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Birdman or (The Unexpected Virtue of Ignorance), la critique

Birdman or (The Unexpected Virtue of Ignorance), la critique

ReviewCinéma
On a aimé• Un film au propos utile et sain
• Une vraie envolée de réflexions et de secondes lectures
• Des acteurs au SOMMET
On a moins aimé• Une distribution chaotique
• Iñárritu tape sur une seule et unique cible
• Michael Keaton ressemble de moins en moins à Julien Lepers
Notre note
Si l'ironie veut que la France soit choyée par les majors sur lesquelles tape le réalisateur de Birdman tout au long de son film, en avançant par exemple la sortie d'Avengers - Age Of Ultron de deux semaines avant son moment de vérité aux USA, on notera que le pays de Molière est également l'un des derniers à accueillir Birdman en salles, puisque le film du génial Alejandro G. Iñárritu sortira le 25 février chez nous, quelques dizaines de jours après sa mise à disposition sur les réseaux pirates. 

Mais plutôt que de céder à la tentation de savourer ce chef d'oeuvre sur votre écran personnel, et malgré le peu de soin apporté à la distribution de cette merveille sur nos terres, nous ne pouvons que vous encourager d'écumer les avant-premières du film qui se déroulent un peu partout en France ces jours-ci, à l'image de l'Absurde Séance hier soir à Nantes - un festival local et régulier qui vous proposera bientôt une première française tout bonnement hallucinante pour les amoureux de Tarantino. Mais plutôt que de pointer les errements de l'industrie, parlons plutôt de ce premier long-métrage offert par un réalisateur qui ne s'était plus prêté à l'exercice depuis 2010 et Biutiful. D'autant que l'industrie, c'est pleinement de ça dont il s'agit ici.
 

"Le problème, c'est que j'ai survécu à ma fortune."

Remonté par la tournure que prennent les évènements à Hollywood (la preuve en est, Birdman est aujourd'hui présenté dans de petits festivals de genre, là où il aurait constitué une sortie majeure il y a quelques années encore), Iñárritu compte bien régler ses comptes avec les producteurs fallacieux d'Hollywood, ces licenciers qui sacrifient la qualité sur l'autel de la production de masse, appliquant plus que jamais la triste sentence jamais reprise mais toujours suggérée par le réalisateur : Nihil Novi
 
La cible du Mexicain ? Les Super-Héros, ces aberrations en collant qui trustent les agendas des meilleurs acteurs d'Hollywood, de ceux qui n'ont pas besoin de se refaire au théâtre, cachés derrière leurs airs de "Big man in a suit armor". Et la question que Iñárritu poserait à l'homme hors du temps qu'est Steve Rogers : "Take that away, what are you ?"
Si je regrette que le réalisateur s'attarde uniquement sur les productions Super-Héroïques plutôt que sur la dégradation commerciale d'un cinéma qui couronne le médiocre Transformers 4 comme plus gros succès de 2014, quand les mêmes "génocidaires culturels" prennent des risques et lancent des projets tels que Guardians of the Galaxy et Daredevil, difficile de lui donner tort quand il évoque l'emprise vampirisante de ce qui est devenu un genre dans le sillage de Marvel Studios à l'heure où les autres films peinent de plus en plus ne serait-ce qu'à exister. 
 
Bien aidé par la dimension absolument méta de son casting (avec un Michael Keaton qui campe son propre rôle d'ex-Batman - les droits l'ont transformé en oiseau à pouvoirs, mais sa voix-off ne trompera personne, une Emma Stone tout juste sortie de Sony et The Amazing Spider-Man et un Edward Norton qui revient régler ses comptes à distance avec Kevin FeigeLouis Leterrier et la production chaotique de The Incredible Hulk), le réalisateur commence alors à déployer ses ailes et son véritable message, derrière l'attaque froide à ces acteurs (les noms volent : Downey Jr, Renner "That guy from The Hurt Locker. Well, he's an Avenger"...),  qui font le choix de rentrer dans les rouages du système par le biais d'un rôle à priori innocent, coupable de ce "génocide culturel" par omission aux yeux du Mexicain. 
 

"Forget about the Times. Everyone else has."

Dans une des nombreuses saynètes majeures qui compose son film, Iñárritu s'en prend à la critique, et particulièrement à l'élite de celle-ci. S'en suit un dialogue en forme de labyrinthe, bourré de double-sens sur le rapport artiste / critique et sur les incompatibilités impondérables qu'engendrent de telles relations. Ainsi, la journaliste star représente le danger fainéant (à travers son simple papier) face aux centaines d'heures de travail et aux dizaines de sacrifices, autant que l'indicible vérité, de celles qui font réfléchir sur l'inattendue vertu de l'ignorance, l'autre nom de Birdman.

Et c'est là que le film prend son envol, lorsque l'on quitte la première lecture méta-industrielle portée par ses acteurs et leurs bagages, pour laisser la place au propos du réalisateur, signifié de manière presque subliminale dès l'écran titre du métrage : l'amour et la vacuité - et la balance qui naît de la relation entre ces deux immenses pans philosophiques. Ouvrant son film sur une magnifique citation de Flaubert qui oppose (très sainement) la réussite égotique aux vrais accomplissements de la vie, le mexicain pose le ton très clairement : il n'est pas trop tard pour se rendre compte que vous n'êtes rien mais que l'amour ("cet amour") est absolu. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'Iñárritu utilise Raymond Carver (un poète majeur et jusqu'au-boutiste du 20ème siècle) par le biais de son producteur / scénariste / acteur qui l'adapte à Broadway pour mieux relancer sa carrière d'acteur et sa psyché défaillante depuis 1992 et son refus de camper Batman une troisième fois, sans se plier à la logique d'art pour l'art défendue toute sa vie par l'auteur de What We Talk About When We Talk About Love.  
 
Bien conscient de la portée philosophique développée de la première à la dernière lecture de son film, le réalisateur va d'ailleurs consacrer son film à cette réplique que ne renieraient pas les dreadlocks de Sinsemilia : "Heureux le simple d'esprit, 2000 ans que c'est écrit, aujourd'hui j'ai compris." Ainsi, chaque scène, qu'elle évoque des enjeux majeurs et/ou des relations du quotidien tourne autour de la même idée : tout est vain (la réussite, la fortune, la célébrité - qu'il oppose avec malice au prestige), mais ce n'est pas une raison pour délaisser l'amour.

Les valeurs et les sentiments développés par le réalisateur dans chacune de ses scènes semblent en perpétuelle circonvolution autour de l'amour et de cette idée que l'ignorance peut constituer une vertu dès lors que l'on n'est pas prêt à affronter la vérité la plus crue, pour des raisons nées dans le surmoi social de chacun, et son rapport à l'autre, aux autres. Fin conteur, Iñárritu délivre même un message qui lui est cher au travers du (superbe) personnage d'Emma Stone, adolescente perdue et fille de Michael Keaton, elle qui cite son programme de désintox pour expliquer une idée très bien mise en images par ici : http://hereistoday.com. Qui que vous soyez, vous n'avez pas le droit à la prétention d'être davantage qu'un grain de sable dans le désert que constitue la Vie. Le réalisateur choisit plutôt l'image du papier toilette, mais vous saisissez l'idée. 
 

"Vous ne faites qu'étiqueter, quand considérerez-vous la technique, l'émotion et l'intention ?"

Aussi dingue que cela puisse paraître, malgré les qualités évidentes de l'attaque industrielle à l'acide proposée par Birdman, le film repose bel et bien sur la technique, l'émotion et l'intention si chère à Michael Keaton et, par extension, à Alejandro G. Iñárritu. Toujours aussi à l'aise avec cette idée d'être autant dans le génie que dans la retenue, le Mexicain livre une performance tout bonnement hallucinante en tournant l'intégralité de son film en plan séquence - on notera quelques triches, que vous ne manquerez pas d'opposer à l'intention, avec des plans complètement noirs pour les besoins de son montage. C'est d'ailleurs là aussi une nouvelle lecture du film, qui traite du théâtre et de Broadway, une pratique connue comme palliative pour les acteurs en mal de reconnaissance massive qui voient dans le théâtre la médiatisation élitiste qu'il leur faut. En présentant son film dans les conditions du direct grâce au plan séquence, le réalisateur livre une profonde réflexion sur les liens entre le 6ème et le 7ème Art. Le premier  est-il réellement meilleur que l'autre, ou tout ceci n'est-il qu'une question d'intentions ? 
 
On notera, au passage, que la direction artistique du film est une nouvelle fois ahurissante, elle qui n'est pourtant pas aidée par l'ambition démesurée d'un film intégralement tourné en un plan. Des décors (sublimes de Broadway, dont on découvre ici les coulisses) à la mise en scène, tout est parfait, particulièrement quand le fantasmagorique rencontre le burlesque pour mieux se muer en drame, qu'il apparaisse grotesque ou non. D'Amours Chiennes à Babel en passant par 21 GrammesIñárritu ne fait que renforcer son image de génie insolent.
 
Enfin, comment passer à côté de la virtuosité qui s'affiche lorsque la bande son jazzy du film vient s'ajouter à merveilles à la réalisation au scalpel de celui-ci ? Là aussi, le réalisateur prouve que le soin et l'intention valent bien mieux que les pétro-dollars, et livre une partition soignée de la première à la dernière scène, bien aidé par un casting ahurissant, dont les mentions très bien incombent à Michael Keaton, Emma Stone, Zach Galifianakis (en agent / confident / producteur d'une ex-star), Edward Norton (en enfant gâté du cinéma, qui n'a pas oublié son passage chez Fincher et Palahniuk) et Naomi Watts.
 
 
Présenté comme un film coup de poing contre les dérives actuelles d'Hollywood et son accumulation vampirisante de Super-Collants au cinéma, Birdman est finalement bien plus qu'un pamphlet contre le Triple A. Alejandro G. Iñárritu y livre un film profond et utile sur la prépondérance de l'amour face à la vacuité, le tout bien aidé par son génie de réalisateur, qui mêle à la perfection la technique et l'intention. Un chef d'oeuvre. 
 

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Sullivan
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