Cette critique se base sur une version "work in progress" de Ninja Turtles : Teenage Years vue en VO. Certains plans n'étaient pas finalisés, ce qui nous a permis mine de rien d'apprécier les différentes étapes de création des plans. Cet article est par ailleurs garanti sans aucun spoiler.
Les Tortues Ninja s'apprêtent à fêter leur quarante ans d'existence en 2024. Partis des comics de Kevin Eastman et Peter Laird, les quatre reptiles masqués ont depuis gravi - littéralement - tous les échelons possibles pour s'imposer comme l'une des emblèmes incontournables de la culture pop. Les comics sont encore publiés aujourd'hui, avec l'excellente série d'IDW Publishing (reprise au format intégrales chez HiComics) et voguent même vers de nouveaux horizons avec l'univers de The Last Ronin. La licence a aussi eu droit à un nouveau souffle également en jeu vidéo, avec le très bon TMNT : Shredder's Revenge, et est promise à un avenir on ne peut plus réjouissant sur ce terrain. Du côté de la télévision, la série Rise of the TMNT (et son film Netflix) ont su conquérir un nouveau public - tandis que les anciens fans préféreront ce qu'ils avaient connu pendant leur propre jeunesse. C'était donc du côté du grand écran que la licence avait, finalement, encore un peu de mal à retrouver en popularité.
Il faut dire que la direction prise pour les deux films produits par Michael Bay n'a forcément fait l'unanimité (c'est peu de le dire), avec un échec cuisant au box-office américain dès le deuxième volet, pour un succès à moitié inférieur au précédent; Si un énième reboot en images réelles avait été annoncé en 2021 (et n'a plus donné de nouvelles depuis), Paramount et Nickleodeon ont visiblement bien réfléchi aux nouvelles directions, artistiques et thématiques, à donner aux nouvelles Tortues Ninja du cinéma. A l'été 2020, le studios confirmaient que ce retour des tortues d'enfer passerait par l'animation, sous l'impulsion de Seth Rogen et Evan Goldberg, deux éternels adolescents, amoureux revendiqués des comics, et petits champions du milieu des adaptations (Invincible, The Boys, Preacher). Au fil des mois, le TMNT : Mutant Mayhem s'est laissé approcher, en manifestant deux intentions assez nettes : d'une part, un emprunt au technique et au stylé posé par Spider-Man : Into the Spider-Verse ; d'autre part, l'emphase mise sur l'aspect "adolescent" des Teenage Mutant Ninja Turtles. Un élément rarement utilisé lors des précédentes adaptations au cinéma, ou jamais dans l'idée de produire un authentique "teen movie".
En sortie de projection, les sourires étaient là. Le film devrait plaire à la majeur partie des fans, anciens (sauf pour celles et ceux qui restent bloqués sur des questions de chara-designs) ou nouveaux, dans la mesure où le projet s'adresse aussi à un public de débutants. Une belle entrée en matière, avec sa dose de défauts, évidemment, mais qui motive à espérer. Dans la mesure où cette nouvelle incarnation des Tortues Ninja au cinéma marque le point de départ d'un nouvel univers, et peut-être, sur tous les fronts, d'une nouvelle Tortuemania.
Dans la ville de New York, le scientifique Baxter Stockman développe un agent mutagène testé sur de multiples animaux (cobayes), lorsqu'un groupe de mercenaires, envoyé par l'énigmatique Cynthia Utrom, fait irruption pour récupérer tout son matériel. Dans la panique, les animaux-mutants s'enfuient, tandis qu'une fiole du mutagène chute dans les égouts. Quelques années plus tard, sur les toits d'une cité devenue dangereuse et gangrénée par la corruption, quatre silhouettes à grosse carapace sautent, virevoltent entre les bâtiments, avant de s'immobiliser sur une pose on ne peut plus solennelle.
Armées jusqu'aux dents, les mâchoires serrées, les Tortues Ninja s'apprêtent à accomplir une mission de la plus haute importance... à savoir... faire quelques courses dans une épicerie. A la demande leur papa. En à peine cinq minutes, le ton est donné : le film va chercher à accentuer cette idée d'une bande de frangins adolescents, et le scénario ne va jamais varier de cette promesse du début à la fin. Si vous étiez à la recherche d'une offre plus sombre et plus sérieuse, Ninja Turtles : Teenage Years n'est peut-être pas fait pour vous. Ce qui ne veut pas dire que le film opère exclusivement dans la légèreté, ou qu'il se passe d'enjeux intéressants, bien au contraire.
Le titre en version originale, Mutant Mayhem, est d'ailleurs on ne peut plus approprié pour parler du reste de l'histoire - puisque, sans trop en dévoiler, vous avez peut-être vu passer quelques noms propres au casting. Et effectivement, les Tortues vont avoir bien du mal à se faire discrètes depuis leurs égouts, ou à essayer se mêler à une population ouvertement apeurée face à l'existence des individus "mutants".
En parallèle, le scénario nous apprend que des cambriolages à répétition ont été perpétrés par le gang de "Superfly", personnage dont l'identité est inconnue au départ, même si elle ne laisse que peu de doutes aux spectateurs. Cherchant à être considérés comme des héros au milieu de la mêlée, les Tortues Ninja vont tenter d'aller arrêter ce mystérieux Superfly, en s'adjoignant l'aide d'une apprentie journaliste, April O'Neil, dans l'idée d'être médiatisées comme de sympathiques bienfaiteurs. Mais lors de leur première rencontre, rien ne se passe comme prévu - et la "folie mutante" du titre éclate en pleine lumière. Avec un déluge d'action, des péripéties qui vont très loin, poussant même parfois jusqu'à l'absurde, le tout pour un gros plaisir visuel.
La direction artistique de TMNT : Mutant Mayhem passe en effet pour l'un de ses très gros points forts. Beaucoup ont déjà pointé du doigt la filiation entre ce reboot et les deux Spider-Verse - ce qui n'a rien d'étonnant. L'un des deux réalisateurs, Jeff Rowe, avait auparavant travaillé sur le surprenant Les Mitchells contre les Machines, un formidable petit film d'animation, également produit par Phil Lord et Chris Miller, et qui s'inscrivait déjà dans une sorte de continuité artistique commune, en reprenant plusieurs des techniques développées pour animer le Miles Morales de Sony Pictures.
Mais, ceci étant admis, Mutant Mayhem possède bel et bien sa propre identité graphique. Spears et Rowe ne se sont pas arrêtés à un bête copier-coller. A l'inverse de Spider-Verse, les équipes en charge des visuels n'ont pas appliqué la même patine de comics/pop art, ou pas sur un plan aussi marqué que le "modèle" cité plus haut.
La direction adoptée lorgne plutôt du côté du street art, du feutre, du crayonné, en somme, un aspect graffiti qui donne le ton pour un film dont l'atmosphère évoque immédiatement le style des années quatre-vingt dix (en accord avec la temporalité du récit, l'anniversaire à venir des Tortues Ninja, ou plus simplement, le fait que cette décennie revienne peu à peu dans les processus cycliques de la culture pop nostalgique). Pour la génération des Rogen ou des Goldberg, les années quatre-vingt dix renvoies à l'adolescence - et probablement, de la découverte des TMNT en BD ou à la télévision, en parallèle de la mode du skate et des premiers singles de hip hop. L'effet street fait donc partie intégrante du propos implicite - jusqu'à devenir une sorte de signature, avec plusieurs couches de dessin appliquées les unes sur les autres, des effets de peinture parfois débordants, sinon dégoulinants, des couleurs vives et parfois fluo. Une façon d'accorder le fond à la forme, et de flatter les rétines par la même occasion.
Sur le même plan, l'animation est dynamique, généreuse. Là encore, le fait d'avoir eu Spider-Verse (et les autres héritiers illégitimes enfantés par Phil Lord entretemps) empêche ce nouveau film Tortues Ninja de passer pour un grand révolutionnaire du secteur. Mais, on constate tout de suite que les équipes en charge de la partie artistique ont retenu les bonnes leçons - et accompagnent une sorte de nouveau mouvement qui vise à développer l'animation vers cette nouvelle charte des possibles. En témoigne le dernier acte du film, qui propose quelques immenses morceaux de bravoure à en donner le tournis.
Ninja Turtles : Teenage Years est donc un plaisir de tous les instants, avec un chara-design très affirmé, et qui sera certainement l'un des principaux points de débats parmi la communauté des fans. Au-delà des considérations plus ou moins personnelles (puériles/racistes) concernant le personnage d'April O'Neil (qui a déjà été noire dans les comics, par ailleurs), on pourra retrouver à redire sur le look de Splinter.
Celles et ceux qui appréciaient le côté sage et mystique du vieux rat auront peut-être des commentaires à formuler, comme sur certains autres mutants. L'ensemble reste toutefois cohérent, en accord avec la tonalité donnée par le scénario, et par les goûts de l'équipe créative embauchée pour mener le navire. Paramount Pictures et Nickleodeon se sont associés à Point Grey - et donc, la société de production de Seth Rogen, un bonhomme avec une lecture personnelle des Tortues Ninja, une certaine expertise dans la comédie et les fictions adolescentes, et un amour profond des quatre personnages. Cette version n'invalide pas les lectures précédentes, et ne signifie pas pas non plus que la saga se retrouvera bloquée dans ce point de vue exclusif. Encore une fois : pour les vieux briscards, les comics, les jeux vidéos, les anciennes adaptations, il n'a jamais existé de version figée des TMNT, et chaque nouveau reboot a apporté une nouvelle facette à l'idée originelle.
Le casting vocal participe également à la réussite de l'ensemble du projet. En décidant de confier - pour la première fois dans l'histoire de la franchise - les rôles des Tortues Ninja à de véritables adolescents, il en ressort une impression de naturel pour les quatre héros. Les échanges fusent, comme les vannes, et on croirait vraiment être face à quatre frangins qui aiment autant se tacler que se soutenir dans les mauvais moments. Le plaisir des comédiens est immédiatement audible - et là encore, l'école Point Grey joue sa signature personnelle avec pas mal de séquences qui sonnent très improvisées (jusqu'à déconcerter par endroits).
Evidemment, le point faible de cette méthode de travail : certaines vannes fonctionnent moins bien que d'autres, et les spectateurs plus âgés se sentiront peut-être en décalage (ce qui n'est pas anormal : ce sont des ados - demandez à vos parents s'ils étaient franchement en phase avec certains gags du film de 1990 quand vous les aviez obligés à vous payer le ticket), mais le charme est indéniable tant les échanges sonnent vrais. Ice Cube, en Superfly, est par exemple génial dans son rôle de Superfly, et mécaniquement capé pour le rôle au vu de son passif (étonnamment riche) d'acteur comique. De quoi donner très envie de voir ce que Fianso en fera pour la VF.
Globalement, aucune vraie fausse note à signaler dans le reste du casting vocal, comme bien souvent pour ces productions qui partent chercher des grands noms de la comédie américaine du cinéma et de la télévision. Certaines voix se reconnaissent forcément plus que d'autres, quelques embauches sont un peu à part du groupe (comme Post Malone, pas très drôle en Ray Fillet), mais au final, le bilan reste positif.
Y aurait-il donc quelque chose à reprocher à Ninja Turtles : Teenage Years ? Bien sûr, puisque rien ne peut être parfait (à part peut-être Spider-Verse). On pourra trouver que l'ensemble du récit reste trop premier degré, et manque d'un second niveau de lecture à destination d'un public plus adulte. La parabole sur la différence et l'acceptation des autres que le scénario tisse avec les mutants est un grand classique du cinéma, ou de l'animation au sens large, et même des comics, or, Mutant Mayhem n'apporte pas grand chose de neuf à cette recette séculaire, même si l'exécution est, là-encore, globalement réussie. L'histoire suit un fil rouge relativement balisé mais les fans auront plein de choses à découvrir dans des séquences chargées en easter-eggs, sans pour autant tomber dans l'abus de clins d'oeil poussifs.
Le seul vrai regret, qui empêchera sûrement une partie des fans de partager ce bilan enthousiaste, passe par le choix de l'angle traité dans la mythologie des Tortues Ninja. Le parti pris de TMNT : Mutant Mayhem consiste en effet à laisser de côté (pour le moment - rappel : une suite est déjà dans les tuyaux) le folklore japonais emprunté à Daredevil qui avait fait la force et l'originalité des premiers comics d'Eastman et Laid. Pour le dire simplement : dans ce film, on est avec les mutants. En ce qui concerne les ninjas... les premières bandes-annonces étaient assez honnêtes sur ce front : Splinter n'est pas Hamato Yoshi (ni son ancien rat de compagnie) dans ce reboot, et les Tortues ne sont pas non plus les fils réincarnés de l'ancien combattant japonais, comme dans la série de Tom Waltz. Il s'agit, encore une fois, d'un parti pris auquel le film se tient et qu'il assume de bout en bout. Si l'on peut regretter, en tant que fan, et à titre individuel, le fait de ne pas se concentrer sur ce point, il serait aussi difficile de reprocher au film de ne pas aller là où les fans l'attendraient. Peut-être que le traumatisme du premier TMNT de Platinum Dunes, ou l'envie de simplifier la saga pour cette entrée en matière, a pu primer ?
En tous les cas, on préférera toujours un parti pris honnête et bien mené plutôt qu'une œuvre qui aurait le cul entre deux chaises à ne pas savoir que faire de son matériel de base. A voir si la suite aura son lot de ninjas violets et de notes de shamisen, pour combler tout le monde.
Chose importante à retenir en ces temps troublés pour les adaptations de comics : si on met Guardians of the Galaxy vol. 3 à part, ce film Tortues Ninja montre, tout comme Across the Spider-Verse, que l'avenir de ces adaptations se trouve dans l'animation. Le format est tout à fait adapté pour se permettre quantité d'extravagances visuelles qui n'ont aucun mal à être prises au sérieux (en comparaison de ce que le même scénario aurait pu donner en prises de vue réelles). Ninja Turtles : Teenage Years fait vraiment du bien, et à tous les niveaux. Pour l'animation, pour le secteur des comics et des super-héros, et on espère vraiment que les majors du milieu sauront retenir les leçons de cette seconde plus belle réussite de l'industrie sur cette année.
Ninja Turtles : Teenage Years a tout pour être à l'origine d'une nouvelle Tortuemania. Le film d'animation propose un point de vue affirmé (et radical sur certains aspects) on ne peut plus entraînant et réussi, malgré quelques limites perceptibles dans cette formule. L'ensemble est beau, pétant de couleurs, dynamique dans sa réalisation et fait vraiment plaisir dans son approche "adolescente" des personnages. De quoi augurer du meilleur pour la licence et faire (re)découvrir les comics à un public qui serait (enfin) motivé par la qualité de ce long-métrage - et qui ne devrait pas être déçu en allant ensuite regarder ce qui se trouve dans les librairies. Oh, et bien évidemment, pensez à rester jusqu'à la toute fin.