous le sens, compte tenu des habitudes de l'enseigne. Après avoir déjà largement exploré la bibliographie de Richard Corben (au moment où l'essentiel des éditeurs français semblaient s'être désintéressés de ce géant de l'industrie), Delirium compte désormais secourir un autre pionnier, rangé dans les volumes poussiéreux de la l'histoire méconnue des comics undergrounds. A savoir : l'artiste Vaughn Bodē, figure emblématique de la contre-culture des années soixante-dix aux Etats-Unis, proche des auteurs de la Baie de San Francisco, de Trina Robbins et de Ralph Bakshi. Une intégrale des Deadbone Erotica (ou simplement : Erotica) serait actuellement en gestation pour l'an prochain.
Né en 1941 dans l'état de New York au sein d'une famille nombreuse (et passablement problématique), Vaughn Bodē entamera son parcours d'artiste avec le projet Das Kämpf (1963), un fascicule autopubié en forme de satire de l'instruction militaire. Hostile aux soldats, proche du mouvement hippie, le dessinateur se trouvera rapidement une place dans la sphère bourgeonnante des artistes underground de cette génération aux côtés de Robbins, du virtuose Spain Rodriguez (Trashman) et de Robert Crumb.
Au carrefour des revues comiques et de la nouvelle science-fiction illustrée, en vogue pendant cette période, Bodé posera la base de son style : des personnages rondouillards, souvent animaliers, sexualisés, parfois portés sur la bouteille. Il s'exprimera contre la Guerre du Vietnam et inspirera une partie de l'esthétique du film d'animation Lord of the Rings (1978) de son ami Ralph Bakshi, entre autres choses. Disparu beaucoup trop jeune (par asphyxie autoérotique à l'âge de 33 ans), celui-ci finira par obtenir un statut culte pour les générations d'artistes qui lui succèderont.
En France, l'oeuvre de Bodē reste relativement méconnue, malgré un soutien inconditionnel des fondateurs de Métal Hurlant : fans revendiqués du dessinateur, Dionnet, Moebius et Druillet republieront plusieurs de ses histoires dans la revue légendaire, parfois en couleurs. Les rares de ses travaux disponibles en VF remontent presque tous aux années soixante-dix ou quatre-vingt. Notamment, un premier tome de la série Erotica, publié chez Neptune (1983) et traduit par Jean-Pierre Dionnet lui-même.
Du reste, la plus grosse part de son héritage s'est déplacée vers un autre secteur : l'art du graffiti. Les premiers artistes des mouvements originels de l'art urbain et du tag ont effectivement souvent rendu hommage aux personnages de Bodē... mais même plus généralement, aux choix de designs et de polices d'écriture du dessinateur. Depuis les graffeurs de New York dans les années soixante-dix, les titrages du créateur se sont propagés dans le monde entier, directement ou indirectement, au point que de nombreux hommages posthumes lui auront été rendus par cette collection d'héritiers involontaires, jusque dans le présent. En somme, un profil qui cadre bien avec les éditions Delirium, éternels amoureux des grandes figures oubliées (mais néanmoins fondatrices) et des punks de la première heure.
En l'occurrence, la série des Deadbone Erotica a été rééditée récemment chez Image Comics en juin dernier, le moment est donc tout trouvé pour ramener cette curiosité (qui passera probablement la plus accessible de son oeuvre) sur le marché français. Le projet en question se présente comme une réédition des comic strips publiés dans le magazine Cavalier, et suit le quotidien absurde des habitants d'une petite communauté forestière, entre technologie futuriste, satire militaire et proto-monde de conte de fées. Nous attendons maintenant les détails et une annonce plus officielle. Si le sujet vous intéresse, ne manquez pas le podcast réalisé tout récemment avec Laurent Lerner, fondateur des éditions Delirium, chez First Print.
