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Édito #77 : Image Comics, second berceau de la Science-Fiction ?

Édito #77 : Image Comics, second berceau de la Science-Fiction ?

chronique

Il y a quelques années de cela, dans le monde de la bande-dessinée franco-belge, on pouvait entendre que la BD était le nouveau cinéma. Un adage qui pourrait aujourd'hui qualifier Image Comics et sa relation si particulière à la science-fiction, genre tentaculaire qui a fait les belles heures du septième art hollywoodien, et qui connaît peut-être un nouvel âge d'or du côté du troisième homme de l'industrie des comic books

Ceux qui nous lisent régulièrement le savent déjà : même si ses chiffres, qui rivalisaient un temps avec ceux de Marvel et DC (les fameux "Big Two"), sont à la baisse, Image Comics est devenu le repaire et le repère de dizaines d'auteurs et de dessinateurs de comics qui débordent d'énergie et de créativité. Pas étonnant, donc, que ces derniers se soient tournés vers l'un des genres les plus créatifs qui soient : la Science-Fiction. Puisqu'au final, ce genre est presque un mot-valise, tant il peut être décliné à toutes les sauces, dans des ambiances variées et avec des sujets forts qui n'ont parfois rien à voir entre eux. Or, à l'heure où le cinéma et même les jeux-vidéo semblent présenter une S-F toujours plus normalisé, le catalogue d'Image, à lui seul, fait preuve d'une diversité vertigineuse.

On retrouve en effet chez l'éditeur tous les canons et les sous-genres de la science-fiction. Avec Descender, Jeff Lemire et Dustin Nguyen proposent par exemple une approche très Spielbergienne de la condition robotique, mélangée à une esthétique très Jack Kirby, ou justement inspirée de Stanley Kubrick (le premier réalisateur attaché à Intelligence Artificielle), tandis que Low, de Rick Remender et Greg Tocchini, lorgne plus du côté du post-apo' et d'une ambiance sous-marine qui n'est pas sans rappeler un certain Bioshock. Deux exemples parmi des dizaines, puisqu'on pourrait également citer Copperhead (de Jay Faerber et Scott Godlewski) qui reprend l'aspect Western d'un Star Wars, quand Saga (de Brian K.Vaughan et Fiona Staples) s'empare de son approche familiale en l'étirant le plus possible. Partout où on pose notre regard, on tombe ainsi sur l'un des sujets phares du genre et une approche visuelle bien spécifique de celui-ci.

Une richesse à en faire pâlir le tout Hollywood, où la Science-Fiction semble stagner (une nouvelle fois) autour de deux grandes approches. D'un côté, Star Wars continue d'être l'exception esthétique majeure avec un mélange de space-opera, de seconde guerre mondiale et de Western, et de l'autre, on retrouve une S-F normalisée, très américaine, et ses concepts récurrents, comme une esthétique très blanche ou lumineuse, par exemple. Encore que, on pourrait également noter un nouveau courant, qui nous vient justement des comics, une S-F décomplexée et pulp tout droit sortie de l'âge d'argent, qu'incarne si bien Guardians of the Galaxy, et qui devrait être reprise par un Thor : Ragnarok voire un Green Lantern Corps, du côté de la Distinguée Concurrence. Et même si quelques nuances sont à noter, ça et là, au milieu de ces trois courants, elles ne représentent jamais qu'une créativité comprimée par les exigences des producteurs et des studios.

Deux entités qui n'existent pas chez Image, peu regardant sur l'approche artistique du produit tant que les trois premiers numéros de la série vendent - on le rappelle, l'éditeur touche l'intégralité des revenus générés par les trois premiers single issues - et que les standards de qualité sont respectés. Au contraire, les éditeurs engagés par la maison d'édition et son personnel encouragent et valorisent la créativité des séries, et la richesse de leurs influences. C'est sans doute ce qui conduit un Descender d'être très différent d'un Invisible Republic (de Gabriel Hardman et Corinna Bechko) ou d'un Black Science, alors que tous célèbrent le genre et ses atouts. Le seul dénominateur commun semble être l'aspect fabuliste de tous les titres d'Image, qui partent souvent d'un contexte purement fictionnel - parfois même radicalement fictionnel, puisque les styles de dessin peuvent s'éloigner de la réalité bien plus que toute réalisation, par exemple - pour parler d'un sujet très réel.

Pour certains, c'est là le propre de toutes les œuvres de la S-F. Et ils n'ont pas tout à fait tort. Seulement, on constate, de nos jours, que le genre brille plus par son aspect grand spectacle que son invitation à la réflexion. Les - notables - exceptions de Mad Max : Fury Road et Ex Machina, l'année dernière, ne doivent pas nous faire oublier que le cinéma de science-fiction a de plus en plus de mal à toucher les gens sur des sujets précis, par exemple. A l'inverse, les comics S-F d'Image, par leur petite taille (comparée à celle d'un mastodonte hollywoodien) leur richesse thématique, leurs auteurs et/ou l'absence de gros intermédiaires (comme une salle de cinéma dans le cas d'un film) semblent s'adresser directement à nous. Ce qui explique sans doute pourquoi Black Science, gigantesque métaphore de l'impact de nos choix sur notre vie et celles des autres, résonne tant chez nous. Ou pourquoi Saga est un phénomène. Chaque thème, chaque sujet est propice à une série, quitte à ce qu'elle soit courte, comme le montre si bien Rick Remender et son Tokyo Ghost, qui nous parlait, il y a trois semaines encore, de dépollution numérique, une idée qu'on retrouvera partout dans la pop-culture, d'ici quelques années.

Maintenant, avons-nous affaire à une révolution ou une évolution ? Assurément, la révolte créative d'Image ne se limite pas à la Science-Fiction. Elle va plus loin, et concerne d'avantage le marché de la bande-dessinée américaine dans son ensemble. De plus, le travail des auteurs sur le genre tient plus d'une simple évolution, il est vrai. Mais une évolution saine (pour reprendre un mot cher à mon rédac'chef) et positive. Profitant de la richesse de ce média qu'est le comic-book, mais aussi de sa petite taille et du lien intime qu'il est capable de tisser entre ses créateurs et ses lecteurs (il suffit de vous rendre sur Twitter pour le comprendre) les séries d'Image maintiennent très haut l'étendard de la créativité, et même les séries les plus dispensables de l'éditeur auront au moins le mérite de proposer des concepts novateurs, ou à défaut, un traitement visuel unique, car après tout, il est plus facile de noter les différences entre deux artistes qu'entre deux directeurs de la photographie, par exemple. Par ailleurs, comme nous le disions, les séries S-F de l'éditeur sont la plupart du temps métaphoriques, même si cela leur joue parfois des tours (beaucoup ont été perdus par les numéros les plus personnels de Black Science, par exemple) ou si l'approche politique des choses n'est pas toujours très  aboutie. Qu'importe, chez Image, la science-fiction a cela de beau qu'elle génère une vraie créativité chez les auteurs, et une vraie réflexion chez les lecteurs, là où on sort parfois vides d'une salle de cinéma, dans laquelle les moyens mis pour nous séduire sont pourtant autrement plus importants.

East of West. Jupiter's Legacy, Lazarus, Saga, Scatterlands, The Walking Dead, The Manhattan Project, Black Science, Bitch Planet, The Invisible Republic, Low, Coppherhead, Tokyo Ghost, Saga, Rocket Girl, Trees, Descender, ou plus récemment Hadrian's Wall, Mechanism ou Eclipse, et bientôt Reborn (de Mark Millar et Greg Capullo) ou After Death (de Scott Snyder et Jeff Lemire) : autant de séries de science-fiction qui se cachent chez Image. De nos jours, l'éditeur repense le comic book et lui rend une partie de la diversité dont il profitait au début des années 1940, et pourtant, presque ironiquement, c'est la science-fiction qui semble faire les beaux jours d'Image et forger ses titres les plus notoires. Un constat à méditer, mais qui n'en empêche pas un autre : à l'heure où la Science-Fiction semble stagner une fois de plus, votre dose de concepts, d'univers et de réflexion vous attend chez le troisième homme du marché des comic books américains. Celui qui bouscule si bien les codes depuis quelques années pour le plus grand bonheur de nos soirées de lecture.

Republ33k
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