Avouez-le, vous avez eu envie de tuer le sale c** qui vous a fait une queue de poisson sur la route ce matin. Ou la vieille qui a laissé son sale clébard faire ses besoins sur le trottoir. Ou le gros relou qui s’est bien collé à vous en boîte hier soir. Maintenant imaginez que vous ayez pu les tuer. Facilement. Un baiser et c’est tout. L’auriez-vous fait ? Et si vous aviez dû ?
Bienvenue dans le monde de Soul Kiss, la mini-série de Steven T. Seagle (American Virgin, Uncanny X-Men) et Marco Cinello, publiée chez Image après une tentative avortée en tant que web comic.
Mais commençons par le commencement. Une route dans le désert. Une vieille bagnole dont le moteur choisit évidemment ce moment pour rendre son dernier soupir. Et un type modèle super louche qui propose son aide. La journée avait bien mal commencé pour Lili (ne l’appelez surtout pas Lillian). Et ça allait encore empirer.
Déjà parce qu’en effet le bon samaritain est loin d’en être un et entend bien se faire payer pour ses services... Oh et puis au diable les euphémismes : il entend bien violer la malheureuse Lili. Au diable… C’est l’expression adéquate.
Parce que le prince des mensonges entendra la prière de la demoiselle en détresse. Il la sauvera. Un nuage de mites dévorera l’immonde pervers. Mais tout a un prix quand le Diable est impliqué. Et celui que devra payer Lili sera très élevé. Ou plutôt d’autres devront le payer, du moins en premier…
Car chaque baiser de Lili sera désormais mortel. Et le premier à le découvrir sera Damon, son petit ami, que la jeune femme aime passionnément. Assez pour refaire appel à celui qui l’a mise dans cette situation. Et un nouveau pacte est scellé avec le diable. Dix âmes pour en récupérer une. Dix personnes qui devront recevoir le baiser de la mort, littéralement.
Et l’histoire peut réellement commencer. Ou plutôt la descente aux enfers de Lili, pour rester dans le thème. Car le parti pris de Steven T. Seagle en termes d’écriture est de centrer TOUTE sa narration sur la jeune femme. Elle est même pour ainsi dire le seul personnage de l’histoire. Oh, elle interagit avec certaines de ses victimes, mais ce ne sont pas ces dernières qui comptent.
Ce qui compte, c’est la façon dont elle utilise le pouvoir qui lui a été conféré. Au début c’est par vengeance, envers un patron tyrannique. Puis en justicière, contre un petit délinquant. Et d’autres suivront, dans une spirale destructrice autant qu’autodestructrice.
Et il est tout aussi fascinant d’assister aux moments où Lili décide finalement de ne pas agir. De voir comment un petit acte de gentillesse peut changer la façon dont on perçoit l’autre. Ou comme on peut être tenté d’abuser d’un tel pouvoir, mais réaliser l’horreur d’un tel acte justement quand il est si facile à commettre.
Lili s’avère extrêmement complexe, et le manichéisme n’est jamais de mise. Elle n’est pas parfaite, mais elle n’est pas une psychopathe non plus. Et elle évolue au fil du récit, poussée par le désespoir, et ce sentiment d’être prisonnière d’une situation qui la dépasse complètement.
Au-delà de la trajectoire personnelle de Lili, l’histoire n’est pas en reste, surtout à partir du moment où il ne manque plus qu’une victime à offrir au seigneur des enfers. Le twist final est très bien trouvé et vient apporter une conclusion remarquable à l’intrigue, tout en donnant un coup de pinceau final au portrait de Lili qui s’est dessiné tout au long du récit.
L’autre aspect qui fait tout l’intérêt de Soul Kiss, c’est sa patte graphique. Le style de l’italien Marco Cinello est assez inclassable. C’est cartoony, très percutant. Et l’horreur de chaque mort est parfaitement retranscrite, avec un style qui change radicalement. Les contours des cases disparaissent, les silhouettes se font difformes. Le travail sur les couleurs est admirable, contribuant en permanence à la création d’une ambiance. Enfin mention spéciale au design du Diable, à la fois drôle et monstrueux.
Soul Kiss est donc une sorte d’ovni du comic. Un pitch exploité superbement, pour un résultat qui tient parfois de l’essai, tout en n’oubliant jamais de raconter une histoire. Tout tourne autour de l’héroïne, mais elle est si intéressante qu’on ne s’en plaindra sûrement pas. Et la patte graphique si particulière achève de conférer un charme inimitable à ce titre. A lire, donc, en se rappelant de toujours prendre garde à ce qu’on souhaite…