En ce début du mois de juin, un bref coup d'oeil au calendrier des sorties montre que la reprise est de plus en plus importante, avec une palanquée de publications surtout du côté de la VF (on espère que vous aviez pu mettre de côté ces derniers mois). En VO aussi, les éditeurs se remettent dans le bain, et la quantité de comics est telle qu'une fois de plus, la Checklist est là pour mettre l'accent sur les titres qui font l'actualité et ceux qu'on vous invite à suivre (parce qu'ils intriguent, ou parce qu'ils sont bons, tout simplement).
Bien entendu, notre Checklist Comics, dont on chante les louanges chaque dimanche (à ce qu'il paraît), ne saurait être exhaustive et comme à chaque épisode, on vous rappellera que la section commentaires vous est dédiée. De fait, vous pourrez ainsi nous faire part de votre propre sélection et de vos choix de lectures afin d'en faire profiter tout le monde. L'essentiel est que vous passiez une partie de votre temps libre consacré à la lecture de comics qui vous ravissent. Bonnes lectures !
Après s'être cogné contre les murs de la censure propres à DC Comics, Brian Azzarello a trimballé ailleurs ses envies de kikis et de sorcellerie (aucun lien avec la petite héroïnes de Miyazaki, on parle ici d'organes sexuels et de rites païens). En dépit de son intrigue désordonnée, Faithless avait su conquérir le public pour les dessins assez superbes de Maria Llovet, à l'aise dans cette suspension de réalité de thriller érotique évoluant au gré des ambiances dans un ensemble tortueux de cauchemars, de quotidien confortable et de noirceur soudaine et hallucinée. La suite devrait mettre la jeune peintre/sorcière face à l'identité réelle de ses deux compagnons de jeu. Peu à peu, Faith devrait sombrer dans les ténèbres et découvrir la nature réelle de ses pouvoirs. Pour Azzarello, une bulle d'air. Pour les lecteurs, une curiosité.
Le nouvel éditeur indépendant AWA se remet petit à petit des déconvenues causées par la pandémie de Covid-19 pour proposer petit à petit ses titres labellisés Upshot. On retrouvera cette semaine le premier numéro du titre Old Haunts, fomenté par deux auteurs habitués des polars et des récits sombres, Rob Williams (Unfollow, The Royals) et Ollie Masters (Snow Blind, The Kitchen), pour une intrigue qui irait lorgner du côté des Affranchis avec un gros soupçon de surnaturel. Trois hommes de la mafia doivent reprendre du service quand des fantômes du passé viennent littéralement resurgir. Profitant de dessins poisseux sur lesquels Campbell ne lésine pas à l'encrage, la mini-série devrait réussir à séduire les amateurs du genre. En tout cas, par pure curiosité, on vous recommande de jeter un oeil sur les productions AWA de façon plus générale.
Un second numéro (sur un total de huit) pour le nouveau titre de Hickman, qui nous emmenait dans un univers de science-fiction aux inspirations consquitadores, dans lequel les planètes colonisées sont à la proie d'un virus contre lequel la solution sera de prendre une assurance cryogénisation pour pouvoir vous assurer assez de temps à votre famille pour qu'elle puisse payer le traitement. A côté, l'ouverture nous présentait une redoutable assassin et une livreuse qui lui apportait sans le savoir un outil à la puissance destructrice considérable. Où tout cela mènera-t-il ? Avec le scénariste qui pose son histoire en même temps qu'il construit son univers, on sent que tout sera toujours plus dense et enivrant. Pari réussi puisque l'on revient aujourd'hui sur un second numéro, aussi - et surtout - pour les illustrations SENSATIONNELLES de Mike Huddleston, qui use d'un dessin en noir & blanc auxquels se joignent des couleurs folles, des planches toutes en peintures, des idées et des formes surréalistes. Un bordel de voyage pour tous les sens, et déjà l'un des coups de coeur de l'année. Foncez.
Plus que jamais dans le contexte sociétal actuel, un titre comme Bitter Root se révèle vital pour l'industrie des comics, pour la pop culture, pour la diversité dans et hors papier. Walker et Greene poursuivent les aventures de la famille Sangerye contre les horribles monstres qui pullulent et qui dérivent du racisme et de la haine des noirs. Toujours aussi coloré et riche dans ses dessins, le propos appuyé par Walker fait évidemment mouche, mais se développe aussi dans la narration, pour dépasser son cadre d'oeuvre à message et livrer une action proprement divertissante. On reste toujours aussi épaté devant le bestiaire que Sanford Greene nous propose, avec des personnages aux caractères bien trempés, et des rebondissements à chaque chapitre. On ne s'étonne pas que Bitter Root ait été une fois de plus nommée aux Eisner, et on vous rappelle que le premier tome est toujours disponible chez HiComics, d'ailleurs.
Dans la longue liste des oeuvres empruntant les codes esthétiques des annees 1980, Space Bandits, sous le crayon de Matteo Scalera, décalque l'excentricité de cette culture pop' d'antan dans un cadre de Thelma et Louise cosmique. L'artiste s'amuse avec les garde robes de ses deux héroïnes, l'ensemble bariolé d'un monde dense qui pille chez Métal Hurlant et George Lucas quelques ambiances, appareils ou caractères bien marqués. On retiendra le lézard télépathe, les fringues et la prison creusée dans le cadavre d'un immense dieu homard - en résumé, c'est très bien tant qu'on n'oblige personne à lire les dialogues. Passé un concept marrant au départ (comme d'hab'), Mark Millar exécute une histoire dirigiste et sans surprises (comme d'hab') aux personnages interchangeables et qui tente de se réfugier dans le cool du graveleux sur la fin en espérant peut-être encore caresser dans le sens du poil ses vieux fans nostalgiques du génie d'autrefois. Le bonhomme se dépatouille de justesse en posant suffisamment de bonnes idées pour le réalisateur ou la réalisatrice qui récupérera ces deux chouettes héroïnes. Millar fait l'effort de coller au besoin de représentativité du présent dans la forme, mais en ne changeant jamais sa méthode de travail ou son implication dans les projets, laissant avec ces boulots un témoignage pour l'engagement cosmétique ou racoleur au détriment de réelles convictions (on appelle ça la tactique Biden). On lira pour les dessins et pour se préparer en attendant le film, sans plus.
Nouvelle entrée en VF du Black Label d'Urban Comics parmi les créations originellement pensées pour cette nouvelle enclave de DC Comics. Pour les amoureux d'Harley Quinn et les fans de Mad Love qui en voudraient une version plus esthétisée, plus glamour et peut-être un peu trop justement - on rappelle que la relation entre Harley et le Joker est une dénonciation de la masculinité toxique et des relations abusives, mais soit. Sous le trait de Stjepan Sejic, on a donc une nouvelle vision sur une histoire que tout le monde connaît. Plongée donc aux côtés de la jeune Harleen Quinzel, qui sombrera peu à peu dans la folie au fil de ses entretiens avec ce criminel au sourire énigmatique et qui semble pourtant si charmant. Rien de neuf dans le récit, mais pour qui aime la patte (numérique) de Sejic, autant vous dire que vous serez servis par un ensemble très joli, dont on soupçonne, connaissant les autres travaux de l'artiste, qu'il aurait aller vers un côté plus charnel qui aurait accentué le côté adulte de l'histoire - et pu mettre mal à l'aise justement égard à cette relation somme toute pas si romantique que ça. Reste un tome (grand format) abordable, qui capitalise bien sur ses icones. Du travail de commande, mais bien réalisé, on ne dit pas forcément non.
De Moebius à Frank Miller, en passant par les soeurs Wachowski, Geof Darrow aura tenu compagnie à quelques unes des figures les plus influentes de la culture moderne. En solitaire, le bonhomme donne suite à son héros taiseux et bagareur de Bourbon Thret (1986) avec les aventures du Shaolin Cowbloy, au croisement hasardeux des prouesses de Miyazaki, Koike et Kojima, Métal Hurlant, Kitano, Zatoichi ou peut-être aussi Toriyama et Otomo. À travers un désert de wasteland, le Shaolin Cowboy avance, silencieux, prompt à défourailler les punks crasseux qui se présentent à lui, ou affronter en duel le crabe revanchard expert en kung fu. Une lutte sans fin peuplée de pages extraordinaires, à la croisée des chemins entre le symbolisme hallucinée de Jodorowsky et les âneries gamines de Crisis Jung. Entre génie et bêtise, avec cette excellence graphique systématique du fils caché de Moebius, l'édition Futuropolis fait suite à la version "zombies" de Glénat pour caler un trou dans la collection des chineurs de BDs à la marge, et pour les amoureux du génie Darrow. On valide, surtout avec ce superbe grand format qui fait l'honneur que les planches de Darrow mérite, en attendant Matrix 4.
Du côté de Delcourt on enchaîne à un rythme soutenu la publication de l'immense Stray Bullets de David Lapham (ou bien c'est qu'on est tellement sous le flux des parutions qu'on s'est à peine rendu compte que déjà ce troisième tome arrivait). Monument du polar hard boiled, le titre est proposé dans cette superbe édition, très costaud, qui continue de nous emmener dans une galerie de portraits tous plus noirs et acérés les uns que les autres. Femmes fatales, petits bandits ou grands criminels, un cocktail d'émotions fortes qui profite du dessin sans concessions de Lapham. A ranger dans le rayon monuments de la BD américaine de votre bibliothèque.
La voilà ! Dans la longue liste des réimpressions motivées par le succès de la série Arrow, à l'époque, beaucoup espéraient que la série The Longbow Hunters de Mike Grell connaîtrait une seconde jeunesse. Il fallut s'armer de patience, mais, enfin, le relié pourra rejoindre ses héritiers Andy Diggle et Jeff Lemire dans les rayons de bibliothèques consacrés à l'Archer Vert. Daté du Dark Age, Longbow Hunters se présenterait comme le Dark Knight Returns d'Oliver Queen - pas nécessairement sur le plan de l'âge, mais sur celui d'un héros rétro' redevant plus incisif, dans un environnement plus brutal, plus violent. Dans le chaos des rues, l'Archer renonce à ses flèches gadgets et son chapeau de Robin des Bois pour retrouver l'arc en bois aux lancers mortels pour traquer un tueur en série. Révolution dans la perception de ce héros atypique, Longbow fait partie des chefs d'oeuvres à posséder sur le justicier, avec de superbes pages peintes emblématique de cette transition.
La troisième mini-série qui fait se croiser les univers de Batman et les Tortues Ninja arrive cette semaine chez Urban Comics, qui cette fois a compris les supplications légitimes du lectorat avec un grand format cartonné qui fera honneur aux planches du généreux Freddie Williams II. Et on aurait tort de s'en priver, car ce troisième volume ne porte pas son nom pour rien. Il ne s'agit plus de rencontre des univers mais bien d'un mélange, puisque les Tortues vont s'improviser sidekicks du Chevalier Noir avec costumes et attirail qui rappellera les alliés habituels de Batman, tandis que les vilains vont aussi avoir droit à leur changement de look qui va bien. A la façon d'un Power Rangers/TMNT avant l'heure, le crossover fonctionne toujours aussi bien, parce que Tynion IV et son artiste sont de vrais amoureux des licences invoquées, et que la générosité prime sur un scénario qui n'est de toute façon que prétexte à un pur moment de divertissement. Avec une édition qui rend justice au dessins, difficile cette fois de passer à côté.