Malgré son weekend d'ouverture assez conséquent, Les 4 Fantastiques : Premiers Pas n'a pas réussi à se maintenir (du moins, pas aussi bien que son collègue à cape de la concurrence) au box-office américain, avec une chute de fréquentation de 68% sur son second weekend d'exploitation, et un total de "seulement" 500 millions de dollars (et quelques) pour le total de sa diffusion au cinéma. Un résultat qui peut apparaître décevant par certains aspects, mais qui n'en reste pas moins meilleur que ceux des deux précédents films de Marvel Studios sortis cette année, à savoir Captain America : Brave New World (415 M$) et Thunderbolts* (382 M$).
Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte pour analyser ces chiffres. Certains médias plus ou moins scrupuleux se sont en effet empressés de titrer que cela faisait"depuis 2011 qu'il n'y avait pas eu de film Marvel à 700 M$ (hors Covid)" comme si le contexte des années post-COVID était comparable à celui de 2011.
C'est à dire en occultant l'impact de tout un tas d'évènement géopolitiques et économiques qui ont modifié le pouvoir d'achat des gens ; des bouleversements profonds des habitudes de consommation et de divertissement du public avec la multiplication des plateformes de streaming et des raccourcissements des délais de mise en ligne des films après leur sortie cinéma ; mais aussi la façon dont les films (et séries) de super-héros sont devenus monnaie courante en 2025 comparé à ce qu'était le secteur il y a quinze ans. Mais plus que de la profusion - car de profusion, on peut arguer qu'il y en avait pas mal dans les années précédant le Covid -, c'est peut-être aussi le support de diffusion de cette quantité, et la qualité inhérente au modèle de production qui serait à remettre en cause pour expliquer pourquoi Marvel Studios, entre autres, ne rencontre plus le succès d'autrefois avec ses films. C'est en tout cas sur cet aspect que même Kevin Feige s'est montré récemment assez lucide.
Dans un long format publié le 4 août denier sur le média The Wrap, un long état des lieux du journaliste Drew Taylor sur la santé des grandes propriétés intellectuelles de Disney était fait, avec l'intitulé explicite : "La malédiction Disney+ : comment le service de streaming a fait du mal aux marques Marvel, Star Wars et Pixar". Et si l'exposé fait état de la façon dont les films de chacune de ces grandes marques Disney ont fait les frais de la multiplication des "contenus" sur Disney+, c'est évidemment le cas Marvel qui nous intéresse le plus dans ces colonnes.
Concernant les super-héros, plusieurs citations de Kevin Feige, faites dans les quartiers de Disney à Burbank auprès de journalistes cet été, sont à relever. Alors que l'évènement était pensé pour aider à faire monter les attentes pour le prochain Les 4 Fantastiques : Premiers Pas, le grand chef du MCU est aussi revenu sur ce qu'il ne pensait pas forcément connaître après le succès tonitruant d'Avengers : Endgame en 2019 : l'échec. Et même, les échecs, puisque bon nombre des films de Marvel Studios, en dehors de la période 2020/2021 si particulière avec le Covid, n'ont pas rencontré leur public. Feige évoque notamment - et publiquement - le cas The Marvels, l'une des dégringolades les plus impressionnantes du MCU avec ses 206 M$ au box-office mondial, comparé au milliard dépassé du premier film. Pour Feige, une partie de l'échec s'explique par la stratégie opérée sur la marque Marvel avec Disney+.
"Les gens se sont dit, 'OK, elle [Carol Danvers], je la reconnais de ce film qui a fait un milliard. Mais qui sont les deux autres ? J'imagine qu'elles viennent de série TV. Bah, je vais faire l'impasse alors." En d'autres termes, le pari des séries Marvel Studios sur Disney+, qui était de reproduire la façon dont l'entité avait réussi à fédérer un très large public sur grand écran en faisant la même chose avec le petit, n'a pas été remporté. Et si l'un des mots d'ordre avec le format sériel pour le MCU était d'expérimenter, la volonté de Disney était aussi, et peut-être en premier lieu, l'expansion des contenus de marque Marvel. Et là-dessus, Feige est assez catégorique : "C'est l'expansion qui a dévalué [la marque Marvel]. C'était simplement beaucoup trop. Il y avait une forte pression de l'entreprise. Il n'y en avait pas besoin de beaucoup pour nous pousser à y aller. Nous étions pris au milieu d'une sorte de mandat." Autrement dit, la multiplication des séries live action, de l'animation et des "projets spéciaux" (comme Werewolf by Night) n'ont pas fait du bien à Marvel Studios, bien au contraire.
De façon simplifiée, et le long papier de The Wrap estime que c'est encore plus flagrant avec Star Wars (qui a aussi eu droit à une pléthore de séries sur Disney+), le fait d'avoir trop de produits autour de Marvel a rendu cet univers banal. Selon l'adage less is more, il faut savoir proposer avec parcimonie les récits tirés d'un univers afin qu'il y ait des attentes de la part du public. Et même si, comme le reconnaît d'ailleurs le PDG de Sony Pictures, il y avait une époque où tout film de super-héros avait une chance d'être rentable car le secteur était alors encore quelque chose de "neuf" auprès du grand public, cette période est désormais révolue. Et avec quatre séries Marvel sur Disney+ en 2021 qui alternaient avec les sorties cinéma, une partie du public s'est simplement lassée de voir Marvel aussi souvent. Le co-auteur de l'ouvrage assez fascinant "MCU : The Reign of Marvel Studios", Dave Gonzales, abonde en ce sens auprès de The Wrap : "Oui, je pense que [les séries Disney+] ont érodé la marque. Toutes les sous-marques [de Disney] ont été érodées. [...] Ils étaient enfin arrivés à pouvoir faire tout ce qu'ils voulaient faire - et pouvoir mettre tout en développement. Marvel a réussi à repenser la façon dont on fait les films de franchise, et ils ont pensé qu'ils pourraient faire pareil avec la télévision. Ils se sont pensés plus malins qu'ils ne le sont vraiment."
Avec en conséquence, des séries Disney+ beaucoup trop chères par rapport à ce qu'elles pouvaient espérer rapporter en nombre d'abonnements, et un public qui s'est montré de moins en moins présent sur le petit écran... mais aussi au cinéma. Feige abonde sur un ressenti du studio, qui est que le grand public s'est persuadé qu'il "faudrait avoir vu ces séries télé pour comprendre qui est tel personnage dans tel film" - ce qui est plus ou moins discutable, mais pas nécessairement faux. Preuve étant de ce constat, une bonne partie de l'argumentaire de Les 4 Fantastiques : Premiers Pas était qu'en se plaçant dans une autre continuité, le film pouvait être regardé sans n'avoir rien vu d'autre chez Marvel Studios. Désormais, il a déjà été acté des changements de stratégie, et de revoir le nombre de productions à la baisse. Déjà, pour laisser du temps et le soin de faire des films et des séries qualitativement appréciées du plus grand nombre ; mais peut-être aussi pour revenir à l'époque où un film Marvel était un évènement en soi. A voir si ce nouveau pari réussira à être tenu.
