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Édito #71 : Batman v Superman peut-il se réclamer de Frank Miller ?

Édito #71 : Batman v Superman peut-il se réclamer de Frank Miller ?

chronique

Des personnages comme Batman ou Superman ont 75 ans d'histoire derrière eux. À ce titre, leurs adaptations dans d'autres médias peuvent piocher dans la multitude d'itérations de ces héros pour élaborer la leur. Mais comme le précisait le scénariste Mark Waid en évoquant la fin controversée de Man of Steel, ce n'est pas parce que Superman a été misogyne le temps d'une planche ou raciste dans quelques numéros qu'un homme d'acier sexiste ou xénophobe est acceptable. Un personnage ne peut être défini par ses exceptions, mais est envisagé selon ses règles. Tout au plus, puisque les variantes d'un même personnage s'étalent quelque soit le média depuis près d'un siècle, les réalisateurs (ou développeurs de jeux-vidéos) ont le droit d'enfreindre ces commandements - tout en acceptant de s'exposer aux critiques des fans, tel est le contrat - ou de s'appuyer sur le travail d'un auteur pour imposer leur vision.

Mais en l'occurrence, en invoquant Frank Miller et son Dark Knight Returns pour justifier les actes de son chevalier noir dans Batman v Superman, Zack Snyder n'a fait qu'expliciter au plus grand nombre sa très mauvaise interprétation d'une des plus grandes histoires du personnage. Dans ce nouvel édito', parlons donc comics, parlons de leur signification et de leur transformation sur les écrans. Mais avant toute chose, attention aux petits spoilers sur le dernier film de Zack Snyder.

Il y a quelques jours, et avant même que le film ne sorte sur les écrans américains, nombreux étaient les fans et les critiques a avoir noté l'attitude violente pour ne pas dire meurtrière du chevalier noir dans Batman v Superman. Une remarque qui a pris de l'ampleur, amenant Zack Snyder à défendre sa vision des choses avec les mots suivants :

"Ce sont plus des homicides involontaires que des assassinats, mais c'est une référence au comic-book de Frank Miller, où il tue tout le temps."

Triste erreur que celle de Zack Snyder, qui ne cherche toujours pas à défendre sa vision des choses, trois ans après un Man of Steel qui continue de faire couler de l'encre. Le réalisateur a toujours botté en touche plutôt que d'assumer ou d'expliciter ses choix - jusqu'à critiquer, récemment, la scène du Starkiller dans The Force Awakens - et il continue de répondre ainsi aux fans, journalistes et spectateurs inquiets : cette fois, il s'agit d'invoquer Frank Miller et son héritage (lui aussi polémique, par ailleurs) sur le personnage de Batman. En apparence, le chevalier noir interprété par Ben Affleck emprunte énormément au créateur de Sin City. Son costume mais aussi son âge plus avancé (par rapport à Keaton, Kilmer, Clooney ou Bale, même s'il est bien plus jeune dans le film que dans la bande-dessinée) nous renvoient en effet directement au Dark Knight Returns de Miller. Mais c'est à peu près tout, puisque le fameux discours prononcé ("I want you to remember the Man who beat you[...]") à l'annonce du film à San Diego en 2013 a lui aussi miraculeusement disparu de toute l'équation. 

Une question de contexte

Trop ancrée dans son contexte et sa diégèse pour être référencé aussi simplement, The Dark Knight Returns n'est pas un petit morceau. Rappelons tout d'abord que son intrigue se déroule dans une Gotham dystopique, là où Batman v Superman est très clairement un reflet, tout au plus, de notre monde - l'apparition de l'astrophysicien Neil deGrasse Tyson dans son propre rôle ne trompe pas. C'est déjà assez problématique en soit, mais à la rigueur, on pourrait estimer que l'univers dystopique écrit par Miller en 1986 n'est plus si éloigné du quotidien de 2016. Restait néanmoins à transférer un Batman similaire à celui de Miller à l'écran. Et c'est peut-être là où le bât blesse le plus. Si Ben Affleck affiche une musculature digne des dessins de Miller, l'écriture de son personnage ne pourrait pas être plus éloignée de celle de Frank Miller dans The Dark Knight Returns, et voici pourquoi.

Dès la première page de la mini-série, l'auteur nous présente en effet un Bruce Wayne suicidaire, prêt à en finir dans une course à la mort - littéralement. Et tout au long de son histoire, Miller nous dévoile, par touches, les tendances suicidaires de son personnage, qui certes n'est pas un enfant de cœur, mais n'hésite pas à se mettre en danger pour défendre ses valeurs. Ce que Batman v Superman et The Dark Knight Returns ont en commun, c'est une histoire de résurrection - et quelques dialogues repris à l'identique, dont celui de la cave à vin prononcé par Alfred (Jeremy Irons). Dans TDKR, Bruce Wayne est mort, à l'intérieur. Et lorsqu'il redevient Batman, il renaît. Tout le propos de l'œuvre est d'ailleurs d'expliciter la névrose propre au personnage, dont il se débarrasse progressivement, aux contact de ses plus grands principes - dont celui de ne pas tuer - mais aussi d'autres personnages, comme la jeune et optimiste Carrie Kelley, ou encore les criminels repentis issus des rangs des mutants. De son côté, le Batfleck est un personnage triste, sans compagnons, et qui s'est débarrassé de ses valeurs, aussi sacrées étaient-elles, sans même parler de sa réaction épidermique jugée adolescente à raison lors du "grand twist des mamans". 

Batman "tue tout le temps" ?

Se réclamer de Frank Miller quand on propose une adaptation aussi biaisée est déjà un peu fort de café. Mais complètement fantasmé l'œuvre originelle est encore pire. Dans sa déclaration, Zack Snyder nous explique que son Batman a autant de respect pour la vie humaine ("le méchant qui est à côté de quelque chose qui explose... Batman dirait que ce n'est pas vraiment son problème.") que le réalisateur en a pour Frank Miller, puisqu'il a lu une œuvre bien différente de celle qui orne nos étagères. C'est un fait, dans The Dark Knight Returns, Batman ne tue pas. Et même dans un ultime moment de folie, celui où il trouve enfin le "courage" de donner la mort au Joker, il hésite, et laisse son adversaire légendaire s'étrangler dans un dernier rire. Le Batman de Frank Miller n'a jamais été un tueur. Ses méthodes et ses valeurs ne sont peut-être pas les vôtres, mais ce Bruce Wayne là n'a jamais franchi la ligne.

Un doute est permis, cependant. Lors de l'ouverture du second livre, Batman doit faire face à une prise d'otage, et pour la résoudre, il empoigne une arme de guerre. Miller nous montre très clairement qu'un unique coup est tiré, mais la case qui suit ce tir est volontairement ambigüe : la planche s'ouvre sur un gris omniprésent, qui semble atténuer une tâche de sang sur le mur, et potentiellement, le meurtre d'un membre des Mutants. Contrairement aux dires de Snyder ("il tire sur le type pile entre les yeux"), Batman ne titre pas dans la tête de son adversaire, toutefois. Ce qui pourrait suggérer un désarmement audacieux mais violent, un choix pour lequel avait opté l'adaptation animée de l'œuvre Miller en 2012, dans laquelle le chevalier noir tire dans la main de son opposant.

Plusieurs interprétations sont alors permises. La colorisation et le découpage de cette séquence pourraient suggérer la folie d'un Batman sur le retour, si pressé de redevenir le héros qu'il était qu'il en oublie les principes qui ont forgé sa réputation. Mais peut-être que Miller voulait simplement semer le trouble chez son lecteur, qu'il rassurera quelques pages plus loin, lorsque Batman choisit d'affronter le leader des mutants à mains nues, alors qu'il le tenait en joue depuis son indestructible Batmobile. On peut alors lire, dans le monologue intérieur du héros : "appuyer sur la détente et le rayer de la surface de la Terre, ça implique de franchir une limite que je me suis fixée il y a trente ans..." - difficile de considérer le Batman de The Dark Knight Returns comme un tueur, donc. Au pire, une exception à sa règle sacrée vient alimenter le moulin de la réflexion de Miller. Au mieux, l'auteur s'est était lancé dans un exercice de style.

Dans tous les cas, Batman ne tue pas "tout le temps" dans l'œuvre de Miller.

Even you've got too old to die young

Zack Snyder a donc occulté le contexte de The Dark Knight Returns, qui justifie, par bien des aspects, le développement d'un Batman névrosé et ses méthodes. Il lui attribue également des actes qui ne sont jamais présentés, ou alors pas directement - dans le cas de notre fameuse exception - dans les planches de l'œuvre. C'est déjà bien assez pour incriminer le réalisateur, mais une relecture de l'œuvre de Frank Miller nous permet d'aller plus loin encore. Même en partant du principe que Batman tue dans The Dark Knight Returns, le récit pose plus de questions sur les méthodes et le comportement de notre héros que toute la pellicule de Zack Snyder, même si on peut trouver, dans Batman v Superman, deux dialogues quelque part résurgents des propos de Miller. Le premier, celui d'un Batman qui se vante d'être criminel. C'est justement sa condition d'homme entre les lois qui permet au chevalier noir d'agir dans TDKR. Contre les Mutants, le Joker, mais aussi, la police et le gouvernement. Le désamour de l'auteur pour l'État Fédéral américain et sa passivité étant incarné par notre héros, d'ailleurs. 

Seulement, dans le film de Zack Snyder, Bruce Wayne ne remet jamais en cause ses actes, et ce dialogue sur la criminalité est d'avantage une excuse pour justifier les méthodes du personnage qu'un vrai questionnement. Une excuse terriblement maladroite d'ailleurs, puisqu'en faisant de son Batman un tueur, après lui avoir fait endosser le statut de criminel, Snyder assimile, de facto, les deux. Or, tous les criminels ne sont pas des tueurs - même le Punisher ne tuerait pas un voleur de voiture - et tous les tueurs ne sont pas des criminels - pour reprendre l'exemple de Frank Castle, les soldats doivent, parfois, tuer. Le second dialogue voit quant à lui Aflred reprocher à Bruce Wayne son âge avancé. Ironiquement bien sûr, puisqu'il explique qu'il n'a pas manqué d'occasions de périr au combat. On pourrait y voir une résurgence assez subtile des tendances suicidaires de Bruce dans The Dark Knight Returns. Mais encore une fois, le dialogue est jeté comme une bouteille à la mer, et ne servira jamais à approfondir le sujet, questionner les agissements de Batman ou la brutalité de ses méthodes.

Burton s'en sortait peut-être avec son amour pour les morts comiques. Christopher Nolan avec des pirouettes scénaristiques. Mais c'est un fait, leurs Batmen ne tuaient pas. Et aucun réalisateur n'a donc été aussi loin, pour le moment (une adaptation de Holy Terror nous guetterait-elle ?) que Zack Snyder. Son chevalier noir tue, quelque soit la dimension, le contexte ou la situation. Et si le réalisateur aurait pu s'en tirer en se limitant à une phase de cauchemar Mad Maxienne, il n'a fait aucune différence entre ce Batman alternatif et celui de son film, prouvant, une fois pour toutes, que sa vision du héros est celle d'un meurtrier, qui attaque les sbires de Luthor à la mitrailleuse, les démembre à la grenade et les abat avec leurs propres armes à feu. Nous ne pouvions être plus loin du Batman de Miller, qui derrière ses apparences - et elles sont trompeuses, n'est ce pas Zack - est très, très loin du héros fasciste que certains décrivent parfois. Les vrais fusillés de The Dark Knight Returns sont un peuple indolent, les médias vautours trop peu intéressés par l'information et les corrompus avides de pouvoir. Ce sont eux qui utilisent les armes à feu et tirent pour tuer, quand Batman et ses fils (spirituels) refusent l'usage de "l'arme de l'ennemi", que Miller n'aurait jamais mis dans les mains de de son personnage, en témoigne un monologue intérieur lourd de sens, et à des années-lumière de celui qui clôt Batman v Superman : 

"Une arme à feu est une arme de lâche. Une arme de menteur. Nous tuons... Trop souvent... Parce que c'est devenu facile... Trop facile... Ça ne fait pas de saletés... Ca n'exige pas d'efforts." 


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