Bon nombre de comics de super-héros ont utilisé leurs personnages et leurs récits pour en faire une parabole plus ou moins explicite sur le racisme et la façon dont certaines minorités peuvent être perçues ou traitées aux Etats-Unis. Le sujet est aussi pris de façon plus directe par des auteurs dans le cadre de la bande dessinée indépendante, souvent pour des histoires de nature biographique ou autobiographique.
Certains de ces ouvrages traversent l'Atlantique pour parvenir chez nous, comme le diptyque Wake Up America et Get Up America de John Lewis, Andrew Aydin et Nate Powell, ou encore Big Black : Stand at Attica de Frank Smith, Jared Reinmuth et Améziane. Plus récemment, l'album The Talk est venu s'ajouter à cette collection de romans graphiques s'intéressant aux problématiques sociales des Etats-Unis - qui trouvent forcément un écho certain sous nos latitudes.
Pas de point de vue extérieur ou de narration d'évènements historiques narrés de façon documentaire avec The Talk. Dans cet épais album souple, présenté en format roman graphique aux éditions Julliard, l'auteur Darrin Bell, dessinateur de presse important du paysage américain récompensé du prix Pulitzer (qui a été le premier noir-américain à obtenir ce prix par ailleurs), raconte sa vie et comment le racisme a forgé son parcours personnel et professionnel depuis son enfance jusqu'à sa propre expérience de paternité, sous le prisme d'un évènement assez particulier : "la discussion" - qui donne son titre au livre.
Il s'agit d'un moment assez particulier dans la vie des noirs-américains où le parent doit expliquer à sa progéniture que sa couleur de peau le mettra en face de dangers plus importants que les autres. Discrimination au quotidien, peur à l'approche de policiers, racisme plus direct : Bell explique comment il a senti le poids du racisme lui peser sur toute sa vie, et comment malgré sa réussite professionnelle il a très régulièrement ressenti comment on le traitait différemment du fait de sa couleur de peau. L'ouvrage part de la "discussion" qu'il a eue avec sa mère, et se termine au moment où il devra lui-même avoir cette "discussion" avec son propre fils. Une sorte de rituel de passage qui lie les générations des noirs-américains.
Une autobiographie puissante dans son propos qui illustre par scènes distinctes et séparées dans le temps la violence plus ou moins directe subie au quotidien - certains passages étant assez aisé à décalquer vers des sociétés plus européennes. Le trait assez simple de Darrin Bell, avec une mise en couleurs à l'aquarelle qui vise aussi à l'économie, se met au service des personnages, de leurs échanges et de leurs émotions, avec des tranches d'humour qui viennent s'immiscer dans des passages où la tension se montre beaucoup plus perceptible. En somme, un témoignage en bande dessinée que l'on vous recommande, et à retrouver donc aux éditions Julliard pour le prix de 27€. A noter pour les intéressés, une courte chronique d'Ali Baddou sur France Inter qui a visiblement aussi apprécié l'ouvrage.
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