"Dans l'Oeil du Psy" est une rubrique qui propose d'éclairer l'univers de la culture comics et geek par le prisme de la psychanalyse. Pour y apporter un regard différent et inédit sur ce que nous croyons connaître déjà , mais qu'il s'agit parfois de regarder.. Ã deux fois!
Disclaimer : cette chronique a été rédigée en intégralité par Alex Hivence
Psychanalyste dans la vraie vie, il analyse sous son identité secrète la psyché et la personnalité des héros de la culture comics, manga, et geek.
Tout le monde connaît le Silver Surfer. le Surfeur d'Argent est, depuis sa création en 1966 dans les pages de Fantastic Four, devenu une figure mythique. Cette figure argentée arpentant le cosmos sur sa planche a traversé de nombreuses aventures. Il est à la fois en proie aux tourments de l'âme et connaît une liberté sans fin parmi les merveilles qui l'entourent. Il est à la fois investi d'un pouvoir cosmique, et régulièrement inféodé à Galactus, le dévoreur de planètes. Il est à la fois le sauveur de sa planète Zenn-La pour laquelle il se sacrifia, et plongé dans une détresse insondable. Est-ce là une somme de paradoxes, ou existe-t-il un dénominateur commun permettant de sonder l'âme de notre Surfer à la peau argentée ? De quoi le Silver Surfer est-il le nom ? Que révèle-t-il sur le plan psychique qui peut nous éclairer sur notre rapport au monde. C'est ce que nous allons tenter de dévoiler ici, Dans l' Œil du Psy !
Le Silver Surfer est à l'origine un habitant de la planète Zenn-La, planète paisible et utopique ayant atteint un tel niveau de civilisation que les guerres, la faim, la misère, et les crimes ont disparu. Zenn-La est dès lors un Eden où ses habitants se consacrent à la science et aux arts. Norrin Radd, qui n'est pas encore le Silver Surfer, vit sur cette planète auprès de son amour de toujours, Shalla-Ball. Contrairement aux autres habitants de Zenn-La, Norrin ne profite pas pleinement de cette vie sans aventures ni risques. Il rêve de défis et de luttes, se plonge dans l’histoire de sa planète afin de revivre l’antique passé aventureux de Zenn-La. A l'arrivée de Galactus, le Dévoreur de planètes, et face à la menace de la disparition de son monde, Norrin Radd choisit d'aller à sa rencontre pour lui proposer un marché : il accepte d'être son héraut, lui cherchera des planètes pour assouvir sa faim, s'il épargne sa planète Zenn-La. Galactus accepte cette offre, et nous connaissons la suite. Il lui confère des pouvoirs cosmiques, une peau argentée le protégeant de tous les dangers de l'univers, et une planche sur laquelle se déplacer à des vitesses phénoménales dans cet Univers infini. Il est désormais à jamais le héraut du Dévoreur de planètes, dans une destinée sans retour. Le Silver Surfer est né.
La genèse du Silver Surfer évoque ainsi d'emblée le deuil et la perte. Renonçant à sa planète il perd ainsi la possibilité de revenir sur sa planète d'origine, et perd son amour de toujours. Le Silver Surfer remplira sa mission pour son Maître Galactus, non sans se lamenter de la perte infinie qui est la sienne, sa planète et son amour à jamais perdus. Il traîne ainsi dans son sillage ce deuil et son affliction permanente, cette tristesse éternelle liée à une perte irréversible. Un deuil qu'il a lui-même initié puisqu'il s'est sacrifié. Et tandis qu'il aurait pu s'enorgueillir de cette place de héros, et de la satisfaction d'une vie pleine d'aventures à laquelle il aspirait, le Surfer ne cesse de faire part à l'univers muet de ses lamentations et de sa détresse. Ce renoncement, cette perte et ce deuil paraissent ainsi lui faire éprouver une tristesse sans fin dont il deviendra une figure. une tristesse argentée à forme humaine sur une planche traversant le cosmos.
Mais alors, quelle est l'explication psychique à cette affliction permanente ?
Le Silver Surfer semble ainsi entrer dans un deuil permanent, sans issue, et qui montre d'ailleurs des aspects plus profonds qu'un deuil, qu'une séparation. Ce qui diffère notamment entre le deuil et la mélancolie, c'est que le deuil prend fin après plusieurs étapes, et que la souffrance est liée à la personne, l'objet d'amour, d'attachement perdu. Tandis que le mélancolique exprime une affliction sur lui-même, faisant preuve d'auto-dépréciation, de culpabilisation incessante et sans fin.
Ce qui semblait ainsi prendre au commencement l'apparence d'un deuil, le Surfer ayant perdu à la fois sa planéte et son amour de toujours, s'éternise et se fige, se cristallise. Le Surfer apparaît ainsi comme un être dépressif, à la souffrance morale constante, ne se sentant jamais à la hauteur, se sentant mal aimé partout où il se trouve. Ce qui permet d'expliquer ce passage du deuil à la mélancolie éclaire aussi le Surfer sous un jour nouveau. Souvenons-nous : son existence sur cette planète paisible originelle causait d'ores et déjà un tourment à Norrin Radd. Ce qu'il semble avoir oublié, refoulé par la suite dans ses lamentations. Il aspirait à une autre vie, pris ainsi inconsciemment dans des sentiments ambivalents vis-à-vis de ce que représentaient sa planète Zenn-La et sa chère Shalla-Bal. Il n'est dès lors pas difficile d'imaginer que dans de telles circonstances, Norrin Radd ressentait des sentiments à la fois d'amour et de haine à leur égard. Ce qui explique son passage à l'acte si prompt le faisant quitter sa planète pour un sort incertain. De l'héroïsme peut-être, ou un passage à l'acte en mode "quitte ou double" pour se sentir vivant au moins une fois.
Dans la mélancolie, les auto-reproches et l'auto-dépréciation permanente trouvent leur source dans le conflit d'ambivalence, c'est-à-dire des sentiments à la fois d'amour et de haine qui caractérisent la relation à l'objet d'attachement. Ce conflit intrapsychique qui n'a pas pu être résolu se réactualise dans la vie psychique : le Moi qui s'identifie à l'objet perdu devient alors la cible du jugement sévère, de la dépréciation. Le mélancolique se déteste ainsi lui-même en lieu et place d'exprimer ses sentiments de haine à l'égard d'un objet perdu, dont il a perdu la trace. Ou qu'il idéalise, ce qui revient au même ici.
Pour le Silver Surfer, Shalla-Bal est cet objet à jamais perdu. Il ne pourra ainsi jamais régler ce sentiment ambivalent qu'il ressentait à son égard, il ne pourra jamais admettre la part de haine qu'il ressentait à son égard et vis-à-vis de l'enfermement dans une vie lisse et tracée à l'avance qu'elle représentait. Dans un mécanisme de retournement, le Silver Surfer endosse alors lui-même cette haine à son propre sujet, l'amenant à traverser non pas un deuil lié à une séparation mais une mélancolie liée à une séparation impossible, puisqu'il emporte avec lui ses sentiments inconscients et ce conflit intrapsychique qui existait en lui et qu'il n'a pas résolu. Et nous sommes témoins dans les lamentations sans fin d'une forme de satisfaction qui pourrait être qualifiée de sadique, tant il semble prendre plaisir à ces lamentations adressées au cosmos sourd à ses suppliques. Ces lamentations adressées à un Autre absolu et absent sont assez typique des manifestations mélancoliques. Mais alors, comment le Silver Surfer s'en sort-il ? Etonnamment, sa planche de salut vient là où on ne l'attend pas.
Ce vers quoi s'est dirigé Norrin Radd pour sortir de sa situation de détresse d'origine, bien qu'il s'en défende ensuite en faisant de Zenn-La un paradis et de Shalla-Bal un amour inconditionnel, c'est Galactus. Bien qu'il n'en sût rien, puisque c'était un passage à l'acte, Norrin Radd se jeta dans un gouffre, littéralement. Celui d'un Dévoreur de mondes. Cette décision fonctionne comme si inconsciemment Norrin Radd avait décelé dans cette situation l'occasion de sortir de son enfermement. Tenu entre les murs de sa planète, tenu par son amour avec Shalla-Bal, Norrin Radd ressemble à ceux dont on dit qu'ils n'ont pas à se plaindre, qu'ils ont tout pour être heureux, les empêchant ainsi d'exprimer leur désarroi. Le Surfer vit ainsi cette dépression en s'interdisant d'exprimer des affects négatifs qui demeurent constitutifs de l'être humain, et n'ont aucun rapport avec ce que l'individu possède ou non. C'est ainsi le drame récurrent de la dépression. Norrin Radd rêve l'aventure que sa vie ne lui offre pas, cette part d'incertitude qui fait se sentir vivant, et qui pourrait ranimer sa pulsion de vie.
C'est en offrant ses services au Dévoreur de planètes, incarnation de la pulsion de mort, qu'il va étonnamment trouver un remède. Parcourant le cosmos à la recherche de planètes inhabitées, cette activité frénétique va donner un sens à sa vie, lui fournir une direction impulsée par un Maître. Il apparaît ainsi que sa mélancolie sous-jacente va céder face à un accès maniaque, la manie étant, dans sa mise en mouvement frénétique et incessante, l'envers de la mélancolie. Galactus va offrir un but à cette âme en peine, et lorsque le Surfer mettra à nouveau ses émotions en travers de la route pour épargner les planètes habitées, le Dévoreur de planètes inhibera en bon traitement ses émotions, anesthésiant ainsi tout affect l'empêchant de remplir sa mission. Si ce traitement peut semble cruel dans un premier temps, il est ce qui soigne le Surfer de sa mélancolie. Au moins provisoirement, jusqu'à sa rencontre avec la planète Terre et Alicia Masters, la fiancée aveugle de la Chose, des Quatre Fantastiques. Celle-ci va réveiller ses émotions et son regard sur lui-même et le monde qui l'entoure, pour le meilleur et le pire.
Lorsque le Silver Surfer, recouvrant ses émotions, s'opposera à son Maître pour s'allier aux Quatre Fantastiques et sauver lnotre monde de l'appétit de Galactus, ce dernier le confinera sur Terre. Banni de l'espace pour s'être rebelle contre son Maître, le Surfer d'Argent ne pourra plus voguer dans le cosmos en toute liberté. Si notre héros envisage dans un premier temps ce confinement comme une opportunité de découvrir davantage la Terre et ses habitants, cette euphorie de départ va rapidement céder sa place à une mélancolie et une nostalgie. La nostalgie correspond aux pensées d'une période perdue à laquelle il n'est plus possible de revenir, tandis que la mélancolie correspond à une perte qu'il est impossible de cerner, de préciser, de nommer, et qui laisse une béance ouverte. Si la nostalgie e tla mélancolie sont soeurs, ayant pour mère la perte, elles se distinguent néanmoins. Le Surfer d'Argent éprouvera lors de ce confinement une nostalgie qui va prendre des allures mélancoliques. Cette mélancolie sera ainsi réactivée par ce confinement, en prenant des allures différentes.
Tentant de se lier pendant ce confinement contraint, le Surfer sera sans cesse déçu de ses rencontres, qu'elles soient avec le tyran Fatalis, le brutal Hulk ou le monstrueux et sournois Quasimodo. Chaque rencontre sera l'occasion pour le Surfer d'espérer trouver une alliance, un appui extérieur, en trouvant un semblable. Aucune de ces tentatives n'apportera de satisfaction et engendrera d'amères désillusions. Cela fait du Siver Surfer un exilé permanent en proie à des déceptions récurrentes. Celles-ci alimenteront d'autant sa mélancolie et le désespoir qui y est lié.
En outre, manipulé pendant cette période par Méphisto, le seigneur des Enfers, le Silver Surfer sera éprouvé par le leurre de rejoindre sa bien-aimée Shalla-Bal, avant de rencontrer la frustration lorsqu'il s'apercevra de la supercherie. Méphisto cherchera ainsi à corrompre le Surfer d'Argent, ce qui ne fera que confronter celui-ci à la frustration, ravivant la perte de l'être aimé et sa complainte mélancolique.
C'est alors que le Surfer bascule sur un autre versant, plus agressif. Renversant ses pulsions sadiques qu'il appliquait à son encontre, en se faisant des auto-reproches incessants, en se situant dans l'auto-dépréciation permanente, le Silver Surfer va s'en prendre aux humains. Il prétextera vouloir unir les êtres humains en devenant leur ennemi commun, mais cette stratégie révèle au fond un ressort inconscient. Cette agressivité révélant la part de haine qui l'anime montrera ainsi un des ressorts de cette mélancolie. Contrairement au deuil qui suit des phases propres, ou à la dépression qui vise à être à la hauteur d'une image sans faille impossible à atteindre, la mélancolie trouve sa source comme nous l'avons vu plus tôt dans le conflit d'ambivalence amour-haine.
S'il se situe lui-même comme étant l'objet de ses reproches, insultes, haine etc, en tirant une satisfaction sadique de cette souffrance, cela peut, au détour d'une situation le justifiant pour le sujet, s'inverser lorsqu'il trouve un autre susceptible de porter un temps ce fardeau à sa place. Ainsi le Surfer trouvant l'humanité infâme va jeter la haine qu'il s'infligeait jusqu'alors sur ces humains, lesquels vont devenir à leur tour détestables et causes de tous ses maux. Un des effets de ce confinement sera ainsi de voir ce renversement provisoire. Si celui-ci sera stoppé par l'intervention extérieure de Mister Fantastic, cette manifestation éclairera bien comment la mélancolie opère, et comment dans une situation confinée elle peut prendre des allures paranoïaques, faisant de l'Autre non plus un cosmos sourd et muet mais son persécuteur. Cette paranoïa passagère montrera ainsi le versant caché de la mélancolie lorsqu'elle est soumise à une situation de frustration et de perte redoublée.
L'élément qui permettra au Silver Surfer de sortir de ce confinement sera lui éminemment explicite, et lui sera soufflé par la Chose, et non pas un savant comme Mister Fantastic. Après de nombreux essais infructueux, celui-ci lui suggère de passer la barrière de confinement sans sa planche, c'est-à-dire en acceptant, même provisoirement, une perte, pour accéder de nouveau à sa liberté. Ainsi, la perte d'une partie de soi apparaît bel et bien comme un élément fondamental de la mélancolie, permettant un temps donné de retrouver la capacité de mouvement, que cela soit du mouvement dans l'espace ou du mouvement psychique. La mélancolie nous enseigne, dans ce qu'elle refuse souvent, cette leçon : pour cesser de porter un fardeau impossible, il s'agit d'accepter la perte, y compris une perte d'une partie de soi.
Si les éléments évoqués jusqu'alors abordent principalement la genèse du héros et ses premiers pas dans l'univers Marvel, la mélancolie ne l'a jamais lâché. Il en reste une figure particulière. Bien sûr le Surfer a connu des rémissions, des aventures suffisamment palpitantes pour oublier un tant son mal intérieur. Et des aventures sentimentales le ramenant aussi d'autres pertes. Cependant, la mélancolie lui reste chevillée au corps, et son itération plus récente en atteste encore, à travers la mini-série "Silver Surfer : Black".
Dans cette mini-série, le Silver Surfer est absorbé dans un trou noir après un combat avec le Black Order avant de se retrouver confronté à un Dieu des Ténèbres. Il se retrouve contaminé par une matière noire corruptrice qui lui recouvre la main dans un premier temps, avant de progressivement envahir son corps, menaçant de l'engloutir. Ainsi, le Silver Surfer se retrouve dans un combat pour ne pas sombrer face à cette matière noire qui envahit son corps. Quel rapport, me direz-vous, avec la mélancolie ?
La mélancolie signifie étymologiquement "bile noire", avec pour origine "melag-kholia". Cette bile, secrétée par le corps, était pour les Anciens, dont Homère, la cause de l'état mélancolique. Le corps devait alors équilibrer ses humeurs, des biles de quatre couleurs différentes, pour conserver un état physique et mental harmonieux. Trop de bile noire conduisait à un état de tristesse, de douleur morale, d'affliction.
Dans cette mini-série qui fournit une itération récente du Silver Surfer, le récit devient alors allégorique, et montre vu de l'extérieur le combat du Surfer avec cette bile noire, ces ténèbres mélancoliques qui envahissent son corps. Pour quiconque ayant traversé un état mélancolique, même provisoire, même bénin, il n'est pas difficile de concevoir que pour la mélancolie, le corps et l'esprit ne font qu'un. Que le corps dans ses mouvements reflète l'état psychique interne. Le Surfer combat ainsi activement, physiquement, mentalement, moralement ces ténèbres qui cherchent à l'envahir, ténèbres qui reposent notamment sur tous ses crimes passés, donc sur sa culpabilité.
C'est ainsi que la divinité des Ténèbres a pu le contaminer, en trouvant la faille, la brèche dans l'esprit du Surfer. Et son auto-dépréciation, son sentiment de culpabilité profond, son sens moral aigu qui s'appuie sur la sensation de n'être jamais assez noble, jamais assez pur. Cette sensation elle-même naît de la propre haine que le Surfer ressent à son sujet. Cette haine qu'il n'a pu faire porter à l'objet perdu, à l'être perdu, à cette part perdue, et qui pèse depuis à l'intérieur. Car la mélancolie est une maladie des origines. La mini-série "Black" le met bien en lumière en ramenant le Silver Surfer aux origines de tout, y compris de son Maître. Il revient dans la matrice qui le fait naître, vers la matrice maternelle. Les séquences où l'on voit le Surfer en position foetale sont d'ailleurs assez intéressantes à ce sujet. Elles illustrent bien comment la mélancolie parle d'un désir de repli sur soi, d'une quête d'être à nouveau un tout comme lors de la vie foetale. D'ailleurs prendre cette position dans les moments de détresse et de dépression est assez fréquent, le corps venant exprimer à sa façon ce repli originel.
Comme nous avons tenté de l'éclairer, le Silver Surfer et la mélancolie sont aussi inséparables que le Surfer et sa planche. Elle se forme au-delà de son exil de sa planète d'origine, au-delà de la perte de son amour de toujours, au-delà de la culpabilité qui rejaillira quand il réalisera la portée de ses actes ayant engendré la destruction de mondes au service de son Maître Galactus. La mélancolie était déjà là, en germe chez ce jeune homme épris d'aventure et en plein désarroi sur sa propre planète, en dépression dans ce monde parfait auprès de cet amour de jeunesse idyllique.
Un élément biographique de Norrin Radd est intéressant à noter : La mère de Norrin, Elmar Radd, malheureuse dans l'environnement aseptisé de sa planète, finit par se suicider de désespoir. Norrin découvrit le cadavre de sa mère, un événement si traumatisant qu’il occulta de sa mémoire pendant des décennies, ne s’en souvenant qu’à une époque récente. Ainsi, la mère de Norrin Radd a elle-même traversé cette dépression, et il est possible dès lors d'imaginer qu'être élevé par une mère dépressive laisse quelque empreinte mélancolique. Une figure maternelle en partie absente à la vie pour des raisons de dépression latente peut parfois laisser l'enfant dont elle prend soin dans un sentiment de solitude, dans un sentiment de perte de quelque chose qui n'a jamais été là complètement.
L'enfant peut ainsi à la fois aimer profondément cette mère, mais aussi la haïr profondément pour ses moments "d'absence". Sans pour autant pouvoir exprimer ses émotions tant cette figure maternelle apparaît fragile. Le petit être peut alors conserver cela intérieurement, en latence. La mélancolie étant le sentiment profond d'une perte, plus profonde qu'une séparation, plus profonde qu'un deuil, parce que c'est une perte de quelque chose qui n'a jamais été. Ce qui en fait cette trace indélébile. Son amour de jeunesse, Shalla-Bal, n'a ainsi été vraisemblablement qu'une figure d'amour maternel, le Surfer mettant en acte dans son sacrifice de devenir le héraut de Galactus qu'une répétition de la séparation subie lors de cette perte plus ancienne, redevenant ains un temps acteur de son destin.
Au-delà d'une pathologie, la mélancolie est ce sentiment que tout un chacun peut ressentir, un sentiment humain existentiel. La douleur de vivre perceptible notamment dans notre monde contemporain fait de la mélancolie une des manifestations de la condition humaine. La perte est, au-delà de tout ce que nous pouvons acquérir, un sentiment d'autant plus présent qu'il contraste avec cet amoncellement. Nous ne nous sentons jamais complets, aboutis, en dépit de ce que nous amassons. Nous manquons fondamentalement, et pouvons traverser le désarroi, la mélancolie de ce manque incessant. Et de cela, nous ne pouvons en guérir. Il s'agit simplement de conserver, comme une planche de salut, comme on traverse l'océan sur un frêle esquif, sa capacité à rêver et le plaisir de penser, et à faire de cette perte un moteur, une planche argentée. En cela, le Surfer, personnage cosmique, parle éminemment de cette part inaltérable de notre humanité.
30 Avril 2020
Alex Hivence@OLIBRIUS : Merci! Il est vrai que les commentaires permettent d'échanger et de compléter le propos au fil des remarques ou questions posées. C'est avec plaisir donc que je tente de répondre, et je remercie les commentaires qui permettent d'apporter un éclairage de plus, ou une remarque qui prolonge l'article. Les retours, quels qu'ils soient, bref ou plus longs, sont donc bienvenus!
Et oui, la saga cosmique du Surfer face à Thanos donne un bon aperçu du personnage et de sa force. Il faut lire du Surfer! Ça fait voyager en dehors et à l'intérieur....
29 Avril 2020
olibriusSuperbe article et la lecture des commentaires est passionnante elle aussi. Le sujet le méritait bien. Merci !
@Sindri : les épisodes de Jim Starlin (et la trilogie cosmique qui va avec) pour la mythologie assez dingue, les épisodes de Dan Slott et Mike Allred pour leur poésie sous acides. Et aussi les débuts par Lee, Kirby et Buscema... ça commence à faire beaucoup...
28 Avril 2020
Alex Hivence6.
Ainsi, je pense que la mélancolie correspond à la figure du Silver Surfer. Lequel peut en effet se montrer sous des allures obsessionnelles lorsqu'il est tenu loin de sa béance profonde. Mais la bile noire, si elle est cachée sous une peau argentée, demeure à l'intérieur, profondément.
Merci encore pour ce commentaire très complet qui donne matière à approfondir l'article tout en le complétant de façon très précise quant à la composante mélancolique que chacun peut ressentir et retrouver dans cette fabuleuse figure du Surfer d'Argent! Qui visiblement n'en finit pas d'inspirer....
28 Avril 2020
Alex Hivence5.
Ce qui rattrape le Surfer, lorsqu'il s'éloigne de Galactus, c'est la mort. Le trou noir. Sa propre béance, le vide existentiel qu'il ne remplit que provisoirement avant de se remettre au service de ce Maître et de son appétit dévorant. En d'autres termes, on pourrait dire ici que Galactus est la mère morte du Surfer : il cherche à combler son manque dévorant et y joue sa vie de tout-petit, comme un bébé lutte parfois en s'agitant face à la dépression d'une mère, et de son manque qui le dévore en entier. Et ici, point de tiers pour s'en sortir pour aller sur le versant de la castration. C'est un face-à-face non triangulé, non œdipien, archaïque, donc un noyau psychotique. Une mélancolie qui prend d'autres apparences selon les rencontres, mais montre son visage dès que ce qui tient disparaît. Dans la mini série Silver Surfer : Black, loin de Galactus, les ténèbres envahissent à nouveau le Surfer, jusqu'à corrompre son corps, comme un produit stupéfiant le dévorant de l'intérieur.
28 Avril 2020
Alex Hivence4.
Ce qui dévore le Silver Surfer au fond est une béance sans fin, à l'instar de l'appétit du Dévoreur de planètes. A ceci près que cette béance peut être assouvie provisoirement et sert donc d'addiction, de suppléance, de béquille psychique au Surfer.
Si celui-ci apparaît ainsi comme un névrosé courant après le désir de l'Autre et rendant impossible le sien propre, refoulant une agressivité se manifestant sur un versant dépressif mineur, cela n'est possible que du fait de l'apparition de Galactus qui lui donne un but comme un travail addictif ou une bouteille à remplir qui n'en finit jamais de l'être. En-deça de cette névrotisation passagère, liée au fait de se mettre au service d'un Autre tout-puissant à l'appétit infini, la béance demeure. Et elle est au-delà de sa planète et de son amour. Ça ne serait qu'un deuil ou qu'une perte à accepter, une castration à accepter pour désirer par soi-même.
28 Avril 2020
Alex Hivence3.
Galactus lui offre ainsi non pas un univers à explorer, ou pas que ça, pas un désir à portée de main cosmique, mais un appétit à rassasier. Ainsi, c'est la dévoration qui forme un motif venant sauver le Surfer. La dévoration et la crainte de la dévoration rejoint ainsi une crainte archaïque du tout-petit, sur le stade oral. Le manque se situe ainsi pour Galactus sur un versant archaïque, primaire, et c'est cette béance qui va faire suppléance, béquille psychique pour le Surfer. Pour les humains, nous pourrions parler d'une addiction. C'est une addiction acceptable qui sauve le Surfer, lequel échange ainsi une béance cachée, occultée, pour une autre plus visible et acceptable d'un Autre tout puissant.
S'il pourra ainsi ensuite se comporter comme un névrosé avec ses plaintes et ses désirs inassouvis, il apparaît un double-fond, une béance qui plus profonde dont Galactus est le corollaire.
28 Avril 2020
Alex Hivence2.
Et c'est ce qui différencie ici le deuil d'une planète, d'un paradis perdu, d'une mélancolie comme la perte d'un élément déjà perdu. C'est ainsi que Freud distingue les deux notions tout en montrant leurs points communs dans son article "Deuil et mélancolie".
Ici, Norrin Radd a déjà perdu quelque chose qui est hors de sa représentation, qui est déjà occulté, dénié. Et on peut poser que cette perte comme n'étant pas Zenn-La, ce que l'on imagine au début, ni Shalla-Bal, celle à qui l'on pense aussi, mais sa mère morte, qui s'est suicidée, symbolisant cette perte plus profonde. Il faut ajouter aussi que le père de Norrin Radd se suicidera lui aussi.
La perte est ainsi déjà là mais niée, puisque Norrin Radd se plaint d'avoir trop. Il se comporte en effet comme un névrosé se plaignant du trop, du trop lisse, du manque à désirer. Un névrosé obsessionnel sur un versant dépressif à première vue.
28 Avril 2020
Alex Hivence@ LOUMOJITO
Merci mille fois pour ce commentaire démultiplié et argumenté qui forme à lui seul un addenda à l'article. Cela permet de proposer un éclairage complémentaire au personnage du Silver Surfer concernant la question du deuil de son désir de la question de la mort et de l'impossible retour.
Si la possibilité d'une névrose obsessionnelle s'appuie sur cette perte sur le versant d'un refoulement d'un paradis originel que serait Zenn-La, et pose l'impossible comme étant ce qui aiguillonne son désir tout en le maintenant à distance, ce qui caractérise le fonctionnement inconscient de la névrose obsessionnelle, il semble néanmoins représenter pour le Surfer un mécanisme de défense oblitérant un fonctionnement psychique profond d'une autre nature.
Ainsi, la béance ne serait pas Zenn-La, trop pleine comme tu le dis, mais un élément caché déjà là au moment où Norrin Radd se morfond sur sa planète. Le manque est déjà là. Il y a donc chez le Surfer comme un double-fond.
28 Avril 2020
loumojitoDu coup, je penche plus, en ce qui concerne le profil de notre Surfer, pour une névrose obsessionnelle où la douleur d'exister, à défaut de s'assumer en conflit intra-psychique, viendrait se projeter du côté d'une agressivité envers tous les autres, coupables du fait d'un désir impossible à assumer de son côté... plutôt que du côté d'une mélancolie, où la figure de l'amour perdu ne fait jamais point d'appui, mais au contraire trou noir, béance... pas de planète originelle pour le mélancolique, pas de monde sous les pieds, seulement un vide absolu... Zenn-la est trop pleine pour s'inscrire en tant que perte mélancolique... elle est déjà signée d'impossible... et idéalisée par refoulement... Elle apparaît comme un trop plein initial qui vient couper le désir, le tuer dans l’œuf, ce qui me semble loin du néant qui fonde la mélancolie. Il n’en reste pas moins que cet article permet d’aborder de façon tout à fait accessible la mélancolie, cette douleur à être, qui étreint tous les êtres parlants du moment qu’ils entrent dans l’existence, et avec laquelle ils ont à composer… Et en tant que tel, c’est un vrai tour de force de trouver à éclairer ces mécanismes complexes au détour de personnages de fiction. C’est toujours un régal de lire ces articles, qui donnent matière à penser et à échanger sur un mode très ludique. Merci !
28 Avril 2020
loumojitoPas d'héroïsme à mon sens dans ce choix énoncé comme un sacrifice pour sa planète, mais un acte qui ne s'élabore pas (joliment nommé passage à l’acte dans l’article), qui parle de lui, de son désir d'ailleurs, qui se drape dans le voile du sacrifice alors qu'il s'agit d'un agir égoïste qui ne se formule pas comme tel. On peut ainsi supposer que c’est la trace de ce refoulement qui laisse son lot de culpabilité dépressive en queue de comète... dans le sillage du Silver Surfer... pas la trace d'une perte non élaborée, mais plutôt celle d'un refoulement de cette perte elle-même...
28 Avril 2020
loumojitoLe destin du Silver d'argent me paraît là plus prompt à éclairer la question de la perte inhérente à la mécanique névrotique de l'angoisse de castration que celle plus radicale de la mélancolie.
Norrin me donne l'impression d'un jeune homme ne trouvant pas à s'orienter, en stase désirante, s’ennuyant à en mourir sur Zenn-la, comme enfermé dans une cage dorée… Il trouve dans le destin radical que lui propose Galactus, le moteur qui lui manquait sur le plan désirant… il surfe sur la vague que le Dévoreur de planètes lui offre et pense finalement échapper à son questionnement intérieur en le solutionnant ainsi, en choisissant de sortir d’une cage dorée où il ne ressentait pas ses contours pour entrer dans une autre, celle d’un univers sans fin, où il sera condamné à surfer pour ne pas se noyer dans l’immensité, sans plus de boussole qu’auparavant… il verra les mondes défiler, inexorablement, sans pouvoir en faire une histoire qui serait la sienne, étant là encore au service d’un Autre, Galactus.
Plus qu'un deuil impossible, il me semble que ce qui caractérise ce Silver Surfer est un impossible à perdre, à reconnaître cette perte en lui-même et à en faire un moteur pour s’engager dans l’existence. Cette perte étant refoulée, elle ne permet pas au Silver Surfer de se constituer une boussole intérieure, de traiter la question de son désir, et il s’en remet systématiquement à un Autre qui lui garantirait son salut et son existence...
28 Avril 2020
loumojitoCe dernier apparaît d'emblée tiraillé par un doute existentiel que l'opulence d'amour dont il dispose sur sa planète d'origine paraît venir boucher, masquer... La question du manque est comme impossible à penser pour lui et son désir semble avoir du mal à se frayer un chemin dans cet univers policé où la tension entre Eros et Thanatos qui constitue l'humanité (quand bien même ils ne sont pas terriens, ils répondent aux caractéristiques humanoïdes), paraît s'être évanouie au point qu'on ne distingue plus ce qui fonde la singularité des êtres, leur aspiration, qui semble diluée dans un destin commun de félicité...
Le dévoreur de planètes surgit manifestement à point nommé pour éviter à Norrin Radd d'avoir à se confronter à un choix subjectif sur sa planète, lui offrant une planche de salut en ré-ouvrant un horizon possible là où aucun avenir ne pouvait se rêver pour lui sur Zenn-La, le bonheur lui étant promis à cet endroit coupant toute velléité de subjectiver son existence. Sous couvert de sauver sa planète, Norrin profite de cette occasion pour s'offrir un avenir possible à moindre frais, sans perte subjective, laissant à son maître le soin d'assumer la responsabilité de son choix, comme s'il n'en avait pas... il semble parier sur un miroir aux alouettes qui ouvre pour lui des perspectives : il va enfin pouvoir croquer, dévorer, désirer à pleine dents, se sentir vivant, tout cela « au service de » l’appétit de son maître, loin de la trajectoire linéaire et sans relief, presque mortifère, déjà tracée pour lui, sur la pacifique Zenn-la... presque trop zen pour être vraie, cette planète... un paradis perdu en somme... qu'il est nécessaire de perdre pour se confronter à la question de son désir...
28 Avril 2020
loumojitoMon commentaire sur cette croustillante chronique ne rentre pas dans les 1000 caractères imposés alors je vais le déplier sur plusieurs commentaires... ;-)
Si tout le monde connaît le Silver Surfer, j'ai pour ma part échappé à ce tout. Mais cet article m'a transportée dans son univers de façon tout à fait bluffante, piquant ma curiosité pour ce personnage inconnu.
Et à vrai dire, ce qui m'a marquée dans son histoire, dans les ponts qu'il permet de faire avec nos propres fonctionnements, sur le plan psychique, n'est pas tant la question du deuil impossible que met en avant le Silver Surfer que celle de l'amour impossible qui semble empêcher d'emblée le jeune Norrin Radd...
28 Avril 2020
nasroby@Sindri, personnellement j'ai beaucoup aimé Requiem aussi
27 Avril 2020
Alex Hivence@ SINDRI : Ravi que cette chronique t'ait donné envie d'en lire plus sur cette figure fascinante qu'est le Silver Surfer! Et si tu as apprécié cette analyse sans connaître le personnage, alors c'est d'autant plus mission accomplie!
Pour des lectures autour du Surfer, tu as des minisérie qui lui sont consacrées et qui apportent chacune un aspect intéressant du personnage (la minisérie Communion par exemple est autocontenue) La minisérie Silver Surfer : Black peut être un peu ardue si tu n'as rien lu avant. Il y a aussi l'intégrale Panini (2 tomes pour l'instant).qui retrace les premiers pas du Surfer. Et l'album Parabole de Stan Lee et du mythique Moebius! Voilà déjà de quoi entamer le voyage...
27 Avril 2020
SindriUne superbe chronique sur un personnage qui me donne très envie depuis longtemps mais que je n'ai pourtant jamais lu. Silver Surfer Black me tente pas mal pour commencer, mais si la commu comicsblog a d'autres conseils de lecture, je suis preneur. En tout cas bravo, Dans l'Oeil du Psy est vraiment une chronique très intéressante à lire et à suivre
27 Avril 2020
nasroby@Alex Hivence, merci pour la réponse !
27 Avril 2020
Alex HivenceRavi THE WHITE QUEEN que ces articles trouvent un écho aussi favorable! C'est royal! ;)
27 Avril 2020
The White QueenUne chronique sublime et captivante ! J'adore le concept de ces articles
27 Avril 2020
Alex HivenceMerci pour ce retour. Et il est vrai que le Surfer est une belle figure pour illustrer ce thème de la mélancolie. Et suivre le sillage de son parcours permet d'aborder le deuil, la séparation, la perte, la dépression et la mélancolie. Y compris la nostalgie.
Cela permet en outre de resituer la mélancolie et ce qu'elle représente sur un plan psychologique. Et cela amène à répondre à cette question sur le fond psychotique de la mélancolie.
Il existe ainsi deux acceptions de la mélancolie.
Elle est d'un côté une psychose. A l'instar de la manie ou de la paranoïa qui en forment les aspects opposés, comme dans la psychose maniaco-dépressive, le rapport à l'Autre et à soi-même est vécu sur un mode totalitaire. Pour le persécuter (paranoïa), le diriger (la manie) ou le considérer de façon hyper négative (mélancolie).
Elle est d'un autre côté un noyau que tout un chacun peut ressentir en soi, représentant, et c'est le propos de la conclusion le manque au fond de soi. Notre partie Surfer!