Home Brèves News Reviews Previews Dossiers Podcasts Interviews WebTV chroniques
ConnexionInscription
Damn Them All, Blood Moon, Les Oubliées, The Ambassadors et Witchy dans le Cahier Critique VF !

Damn Them All, Blood Moon, Les Oubliées, The Ambassadors et Witchy dans le Cahier Critique VF !

chronique

Bienvenue dans une nouvelle édition du Cahier Critique VF. Cette chronique est à lire en parallèle de nos Critiques Express VO, et comme son nom l'indique, son but est de vous proposer à intervalles réguliers des avis sur des sorties VF plus ou moins récentes. Notre vocation est de montrer l'incroyable diversité des genres dans la bande dessinée américaine, en mettant autant que possible en avant ce qui nous paraître être bon, qu'il s'agisse de super-héros ou de comics indépendant. Nous nous autorisons à aussi à faire figurer dans le Cahier Critique de la bande dessinée de genre venue de France ou d'Europe, dont nous pensons qu'elle pourra certainement plaire à celles et ceux qui parcourent nos colonnes. Bonne lecture !

Damn Them All Tome 1 - Si Spurrier et Charlie Adlard (Delcourt)

Longtemps, la série Hellblazer aura servi de test à l’effort pour mesurer l’efficacité des nouveaux entrants de la scène britannique. Et ce n’est sans doute pas un hasard si John Constantine, un personnage logiquement inventé par Alan Moore, embrasse à fond ce rôle de manager de papier pour les grands auteurs du Royaume-Uni : figure de proue de l’arrogance et du style cockney implantée sur le Nouveau Monde, l’exorciste trimballe avec lui tout un folklore emprunté à l’imaginaire européen de la magie, la démonologie, de l’occultisme, du fantastique. Une sorte de lecture à la cool de Merlin - un magicien, oui, mais qui troque la robe et le chapeau pointu pour un imperméable de détective, un perpétuel sourire narquois et la roublardise d’un petit escroc élevé dans la truanderie des quartiers pauvres. Et puisque le Royaume-Uni demeure une fédération basée sur les traditions sempiternelles, Si Spurrier, nouveau grand bonhomme des comics, devait logiquement faire ses armes sur Constantine pour mériter sa place au sein de cette longue filiation de géants. Les équipes de DC Comics avaient même bien compris l’essor de l’équation, au point de lui proposer un titre “Hellblazer” plutôt qu’un titre “Constantine”, comme pour marteler le message.

Problème, la série en question finira par être annulée plus rapidement que prévu. Et donc, solution : dans la mesure où Spurrier est surtout connu pour ses projets sur le marché indépendant, il n’a pas été difficile pour le scénariste de rebondir, en inventant son propre John Constantine - ou même plus exactement, sa propre Johanna. Naturellement facile à modeler dans d’autres argiles, l’exorciste a donc eu droit à un genre de spin-off officieux. Un projet qui sonne comme du Hellblazer, qui ressemble à du Hellblazer, qui a le goût de Hellblazer, mais… qui s’appelle Damn Them All. Comme si le titre était justement une réponse méta’ à l’annulation de la première série chez DC Comics (mais sans rancune : le projet a de toutes façons eu droit à une suite). Et pour mettre un peu de distance avec son doudou regretté, Spurrier a décidé d’opter pour la tactique de la continuation. Cette fois, on ne s’intéresse pas directement à John, mais plutôt… à sa nièce. Et dans cette perspective, voici qu’arrive Ellie Hawhtorne, la nièce d’un certain Alfred Hawthorne. Exorciste formée par un exorciste, invocatrice formée par un invocateur, démonologue héritière de démonologue. Bienvenue en Angleterre, dans les appendices de l’Ars Goétie. Au pays des escrocs, des gangsters… et des démons faiseurs de miracles.

Avec les mains libres, Spurrier peut s’amuser à varier. Damn Them All se présente finalement comme un genre de Batman Beyond (ou autre legacyquel au pif’ de la pop culture moderne, Le Masque de Zorro, Creed, etc) de la saga Hellblazer, mais avec des éléments empruntés aux codes des films de mafieux à l’anglaise (Snatch, Arnaque Crime et Botanique, Layer Cake, etc). Comme beaucoup de protagonistes de ce genre d’aventures, notre héroïne est d’abord une grande gueule de la rue, au milieu d’un réseau de truands et d’assassins qui s’appellent tous par leurs prénoms, se connaissent et se détestent de générations en générations. Ca vanne sec, ça argote un peu partout, et en définitive, ça s’entretue, dans une forme de comédie noire qui ne prend pas réellement la mort au sérieux. 

Spurrier suit le mantra classique des histoires de Constantine - à savoir qu’en général, le héros ne s’en sort pas forcément par ses compétences de magicien. Mais plutôt parce qu’il est doué d’une capacité spéciale : c’est un enfoiré. Et un enfoiré de compétition, qui n’hésite pas à rouler dans la farine les armées de Satan. Ellie Hawthorne marche dans les traces de son regretté tonton, et cette idée de la ruse et de l’humour noir fonctionne à la perfection dans ces codes de film de gangsters, ou les escrocs surmonter les difficultés par la malice plutôt que par la force. En général, l’héroïne ne dégaine pas vraiment de boules de feu, et le scénario propose une économie générale dans les effets de style qui résume la magie à un secteur d’activité précis : la démonologie.

Là-dessus, Damn Them All est une œuvre exceptionnelle sur le plan didactique. L’auteur utilise des pages de manuel (ludiques) pour présenter les forces en présence, avec humour, et en observant un degré de fidélité assez sérieux par rapport au matériau qu’il emprunte à la vraie science de l’occulte. C’est bien fichu, le lecteur est constamment pris par la main, on comprend les règles, les factions, et cette panoplie de démons permet à Charlie Adlard de s’amuser à varier les formes, la mise en scène et les effets sur la couleur. Un bel album de ce point de vue, qui arrive à rendre crédible et tangible une tradition mystique généralement assez obscure, et réservée à une poignée de passionnés. Un peu comme si Garth Ennis s’était donné pour mission d’écrire dans le style d’Alan Moore. Tout est documenté, intelligent, et les démons passent finalement pour une allégorie du servage et du capitalisme, dans la mesure où les créatures souffrent au service de la race humaine, ne reçoivent rien en échange, et sont utilisés pour servir l’ascension de personnes fondamentalement égocentrées, qui veulent surtout s’élever socialement ou devenir riches. Plutôt colérique sur le fond, Spurrier insère ici ou là quelques commentaires plus directs sur l’état du monde (sur le port d’arme aux Etats-Unis, par exemple, mais aussi la politique du Royaume-Uni) dans cette idée d’un coup de poing cynique qui ne s’embarrasse pas à composer avec les nuances.

Seuls les personnages gris sortent grandis de toute l’affaire, celles et ceux qui ont côtoyé Constantine (enfin, Alfred) et ont réussi à voir plus loin que l’image de salaud qu’on prête à l’exorciste. L’histoire est même parfois assez tendre de ce point de vue, avec des relations familiales sincères, touchantes. Un adorable démon toutou en surplus, un propos sur le sort des migrants dans les civilisations occidentales racistes, des tonnes de gags en dessous de la ceinture, une ouverture à la question du sexe (et là-dessus, on sent que Spurrier profite de la liberté du secteur indépendant pour s’amuser un peu), des démons hauts en couleur, avec une histoire, une personnalité et une identité, et on obtient au final un superbe projet pour les fans de Garth Ennis, Guy Ritchie ou Grant Morrison qui auraient à coeur de suivre cette belle équipe créative en terrain conquis. 

Damn Them All est une réussite complète, avec peut-être quelques fautes de rythme, quelques répétitions et une difficulté à tenir de bout en bout cette logique de film mafieux (surtout dans les derniers chapitres), mais qui pourrait presque appeler à une suite tant les personnages sont attachants, et tant l’euphorie des deux créateurs (qui s’éclatent, littéralement) est palpable sur les planches. Un bon condensé de ce qui fonctionne dans Hellblazer… sans Hellblazer, avec des outils bien représentatifs de l’école des “comics UK”, violence, humour gras, bonne connaissance des enjeux de société et surtout, surtout, une moralité qui se cherche. La satire démonologue du présent pour les fans, avec un Adlard en grande forme (mais on n’a pas trop le temps de s’étendre dessus, ceci est une critique express, rappelez vous).

Corentin

Vous pouvez commander Damn Them All Tome 1 à ce lien !


Blood Moon - Bones (Label 619)

Nouvelle période, nouveaux formats courts. Dans la mesure où la série des Lowreader a pris la place de l’estimée collection Doggy Bags, le label 619 reprend ses bonnes vieilles habitudes avec la réapparition progressive des formats “One Shot”. Pour l’occasion, c’est l’artiste Bones qui s’y colle avec l’histoire complète Blood Moon, un polar de science-fiction à motif lunaire, qui évoque les bons souvenirs du cinéma des années quatre-vingt des pieds à la tête. Colonie alien, industries toutes puissantes, complot, meurtres, une enquête qui file à cent à l’heure vers sa résolution avec une certaine aisance graphique, mais avec l’inconvénient de son format. Tous les éléments sont là, aux bons endroits, et on devine en filigrane l’envie de faire tenir une histoire bien plus épaisse dans un réceptacle un peu trop étroit. Pas forcément de quoi freiner le plaisir de lecture si on aborde le projet comme un exercice de style : résumer à grande vitesse un “technoir” à l’ancienne, dans un album en forme de nouvelle, avec toute une batterie de bonnes idées et une performance graphique réussie.

Discipline de Mike Mignola et Phil Hester, Bones opte pour le minimalisme et les ombrages qui ont fait la force de ces deux géants en comics. Une habitude pour le dessinateur, à l’aise dans son élément. On part donc en exploration sur une colonie martienne pensée comme le parfait module d’une science-fiction pessimiste : une base de forage pour un minerai précieux, des travailleurs bien payés qui acceptent des conditions de travail déplorables, par manque de choix. Sur place, les activités ou l’espoir manquent à l’appel, et les mineurs ont donc l’habitude de s’occuper comme ils le peuvent. A coup d’alcool et de prostituées la plupart du temps. Bones installe cette ambiance écrasante en suivant les enseignements de Paul Verhoeven, depuis la représentation du capitalisme déliquescent à la Robocop en passant par le voyage spatial vers un monde encore plus cruel et détenu par les corporations à la Total Recall. Violence verbale, violence graphique, meurtres montrés de front, l’objectif est visiblement de canaliser cet héritage d’un cinéma adepte du mélange des genres : un peu d’horreur, beaucoup d’action, un liant polar pour mélanger la sauce, et une science-fiction qui permet quelques inventions dans l’esthétique générale et un peu de dépaysement. Pensez à Long Tomorrow de Dan O’Bannon et Moebius : le détective, la nuit noire, le sexe, la mort, des éléments communs à un certain imaginaire. L’ambiance fonctionne, on aurait envie d’en apprendre plus sur cet univers, ou de passer un peu plus de temps dans les détails, mais malheureusement, Bones a vu grand. Trop grand ? Trop grand.

Tout le coeur de l’album se concentre sur une série de meurtres et sur un flic, en charge de la base, qui doit résoudre l’affaire. Et la résolution en question va… chercher un élément de science-fiction plus imposant que prévu. Encore une fois : pensez au vaisseau extra-terrestre de Total Recall, à titre de comparaison. Sauf que justement : ce-dernier avait l’avantage de suivre la fameuse “règle de trois” des scénaristes classiques, à savoir que l’élément étant mentionné ou référencé plus tôt dans le film. Ce qui n’est pas forcément le cas dans Blood Moon. Ou pas suffisamment. Bones parachute un élément de clôture qui tombe mal, dans la mesure où le scénariste n’a plus assez de place pour expliquer, détailler ou explorer le concept. D’une manière générale, au sortir d’une première partie efficace (sur le plan du rythme, de l’atmosphère et des dessins), celui-ci va opérer une brusque poussée vers l’avant, comme pour se précipiter vers une conclusion qui va sauter d’ellipse en ellipse, en bâclant une partie du potentiel général. Le personnage de la prostituée est un assez bel exemple : présente sur à peine deux pages, dans un bar que l’on n’a pourtant cessé de mentionner au début de l’histoire, et puis s’en va. Certains découpages trahissent aussi cette précipitation, avec de brusques transitions d’une case vers une autre, sans que l’on comprenne exactement la source du mouvement, ou ce qui se passe entre les séquences. Cahots surprenants de la part d’un artiste pourtant compétent de ses crayons, et qui a probablement dû chercher à ruser pour faire rentrer toute son histoire dans cette petite valise trop chargée.

Au global, la seconde partie de Blood Moon est donc forcément décevante, parce que le potentiel était là. L’ouverture métaphysique, par manque d’explication, par manque de densité ou de justification, passe pour une pirouette, et on ne comprend pas exactement ce que le scénariste a cherché à nous dire de nouveau en surimpression de son hommage aux grandes œuvres qui l’ont inspiré. Peut-être pas le meilleur choix pour un “One-Shot”, en somme, même si l’aspect bestial, cruel et total de cette conclusion impressionne la rétine a quelque chose de spectaculaire (et en un sens, la frustration de ne pas en apprendre plus secoue peut-être davantage). 

Reste malheureusement un constat mi-cuit : le dessin s’apprécie avec plaisir pour les fans des comics Hellboy, l’ambiance devrait fonctionner sur les amateurs de ce métissage de science-fiction et de polar radical, et si l’on a envie de se dire que l’objectif même de ce genre d’albums est justement de faire tenir une histoire complète sur un nombre de pages restreint, on apprécie. Mais dans le même temps, difficile de ne pas se cogner à l’impression d’une sortie précipitée, qui aurait gagné à être retravaillée au niveau du rythme et de l’utilisation de cet espace, quitte à aller vers quelque chose de plus compact, ou de terminer sur une conclusion plus simple. Accessoirement, il n’y a pas de loups-garous. Ce qui est objectivement un défaut impardonnable, et le critique avisé est bien obligé de pointer les évidences du doigt.

Corentin

Vous pouvez commander Blood Moon à ce lien !


Les Oubliées - Elsa Bordier & Hugo Decraene (Kinaye)

La partie "création originale" des éditions Kinaye se porte bien, en témoigne cette nouvelle arrivée, Les Oubliées, servie par l'autrice Elsa Bordier (que l'on avait déjà retrouvé chez l'éditeur avec la courte histoire Moineau) et illustrée par Hugo Decraene, dont il s'agit du premier album. Le pitch est relativement simple : William est un quarantenaire qui traque de mystérieuses créatures qui sévissent en France. Des faits étranges relayés dans des journaux l'amènent à se rendre en Lozère, où il tombe sur une jeune fille, Lou, dont la maman vient de se faire enlever par l'un de ces monstres. Le duo va faire équipe bon gré mal gré pour tenter de retrouver la mère disparue de Lou, tout en élucidant les mystères de la région. 

Les Oubliées pourrait au départ se contenter de son pitch de vengeance, dans le sens où la quête de Lou, au-delà de retrouver sa mère, est aussi de battre la créature qui l'a enlevée ; William de son côté a aussi des griefs contre ces monstres. Aussi, même si les deux ne se connaissent pas, le récit fait la part belle à la façon dont leur relation se construit et évolue, et beaucoup pourront y voir une influence évidente de The Last of Us. Mais ce récit de poursuite ou vengeance prend des allures beaucoup plus intimistes au fil de son avancée, puisqu'il sera surtout question de la façon dont chacun peut avancer en réponse à la disparition de quelqu'un. William et Lou se retrouvent en fait porteurs d'idées radicalement différentes sur une thématique commune : faut-il se perdre à fuir en avant quitte à oublier le souvenir des personnes qu'on a aimées, car la douleur est trop forte, ou au contraire chérir ces souvenirs pour garder un semblant de présence même quand la personne n'est plus là ? Une dualité réflexive sur le deuil qui trouve son apogée dans une scène de feu de camp déchirante, plus forte encore que les grosses scènes d'action qui suivront.

Le dessin d'Hugo Decreane a cette patte assez caractéristique des artistes passés par une formation en animation, avec un trait très fin et des couleurs assez légères, qui donnent aux planches comme bien souvent un certain charme. Les créatures des Oubliées ont un design travaillé et intéressant, et le découpage est loin d'être monotone. Certaines planches comportent un très grand nombre de cases, comme pour attirer l'attention du lecteur sur une multitude de détails, tandis que d'autres laissent l'action respirer, de quoi permettre une lecture où le rythme n'est pas monotone. Mis à part quelques rares soucis de lisibilité dans les scènes de nuit (peut-être par manque de contrates sur les couleurs), Les Oubliées est donc tout à fait charmant à l'oeil. Et si la lecture est à recommander avant tout à un public relativement jeune (disons, dès dix-douze ans), la profondeur des thématiques et l'intensité émotionnelle de certaines scènes fait qu'il y a aussi de quoi plaire à des adultes. Une question de sensibilité, et ici, sensibles, on l'a été.

Arno

Vous pouvez commander Les Oubliées à ce lien !


Witchy Tome 1 - Ariel Ries (Akileos)

Le hasard des agendas des éditeurs a fait qu'en ce début 2024, les lecteurs ont eu droit à une double dose d'Ariel Ries. D'une part avec Cry Wolf Girl chez Kinaye, et de l'autre avec ce premier tome de Witchy chez Akileos. Il s'agit à la base de la première bande dessinée de l'auteurice, publiée en ligne, qui a déjà récolté quelques prix outre-Atlantique et que l'on découvre ici dans un bel ouvrage cartonné. Dans l'univers de fantasy qui nous est présenté, où la magie est très importante, la puissance de la magie de chacun est déterminé par la longueur de ses cheveux. Mais le pouvoir en place estime que les personnes aux cheveux trop longs constituent un danger pour l'ordre établi, et sont éliminées. La jeune Nyneve a vu son père être exécuté pour ces raisons, et décidé de cacher son véritable pouvoir lors de sa formation pour devenir sorcière. 

Le concept original de Witchy permet à Ariel Ries d'évoquer en filigrane les nombreuses injonctions faites aux femmes dans les sociétés, quelles qu'elles soient. L'univers a quelque chose de rafraichissant parce qu'il est essentiellement composée de personnages féminins, sans que la contrepartie masculine soit nécessairement placée du côté obscur de la force. Au gré de l'évolution de Nyneve, ses proches aussi voient leur caractérisation finement développée, pour un récit qui s'éloigne des archétypes de la fantasy façon héroïsme campbellien. Notre protagoniste ne se destine pas nécessairement à se dresser contre l'oppresseur du royaume, il sera plus question ici de savoir trouver sa place, et surtout de croire en ses capacités, quelles que soient les choses dont on attend de nous. Une écriture assez fine qui fait aussi la part belle aux représentations queer dans un monde où tout le monde trouve sa place de façon organique. 

L'ensemble tient la route aussi sur le plan graphique, le dessin d'Ariel Ries ayant certaines caractéristique d'autres oeuvres jeunesse (avec des personnages aux grands yeux et un trait assez marqué), qui évoque tour à tour ce que peuvent faire Reimena Yee ou Molly Ostertag, ou encore Wendy Xu. Des autrices qui d'ailleurs se connaissent toutes, et si vous avez donc déjà apprécié les ouvrages de ces personnes, il y a fort à parier que Witchy vous plaise. D'autant plus qu'avec ses 200 et quelques pages, ce premier tome a largement de quoi vous contenter en termes d'avancées d'intrigues et de découvertes de l'univers. On comprend aisément pourquoi la série a joui d'un succès dès sa publication en ligne, et il ne reste qu'à espérer qu' Akileos ne mette pas trop longtemps avant de proposer le tome deux !

Arno

Vous pouvez commander Witchy Tome 1 à ce lien !


The Ambassadors - Mark Millar & plein de monde (Panini Comics)

C’est une réalité pour le lectorat du présent : les comics, en tant que support, évoluent dans l’ombre de leurs adaptations supposées. Les deux grandes maisons d’édition sont devenues les succursales surarmées de conglomérats en mal de propriétés intellectuelles, chez Disney, chez Warner Bros., ou sur le marché du streaming. Dans le cas de Netflix, si le géant de la VOD n’est pas à proprement parler le propriétaire légal de sa propre boîte à comics, l’entreprise détient tout de même le catalogue “Millarworld”, et donc, l’essentiel des créations de Mark Millar. Ce qui représente une masse conséquente de produits à mettre en mouvement. Or, dans ce nouveau monde où la BD doit considérer l’existence du cinéma et de la télévision comme une variable tangible, on fait parfois des comics pour en faire des séries télé’ ou des films. C’est parfois agaçant, mais c’est comme ça. L’avantage, dans le cas de Millar, c’est que le loustic n’a pas attendu de devenir le lieutenant d’un département isolé au sein d’un groupe coté en bourse pour écrire des BDs sans intérêt, en attendant de se faire adapter. Comme si le gars avait finalement prévu le futur, sans le savoir. La qualité de ses comics, avant ou après Netflix, n’a pas franchement évolué. Les ficelles sont juste devenues plus visibles. Ou plus grosses.

Prenez The Ambassadors. Une mini-série avec tout un tas de nouveaux super-héros à organiser en équipe, piochés aux quatre coins du monde. Le scénariste a joué carte sur table : oui, l’idée est bien de cibler des marchés en croissance pour Netflix. Des démographies de consommateurs qui trouveraient sympathique le fait de voir à la télé’ des héros qui parlent leurs langues. Partant de là, Mark Millar s’est mis au travail, en suivant sa feuille de route. Le projet va suivre ces nouveaux justiciers, dans une monde où une scientifique coréenne (parce que Squid Game) a découvert le secret des super-pouvoirs, avec un personnage différent à chaque numéro, pour un artiste différent à chaque numéro. Comme d’hab’, les artistes en question sont des pointures du milieu, venus chercher une pige bien rémunérée. Ce qui n’a rien d’ironique. Millar est le premier à vanter la qualité des contrats qu’il propose aux dessinateurs, en expliquant que Netflix n’a aucun problème à surclasser les salaires de Marvel ou de DC Comics. En somme, tout le monde est content. Le diffuseur a son petit titre algorithmique à exploiter, d’ici un avenir incertain. Millar peut continuer à écrire, les artistes s’achètent un peu de tranquillité. Au fond, quel est le problème ?

C’est tout bête, et vous allez rire : le résultat sorti d’usine n’est simplement pas extraordinaire. Ni franchement mauvais, ni suffisamment bon pour retenir l’attention, une lecture automatique de plus qui s’oublie à grande vitesse une fois le dernier numéro terminé. Millar enchaîne les poncifs culturels : le Brésil est aux mains des gangs, les Parisiens roulent en Deux Chevaux, les Coréens se sentent obligés de citer Park Chan-wook, le scénario enchaîne les cartes postales gorgées de clichés, sans chercher à brusquer qui que ce soit ou à vraiment s’intéresser à la diversité culturelle mise en jeu. On assiste à cette collection d’origin stories, pour des justiciers sans réelle identité, qui n’ont simplement pas le temps ou la place de développer grand chose en dehors d’une vague accroche généraliste. Finalement, lorsque vient le moment de raconter une histoire, pour boucler la boucle, le scénario doit rattraper le temps perdu, et on se retrouve face à une bataille finale qui va trop vite pour s’apprécier. Avec des thèmes qui survolent, comme souvent, leur potentiel. On nous explique par exemple que les 1% veulent les super-pouvoirs et n’hésitent pas à tuer, voire à massacrer, pour s’assurer l’exclusivité de ce nouveau statut de surhommes modernes. C’est bien. Mais ça ne va pas plus loin. Mark Millar arrive à transformer ce motif d’apparence punk en une “armée sans visage”, pour avoir un peu de chair à canon, un embryon de propos qui se dégonfle en quelques minutes.

Pourtant, l’album embarque quelques qualités. Graphiques, évidemment, dans la mesure où les artistes en présence fournissent un travail extraordinaire (et quel plaisir de retrouver Frank Quitely, sorti momentanément de sa retraite pour rappeler au monde l’étendue de son talent). Même si, là-encore, l’album a visiblement eu droit à une “équipe de design” pour assurer l’homogénéité des styles et des costumes. Et de ce point de vue, le comics manque de percutant. On peut s’amuser à lire cette série comme un comics qui passe le temps, avec quelques notes d’humour. Une envie de remettre au coeur de l’équation le potentiel qui se cache derrière chaque être humain qui laisse sa place à une personne âgée dans le bus, qui oeuvre au sein de sa communauté pour améliorer les choses, aux mamans qui élèvent leurs enfants seules, aux héros anonymes, ceux des petits gestes, du quotidien. Cet effort est louable, mais va chaque fois se nuancer devant le cynisme général de Mark Millar, qui préfère généralement les héros plus “cools” à la périphérie. Le choix de l’avatar du Brésil est un bel exemple : plutôt que d’opter pour le curé pacifiste et engagé dans la lutte sociale, le scénariste préfère la tueuse à gages, jeune, athlétique, au mépris même de sa propre promesse de sélectionner ses justiciers sur le critère de la bienveillance.

Tout cela n’enlève pas forcément les qualités globales de cette lecture, qui fonctionne, au fond, si on n’a pas forcément envie de s’appesantir dessus. Si on cherche à la considérer comme un divertissement simple, accessible, qui ne se complique pas la vie. Le titre reste mieux traité que le gros des projets récents de Mark Millar, même si on devrait sans doute arrêter de jouer à chaque fois les comparaisons avantageuses. Un titre qui ressemble à ce que l’auteur proposait à l’époque de Super Crooks ou de Superior, avec quelques punchlines bien trouvées et un résultat inoffensif, si on fait exception de quelques notes sarcastiques mal fichues. En résumé, un comics Millarworld de plus, qui attendra l’adaptation pour s’étoffer un peu. A conseiller aux fans de Quitely ou Coipel, dans la mesure où Millar passe visiblement pour le seul homme encore capable de motiver ces deux géants à revenir aux planches intérieures.

Vous pouvez commander the Ambassadors à ce lien !


Arno Kikoo
est sur twitter
à lire également

Arca, Mindset, Dark Ride, Ultimate Invasion et La Voie Dragon dans le Cahier Critique VF !

chronique
Bienvenue dans une nouvelle édition du Cahier Critique VF. Cette chronique est à lire en parallèle de nos Critiques Express VO, et comme ...

Eight Billion Genies, A Vicious Circle, Arrowsmith, Alexandre le Verdoyant et The Riddler Année Un ...

chronique
Bienvenue dans une nouvelle édition du Cahier Critique VF. Cette chronique est à lire en parallèle de nos Critiques Express VO, et comme ...

The Variants, Winter Queen et Love Everlasting dans le cahier critique VF !

chronique
A nouvelle année, nouvelle rubrique ! A l'instar des critiques express VO que nous avons démarré - ou repris - depuis la rentrée ...
Commentaires (0)
Vous devez être connecté pour participer