Dans les standards modernes, Marvel applique une période d'essai plutôt stricte sur les lancement de produits : les séries sont généralement commandées pour un espace clos de dix numéros, et ensuite, hors cas exceptionnel, l'enseigne peut alors décider de prolonger ou de renouveler l'expérience. Faute de mieux, ce maigre indicateur nous permet d'ailleurs de mesurer les performances économiques de certains concepts. Et pour cette fois, l'information est plutôt utile : peut-être que les fans en ont enfin eu assez des comics symbiotiques, de Venom, de Carnage et d'Eddie Brock... au point de ne plus forcément répondre présents en toute circonstance. Il faudra probablement attendre le reste de l'année pour tester cette hypothèse, mais pour l'heure, une chose est sûre : la série Eddie Brock : Carnage ne sera pas poursuivie.
Et pour préciser : cette règle des dix numéros avait bien été confirmée par le président de Marvel Comics, Dan Buckley, lors d'une entrevue publiée au mois de mai 2025 sur le site ICV2. Conscient des réalités contemporaines, celui-ci avait effectivement posé les bases de cette nouvelle façon de faire, en estimant au passage que l'objectif était de pousser plus loin cette norme de validation dans l'espoir d'atteindre plus tard des objectifs de commandes supérieurs. En misant sur des projets validés pour quinze à vingt numéros lorsque le marché le permettra. En attendant, les règles ont le mérite d'être claires, et la série Eddie Brock : Carnage n'a pas survécu au commandement (littéral) du "marche ou crève". Sur les réseaux sociaux, son scénariste, Charles Soule, a confirmé que le projet avait bien été annulé. Il prendra fin au mois de novembre avec la sortie du dixième numéro.
Plutôt tournée vers l'horreur, cette petite aventure partait d'un point de départ plutôt original : dans la foulée de la Venom War, Eddie Brock et Carnage avaient été obligés de s'unir pour survivre. Désormais liés, les deux parias devront tenter de trouver un point d'équilibre... l'un étant encore obsédé par sa croisade de justice, et l'autre obnubilé par l'idée de tuer, de tuer encore, de tuer pour le plaisir, de tuer toujours plus. Dans une logique de comics façon Dexter, le nouveau Carnage se lancera sur les traces d'autres meurtriers... tout en causant au passage un certain nombre de massacres dans son sillage. Le projet était finalement plus proche de l'esprit original des comics Venom, avec un Brock tourmenté par le poids de ses démons et habité par une créature plus violente et incontrôlable que son costume noir habituel. Au passage, Jesus Saiz s'en sortait plutôt bien du côté des dessins.
Mais alors, pourquoi ? Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que Marvel finisse par épuiser sa poule aux oeufs d'or ? Depuis la période de Donny Cates, les comics Venom semblaient pourtant en bel état de forme, avec au moins un événement tous les ans, de multiples produits dérivés, un multivers, de nouveaux personnages et une logique de saga familiale soutenue. On peut se demander si le travail d'Al Ewing sur cette mythologie (et l'intrigue de Venom War en particulier) a véritablement porté ses fruits, dans la mesure où le comics All-New Venom s'est finalement rapproché de l'univers de Spider-Man, en abandonnant pour un temps le plan "cosmique" et l'autonomie des volumes précédents.
Ou peut-être que Carnage reste un symbiote un peu moins populaire ? Ce n'est pas impossible : la créature a tout de même eu droit à trois volumes distincts en l'espace de trois ans, avec ceux de Ram V (2022) et Torunn Gronbekk (2023) avant celui de Charles Soule (2024). Et pour ces différents cas de figure, le constat est généralement le même. Un nouveau porteur, une proposition tournée vers le motif des tueurs en série, pour des séries incapables d'excéder les quinze numéros. Il va peut-être falloir réduire un peu la voilure... ou proposer un peu de sang neuf.