Un immense comédien nous quitte. Et peut-être même davantage. Peut-être même, au fond, que cette fâcheuse habitude d'avoir voulu placarder le nom de "monstre sacré" sur les pierres tombales de célébrités disparues ne nous permet plus forcément de comprendre le sens réel de ce dénominateur trop rare. Et pourtant, pour ce qui concerne le cas de Robert Redford, le consensus paraît indiscutable. Un monstre sacré du cinéma nous quitte. Redford s'est éteint dans son sommeil, depuis sa propriété de Sundance, dans l'Utah, ce mardi 16 septembre 2025. Il était âgé de 89 ans. Et depuis quelques heures, les hommages tombent de tous côtés pour saluer le départ d'un authentique monument de l'histoire du septième art.
Né en 1936 dans l'état de Californie, Charles Robert Redford Jr. se lance dans la vocation de comédien au sortir d'un premier échec universitaire. Élève de l'American Academy of Dramatic Arts de New York, le jeune homme fait ses premiers pas sur les planches de Broadway aux alentours de 1959, en alternant le théâtre et les petites apparitions dans les programmes télévisées de cette période. Ces débuts lui permettront notamment de croiser (furtivement) la route d'Alfred Hitchcock et de Rod Serling sur le petit écran, dans les anthologies Alfred Hitchcock Presents et La Quatrième Dimension (The Twilight Zone), entre autres petites prestations ponctuelles pour une industrie de la série télé' encore toute bourgeonnante. Au cinéma, Robert Redford signera pour un premier rôle dans le film Tall Story (1960) de Joshua Logan aux côtés d'Anthony Perkins et de Jane Fonda.
Les performances vont ensuite s'enchaîner, avec quelques premiers succès critiques (et notamment une victoire aux Golden Globes pour son rôle dans le film Inside Daisy Clover de Robert Mulligan en 1963), quelques premières collaborations importantes (Sydney Pollack, surtout, mais aussi avec Fonda qu'il recroisera plusieurs fois) et une population croissante, quoi que cadenassée dans des rôles relativement répétitifs. Il faudra finalement attendre la sortie de Butch Cassidy & the Sundance Kid (1969) pour assister au point de départ de la légende Robert Redford. Immense succès critique, le film de George Roy Hill, considéré comme l'un des grands chefs d'oeuvre du cinéma des Etats-Unis, lui assure un statut de vedette internationale et le respect de ses pairs au sein de l'industrie.
Très attaché au souvenir précieux de cette production, Redford finira d'ailleurs par racheter une station de ski dans l'Utah quelques années plus tard, entre les montagnes, pour célébrer les artistes du cinéma indépendant qui opèrent en dehors du système des grands studios traditionnels. Il nomme ce rassemblement le Sundance Film Festival, en hommage au Sundance Kid. Le bonhomme devient alors le porte-parole d'une certaine conception de l'image animée. Dans la foulée, ce qui deviendra le "Festival de Sundance" finira par s'imposer comme un rendez-vous incontournable du cinéma international, passage obligatoire d'une année de cinéma standardisée et authentique institution à part entière. Peut-être la contribution la plus importante de Robert Redford aux générations de réalisateurs qui suivront son exemple jusque dans le présent.
Au sein de son propre parcours, le comédien deviendra également l'un des visages les plus importants des productions enregistrées dans les années soixante-dix, avec plusieurs oeuvres majeures (L'Arnaque, Gatsby le Magnifique, Les Trois Jours du Condor, Un Pont Trop Loin) et un autre chef d'oeuvre définitif, Les Hommes du Président (1976) d'Alan J. Pakula, réécriture des événements du Watergate vécus depuis le point de vue de deux journalistes. Dans la foulée, Robert Redford profite des années quatre-vingt pour se lancer dans la mise en scène. D'abord avec Ordinary People (1980) et puis, bien plus tard, avec les films Et Au Milieu Coule une Rivière (1992) et L'Homme qui Murmurait à l'Oreille des Chevaux (1998), deux autres tentatives saluées par la critique et portées par une distribution ambitieuse. Avec le temps, Redford solidie son statut de légende en alternant les registres, avec Proposition Indécente (1996) d'un côté, et Sneakers (1992) de l'autre, dans des prestations toujours plus riches et désormais aidées par une expérience de plusieurs dizaines d'années.
Au début des années deux mille, le bonhomme salue la nouvelle génération des vedettes du cinéma apparues dans son sillage, qu'il s'agisse de Matt Damon (La Légende de Bagger Vance, 2001), Brad Pitt (Spy Game, 2001) et Tom Cruise (Lions et Agneaux, 2007). Poursuivant sa carrière de metteur en scène, celui-ci accepte également un contrat chez Marvel Studios pour incarner le personnage d'Alexander Pierce dans le cadre du projet Captain America : The Winter Soldier des frères Joe et Anthony Russo, clin d'oeil assumé aux Hommes du Président et Spy Game pour une célébrité désormais considérée comme l'un des grands patrons du secteur.
En dehors de ses activités d'acteur et de metteur en scène, Redford restera également dans l'histoire du cinéma comme une personnalité engagée. Conscient des problématiques écologiques lorsque le sujet n'était pas encore couvert dans les grands médias, celui-ci deviendra l'un des rares porte-voix de la cause environnementale dès la fin des années soixante-dix, une position qu'il occupera pour le reste de sa vie. Militant de la cause LGBT+, favorable au mariage pour tous, l'acteur refusera généralement de se définir comme un Démocrate ou un Républicain, même si sa préférence ira plus généralement aux membres de la "gauche" des Etats-Unis compte tenu de ses engagements individuels. Jusqu'à se déclarer comme ouvertement anti-Trump en soutenant la candidature de Joe Biden lors de la campagne présidentielle de 2020.
Et ce rôle politique n'aura pas échappé aux amateurs du bonhomme - on pense notamment aux comics Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons qui imaginaient une version de la réalité dans laquelle Robert Redford serait devenu le président des Etats-Unis en lieu et place de Ronald Reagan. Cette idée fantasque sera d'ailleurs utilisée et rentabilisée par le scénariste Damon Lindelof lors de sa réinvention de Watchmen diffusée sur la chaîne HBO. Un dernier adieu, donc, pour le grand patron du cinéma indépendant, et pour un visage que l'on peut d'ores et déjà graver sur le Mont Rushmore du septième art, dans la mesure où celui-ci restera, grâce à Moore, comme le seul président légitime de la période moderne.
Repose en paix, Sundance Kid.