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Rencontre d'éditeur : Sebastian Girner (Black Science, Southern Bastards, Low...)

Rencontre d'éditeur : Sebastian Girner (Black Science, Southern Bastards, Low...)

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Qui dit nouvelle année dit nouvelle rubrique et alors que je cours encore toute la journée pour trouver le temps de vous annoncer toutes nos bonnes résolutions éditoriales pour 2016 sur WeAreARTS.fr, je me fais devancer par notre planning qui vous offre un nouveau rendez-vous sans même que vous soyez prévenus.

Rencontre d'éditeur, c'est votre nouvelle rubrique hebdomadaire qui s'intéresse à un métier un peu particulier du monde de la BD, celui d'éditeur, ces hommes de l'ombre sans qui le secteur ne serait définitivement pas le même et qui jouent bien plus qu'un rôle d'intendants pour créatifs. Très différente entre les trois continents que sont l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Asie, cette profession se décline de mille façons et c'est sur cet aspect que nous vous proposons de revenir en notre compagnie chaque semaine.

Quel honneur donc d'accueillir l'illustre Sebastian Girner pour ce premier numéro d'une rubrique d'avantage consacrée à 9emeArt.fr (mais qui fera des détours par tous les sites de notre réseau, éditeur ayant l'avantage d'être un métier universel), lui qui est passé par Marvel et qui fait aujourd'hui les beaux jours d'Image Comics en étant l'éditeur particulier des immenses Rick Remender et Jason Aaron
 
N'hésitez évidemment à nous dire ce que vous en pensez ci-dessous en commentaires, et à nous faire un beau cadeau en partageant cette interview autour de vous ! 

 
"Les éditeurs sont toujours en train de faire le grand écart de Van Damme dans Timecop."

 

Pour ma première question, je me demandais si tu pouvais nous résumer ton parcours en tant qu'éditeur de comics. Comment es-tu devenu l'éditeur des auteurs les plus tendance du moment ?

J'ai été diplômé par mon université en 2008 et je suis parti à New York pour rendre visite à mes sœurs. Comme tout diplômé j'étais inquiet quant à mon avenir, et j'ai envoyé des C.V partout où je pouvais. Je savais que Marvel avait son siège à Manhattan, donc j'ai simplement décidé de leur envoyer une lettre de motivation, en leur écrivant que j'étais dans la ville pour les prochaines semaines, et que je serais donc disponible pour un entretien. Comme ça, juste sur un coup de tête.
Je n'en attendais rien, mais quelques jours plus tard, j'ai été contacté et j'ai eu un entretien avec quelques cadres, et dans la foulée, on m'a offert un poste, celui d'éditeur assistant. Maintenant que j'y pense, c'est complètement dingue de voir à quel point ça s'est passé vite. J'apprendrai plus tard que je suis passé en ville au moment où quelques assistants juniors avaient quitté leur poste. L'un d'eux avait eu un enfant et deux autres étaient retourné à l'école, je crois. Des postes qui devaient être vite occupés. J'étais là au bon endroit, au bon moment.
Je suis resté chez Marvel près de quatre ans, après lesquels j'ai décidé d'explorer d'autres options pour ma carrière. J'étais prêt au moment ou les comics indépendants commençaient à exploser, et on m'a proposé d'éditer les titres de Rick Remender et de Jason Aaron. Le succès de ces séries m'ont mené vers plus de séries encore, et me voilà aujourd'hui, toujours aussi surpris.

Tu es donc devenu un éditeur indépendant en 2012, et tu travailles beaucoup avec Image. De nos jours, on dit que cette maison est en pleine âge d'or. Mais en tant qu'éditeur et lecteur, quel est ton avis là-dessus ?

En tant que lecteur, j'apprécie beaucoup de titres publiés par Image. Ils ont une telle palette de styles et de genres, aussi bien du point de vue du dessin que de l'écriture. Tout ce qui est sorti ces trois ou quatre dernières années est incroyable, et ce genre de changement sur le marché était tout bonnement impensable il y a encore quelques temps, même lorsque je bossais chez Marvel.
En tant qu'éditeur, je pense qu'il y a quelques facteurs qui ont beaucoup aidé Image à devenir une maison aussi créative. Depuis cinq ans, l'éditeur profite des nombreux changements de l'industrie des comic books. Déjà, à propos des comics qui se vendent chaque mois sur les étals, il est devenu aussi rentable pour les artistes de bosser sur leurs propres séries, dont ils possèdent les droits, que de travailler à un rythme de pages imposé pour l'un des deux Big Two. Ajoutez à cela la joie et la tranquillité acquises par le contrôle créatif des histoires et des personnages que vous inventez, et Image devient plus demandé que jamais par les créateurs de comics !

Revenons à Marvel : tu as beaucoup travaillé sur le Punisher. Que peux-tu nous dire sur cette expérience ?

Frank Castle est mon personnage favori chez Marvel. Et sans doute l'un des personnages de fiction que j'aime le plus. Ce qu'a fait Garth Ennis sur le personnage, globalement, c'est phénoménal. Pour moi, il a sa place à côté des runs de Lee et Ditko sur Spider-Man ou de Miller et Mazuchelli sur Daredevil, comme l'une des plus belles histoires jamais publiées par Marvel.

Dis-moi si je me trompe, mais il me semble que c'est grâce à cette série que tu as pu rencontrer Rick Remender et Jason Aaron. Que peux-tu nous dire sur ces deux belles rencontres ?

C'est bien ça. Rick et Jason sont deux des premiers artistes avec qui j'ai travaillé, et je me suis ainsi retrouvé dans une situation où j'éditais deux titres Punisher très différents, l'un très orienté vers l'action et les super héros (celui de Rick Remender et Jerome Opena) et l'autre beaucoup plus proche d'un polar (celui de Jason Aaron et Steve Dillon). J'ai adoré bosser là-dessus et ça m'a vraiment aidé à me former en tant qu'éditeur. Mais dans le même temps, j'étais très stressé par ce boulot. En travaillant avec Jason et Rick, j'ai gagné en confiance. Ils sont tous les deux faciles d'accès, très agréables au bureau et bien sûr, ce sont deux auteurs géniaux, mais très différents. En quatre ans chez Marvel, je n'ai pas arrêté de bosser avec eux, passant d'un projet à l'autre, et ils ont donc été deux des premiers artistes à m'approcher pour éditer des séries creator-owned chez Image. Encore une fois, j'ai été très chanceux de faire leur connaissance si tôt dans ma carrière.

Quelles sont les séries que tu es le plus fier d'éditer ? Ou simplement tes préférées ?

Pour ce qui est de mon travail chez Marvel, je suis particulièrement fier d'une mini-série que j'ai chapeauté, appelée 5 Ronin, qui prenait cinq personnages Marvel pour en faire des Samouraïs errants dans le Japon féodal. C'était écrit par Peter Milligan avec des dessins de Tom Coker, Dalibor Talajic, Laurence Campbell Goran Parlov et Leandro Fernandez. Bosser avec eux, c'était bosser avec une dream team.
C'était mon premier (et mon seul, d'ailleurs) projet personnel chez Marvel, en tant qu'éditeur. La première fois que j'ai pu concevoir un concept, le présenter, le faire approuver puis produire l'ensemble de la série, engager les artistes que je voulais pour développer l'histoire, les personnages, les dessins, le marketing et le reste. J'y ai mis plus de travail que jamais dans ma vie, à l'époque, mais c'était aussi l'expérience la plus satisfaisante qui soit, pour le coup. J'ai pu faire exactement ce que je voulais faire, l'histoire que je voulais raconter. Le genre d'histoires que j'aime le plus.


J'aime aussi beaucoup l'arc Frankencastle, du Punisher, que j'ai réalisé avec Rick Remender au scénario et le fantastique Tony Moore au dessin. C'est la première fois que j'ai bossé sur un projet que les gens ont soit adoré, soit DÉTESTÉ. Avec passion, je veux dire. C'est une expérience enrichissante. Une belle leçon. Mais je l'aime surtout parce que je suis un fan de comics de monstres.

Pour revenir à ton rôle d'éditeur, justement : comment tu le décrirais ? Un agent ? Un chef de projet ? Un mélange des deux ?

Un mélange des deux et parfois bien plus ! En tant qu'éditeur pour une maison d'édition, tu es plutôt un producteur. Tu es un arbitre du bon goût, tu regardes le marché en tentant de trouver des concepts, des histoires, des personnages que tu penses pouvoir faire fonctionner, toucher la sensibilité du lectorat ou l'emmener vers une nouvelle direction, tel un pionnier, à la fois pour les dessins et l'écriture. Tu engages des talents qui pourront poursuivre cette vision, qui pourront la mettre sur la voie du succès. Tu leur donnes du temps, des inspirations, un budget et tu fais le meilleur comic book possible.
Mais les artistes peuvent aussi te voir TOI, avec une idée ou un concept qu'ils veulent développer, et tu les aides à le transformer en projet complet. Dans les deux cas, l'éditeur agit en tant que catalyseur créatif. Il n'est ni dessinateur ni auteur, mais il a une main (plutôt invisible) dans ces deux mondes.
En tant qu'éditeur, tu es aussi le principal porte-parole de tes artistes. Dans le monde de l'entreprise, l'éditeur est finalement celui qui parle le plus aux dessinateurs et aux scénaristes, il résout les problèmes, crée et renforce les deadlines, paie ses employés et passe le plus clair de son temps avec eux. Parler de l'histoire ou juste parler de films, du beau temps, ça fait aussi partie du boulot : les artistes passent des heures en studio, et ils apprécient donc généralement une petite conversation. La grande majorité des mes relations avec des artistes m'ont conduit vers de vraies amitiés, qui transcendent finalement le travail que nous faisons ensemble. Les comics rassemblent très bien les gens.

Ce que je fait maintenant, en tant qu'éditeur free-lance ou indépendant, c'est un peu différent. Je m'occupe toujours de la production, des deadlines, des épreuves et du fait que les fichiers soient envoyés à temps, et ainsi de suite. Mais puisque ce sont les talents qui m'engagent moi pour les aider eux, l'aspect le plus créatif de mon travail leur revient, quelque part. Je leur offre toujours des conseils sur les intrigues, les personnages, les dialogues. Je pose des questions et j'offre des solutions, et je pense que les créateurs qui m'engagent ont confiance en mon intuition et écoutent mon avis, mais ils ne veulent pas que je les mène sur des fausses pistes, ou que je le fasse à ma façon. Donc je retiens mes pulsions créatives, comme tout bon éditeur doit le faire : la décision revient toujours aux artistes et je suis là pour les les aider, pour qu'ils prennent la meilleure possible.
Je suppose que quand on est éditeur, on est à la croisée des chemins, avec "commerce" d'un côté et "art" de l'autre. Et c'est à toi d'équilibrer ces deux concepts radicalement opposés entre-eux, ma foi. Donc en gros, les éditeurs sont toujours en train de faire le grand écart de Van Damme dans Timecop.

Nombreux sont les comics qui visent la télévision de nos jours. Récemment, Rick Remender a dit que Deadly Class et Black Science pourraient bien devenir des séries télévisées. Est-ce une aubaine pour toi et tes séries ?

Bien sûr, ce serait mentir que de dire que je ne suis pas excité par la perspective d'éditer un comic book qui est à la fois lu et vu par des milliers de personnes. Mais d'ici à ce que cela arrive, je tente de maintenir un cap, de me concentrer sur mon travail : faire le meilleur comic book possible, le plus longtemps possible.
C'est génial de voir que les comics sont devenus une étincelle créative qui inspire d'autres médias, les films, la télé, les jeux-vidéo et j'en passe. Mais pour moi, l'attraction principale sera toujours le comic lui-même. Il y aura toujours, ou du moins souvent, des éléments géniaux d'un comic qu'on ne pourra pas bien traduire à l'écran, et je ferai toujours en sorte de valoriser ce genre d'éléments, ces expériences de lectures, qui sont l'essence de mon travail.

Les séries télévisées ont un impact international. En tant qu'éditeur, es-tu en charge de l'exportation des séries que tu édites ? Si c'est le cas, quelles sont les spécificités de ce rôle ?

Je suis moins impliqué dans cet aspect des séries, ça relève plus des créateurs eux-mêmes, de leurs agents ou de leurs avocats, même si la plupart de mes équipes me tiennent au courant. Il est intéressant de noter à quel point ce processus est bien plus lent que celui des comics. On peut passer du concept à l'impression en quelques mois. Mais le rythme de l'industrie du cinéma, lui, se mesure en ères glaciaires.
Mais je pense que c'est à moi de faire en sorte que la série de comics continue de rester active et de sortir, même lorsque ses créateurs sont impliqués dans une adaptation télévisée ou un autre projet. Ce qui implique, aussi, de sauvegarder le temps de mes artistes, pour qu'ils puissent l'investir ailleurs.

Parmi toutes les séries auxquelles tu as participé, y en a-t-il une qui est ta préférée ? Même si elles sont toutes géniales à leur manière, on opterait, nous, pour Black Science, qui met vraiment un coup de pied au cul de la "SF moderne" !

Ah, c'est tellement dur de choisir un vrai vainqueur... Chaque série sur laquelle je travaille a quelque chose d'unique, ce qui la rend très spéciale pour moi. J'adore l'énergie déchaînée et la vitesse folle de Black Science. Esthétiquement parlant, c'est le style de Wes Craig sur Deadly Class qui s'impose, pour moi, comme l'un des travaux les plus incroyables de ces dernières années. J'adore sombrer dans les pages atmosphériques et calmes de Drifter, de Nic Klein. Et il y a des choses qui arrivent en 2016 (je ne peux pas t'en parler, hélas) qui déjà, me rendent impatient. Mais récemment je dois dire que travailler sur The Goddamned (par Jason Aaron et R.M.Guera) remplit toutes les cases pour le lecteurs de comics que je suis, c'est le genre de titres que je ne pourrais pas attendre tous les mois si je le découvrais comme ça.


• Tu est né en Allemagne, tu as étudié là-bas, mais aussi au Japon. Maintenant tu vis et tu travailles à New-York, sur des comics américains. Quand je vois ce parcours, je me demande si tu serais intéressé par l'édition de manga ou de bande-dessinée européenne, par exemple.

Oui, j'ai grandi parmi des cultures bien différentes et ça a forcément forgé mes goûts, en le genre de projets vers lesquels je vais naturellement. Pour le moment je suis plus taillé pour le marché de la bande-dessinée américaine, dans le sens où je connais mieux le fonctionnement en sorties mensuelles, bien plus que les rythmes de sortie d'une bande-dessinée française ou d'un Shonen Jump hebdomadaire. Mais j'ai tout de même édité la première version anglaise d'un titre de l'artiste thaïlandais Wisut Ponnimit, qui n'est pas très connu ici, mais qui est très populaire au Japon et dans son pays natal. Le titre s'appelle Him Her That (traduit par Matthew Chozick, chez Iwai Books) donc j'ai tout de même un manga à mon actif ! Mais bien sûr, je serai ravi de travailler avec n'importe quel artiste au projet cool, qui pense que je peux l'aider en tant qu'éditeur. Je fais ce travail parce j'aime la création, la collaboration et le fait de travailler avec des personnes toutes différentes. Et je fais en sorte de ne jamais m'enfoncer dans un seul type de projet ou de comic.


• Pour terminer, as-tu de futurs projets ou des artistes avec qui tu aimerais à tout prix travailler, par exemple ?

Je suis chanceux, parce que j'ai énormément de boulot en ce moment. Tous les titres sur lesquels j'ai travaillé en 2015 continueront en 2016, et d'autres arrivent, et je suis très excité à l'idée de les voir débarquer. De mon côté, j'ai pu écrire quelques scripts, et je ne suis pas loin d'avoir terminé une série courte, que j'essaierai sans doute de faire dessiner l'année prochaine.
Je ne suis pas pressé, simplement, ça me démangeait depuis un petit bout de temps et j'ai enfin essayé d'en faire quelque chose. J'ai aidé bien des créateurs à raconter leurs propres histoires lors des huit dernières années, mais je désire toujours en raconter par moi-même. Et cette idée devient plus forte chaque année. J'espère que c'est quelque chose que je pourrais un peu plus explorer, avec un peu de chance !

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Merci à Sebastian pour sa patience et ses réponses ! N'oubliez pas de retrouver tous ses titres, de Black Science à Low en passant par Tokyo Ghost, Southern Basterds ou encore The Goddamned, chaque mois dans les rayons des comics shops !

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