L'artiste Ken Kelly s'éteint à l'âge de soixante-seize ans. Le décès a été confirmé il y a quelques jours par plusieurs de ses amis proches, suscitant une vague d'émotion parmi les fans de Hard Rock et dans les rangs des amateurs d'un certain style de dessin. Peintre, illustrateur de couvertures pour les revues de Warren Publishing, l'héritier direct de Frank Frazetta était surtout connu du grand public pour ses pochettes d'albums pour quelques uns des grands groupes des mouvements Heavy Métal (Manowar) ou Glam Métal (KISS), en plus de nombreuses, nombreuses contributions aux devantures de périodiques inspirées par la technique de son mentor. Pionnier des imaginaires de la fantasy des comics dérivés de Conan le Barbare, le coup de pinceau de Kelly se sera retrouvé sur les façades des anthologies Eerie, Creepy, Vampirella, Star Wars et Heavy Metal Magazine.
Générations de Grands Barbares
Né en 1946, Ken W. Kelly développe dès son plus jeune âge une passion et un talent naturel pour le dessin. Formé à l'adolescence par une professeure de dessin, qui lui déconseillera d'envisager un cursus classique en école d'art susceptible de casser son habileté d'autodidacte, le jeune homme préférera s'engager dans l'armée américaine au sein du corps des Marines en 1965, pour un service de quatre ans. Déployé au Vietnam et en garnison dans la Baie de Guantanamo, il s'attachera à parfaire son style, en réalisant notamment les couvertures de la Guantanamo Gazette, une revue destinée aux soldats et familles de soldat en station dans cette base navale, sous mandat américain.
Lors de son service, Kelly découvre également le travail de l'artiste Frank Frazetta, génie du pinceau et l'époux de sa tante, Eleanor Frazetta née Eleanor Kelly. Après la mort de son père, et au retour de ses années dans les Marines en 1968, le jeune homme se rapproche de son oncle. Celui-ci deviendra rapidement une figure paternelle de substitution. Il partage avec Frazetta cet amour de l'art pictural, doublé d'un imaginaire commun : versé dans l'épouvante, le fantasque barbaresque, les mondes d'épées, de cavaliers et de dragons.
Heureux d'accueillir le jeune homme, Frazetta prend Kelly sous son aile et le forme à l'art de la peinture pendant plusieurs années, acceptant de lui transmettre sa technique tout en laissant le talent naturel de cet héritier involontaire s'exprimer sur la toile. En 1970, le mentor estime que l'élève est prêt à prendre son envol. Il persuade James Warren, éditeur-en-chef et fondateur des éditions Warren Publishing, de prendre son neveu sous contrat pour une série de couvertures, à commencer par la série Vampirella.
Une anecdote célèbre dans cette grande opération de passage de flambeau intervient sur la couverture de Vampirella #6, réalisée par Kelly à l'exception d'un visage de jeune femme. Frazetta estimera que l'expression du personnage n'était pas suffisamment frappante, et repassera sur le travail de son neveu pour corriger quelques traits. L'héritier enchaînera alors sur une longue série de commandes chez Warren, avec plusieurs dizaines de couvertures pour les séries Eerie et Creepy. L'oncle Frank se remémorera plus tard ces premières années de formation, en évoquant notamment leur travail en commun dans l'ouvrage The Art of Ken Kelly (1990).
"Depuis le jour où il est venu frapper à ma porte, et pendant à peu près cinq ans, Ken venait à mon studio tous les weekends, qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il grêle. Il me regardait travailler et nous échangions sur la quantité infinie de techniques et d'approches de la peinture. Ce à quoi il fallait faire attention, ce qui était plus dispensable, ce qui fonctionnait, ce qui ne fonctionnait pas. Il était comme une éponge qui absorbait tout, jusqu'au moindre détail. Sa passion était incroyable ! Je ne pouvais pas en croire mes yeux.
Il n'avait aucune formation concrète dans le domaine des arts au préalable, mais son talent naturel commençait à se déployer. Il devenait vite de plus en plus doué, ce que j'attribue surtout à son désir de peindre. C'est ce qui a fait que notre relation a fonctionné. C'est pour ça que j'ai continué à lui enseigner."
Plus tard, dans le champ littéraire, Kelly deviendra l'un des spécialistes des imaginaires de fantasy en signant les couvertures des romans de la série "Horseclans" de Robert Adams, ainsi que sur différentes éditions des romans Conan le Barbare de Robert E. Howard. En 1975 et 1977, il réalise une série de peintures au service du groupe KISS, qui cherchait à embaucher Frazetta. Suite au refus de ce-dernier pour cause d'indisponibilité, le batteur Peter Criss recommandera de se tourner vers Kelly. Deux des trois illustrations seront utilisées - la première ayant été rejetée par le label du groupe, jugée trop extrême - pour les pochettes des albums Destroyer (1976) et Love Gun (1977).
La renommée internationale du collectif facilitera la reconnaissance de son travail, et le bonhomme devînt plus tard l'un des illustrateurs officiels du groupe Manowar, avec qui il collaborera pendant plus de vingt ans sur les pochettes des albums Fighting the World (1987), Kings of Metal (1988), The Triumph of Steel (1992), Louder than Hell (1996) et Gods of War (2007), où son imaginaire guerrier sera mis à bonne contribution.
Après s'être éloigné de l'industrie des comics à l'exception de quelques commandes occasionnelles (jusqu'à l'an dernier pour la couverture de
Heavy Metal #308),
Kelly travaillera à la conception des jouets
Micronauts, sur le jeu de rôle papier
Conan: Adventures in an Age Undreamed Of, et sur différentes toiles exposées en galeries et commercialisées sur le marché des collectionneurs. A la fin des années quatre-vingt dix, il livrera une série de douze couvertures pour
les séries Star Wars de Dark Horse (
Prelude to Rebellion et
Outlander), son dernier travail suivi en régulier sur une bande-dessinée éditée au format mensuel.
L'annonce de la mort de
Ken Kelly sera l'occasion de nombreux hommages, de la part des membres du groupe
KISS et des amateurs de cette école de peinture, incarnation d'une période à part entière dans la mutation de l'iconographie et de l'imaginaire des genres. Le dernier de l'âge d'or du médiéval fantastique, de l'horreur, et la science-fiction, dans la lignée de
Richard Corben,
Frank Frazetta ou
Grey Morrow, artisans de magnifiques couvertures qui chargeront la bande-dessinée d'un autre temps d'atmosphères uniques et invraisemblables, porte ouverte vers de fascinants univers où tout semblait possible. Au détour des hommages rendus par
Gene Simmons,
Peter Criss ou par le bassiste de
Manowar,
Joey DeMaio, l'artiste
Mahmud Asrar, passé récemment par le personnage de
Conan pour
la mini-série de clôture à l'exploitation du personnage par
Marvel, fut l'un des nombreux dessinateurs à saluer le départ du géant.
