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The Goddamned #1, la review

The Goddamned #1, la review

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On a aimé• La Bible comme on l'avait jamais vu
• Un récit dur et âpre
• R.M. Guéra vraiment trop fort
On a moins aimé• On va devoir attendre la suite pour savoir où Aaron veut aller
Notre note

Jason Aaron est définitivement l'un des auteurs les plus prolifiques et les plus inattendus de ces dernières années. On lui doit ce qui se fait de mieux chez Marvel, de Thor à Doctor Strange en passant par le surprenant Weirdworld, il profite aussi de son installation récente du côté d'Image Comics pour continuer ce qu'il avait entamé avec Scalped, l'exploration de ce qui se fait de pire chez l'être humain. Nous avions eu Southern Bastards où il règle ses comptes avec son Sud natal, on voit désormais débarquer The Goddamned qui revient aux sources du problème et qui lui permet de retrouver son complice R.M. Guéra.

"Standing in the shit pond."

Jason Aaron ne suit aucune religion ou dogme. Peut-être croit-il en Dieu, mais ça c'est encore une autre histoire qui le regarde. En revanche, comme presque tout Américain élevé dans le Sud profond, il connait très bien la Bible. C'est justement l'un de ses plus célèbres épisodes qu'il a décidé de reprendre, celui du Déluge. Dieu lassé de la perversion dans laquelle se sont enfoncés les hommes a décidé de faire un sévère reboot, le gros bouton marche/arrêt étant une pluie qui nettoiera la surface de la Terre de ces êtres si faillibles en les noyant tous. Radical. Un épisode qui inspire Aaron, lui qui y voit une très belle manière d'explorer encore ce qu'il y a de pire dans la nature humaine. Ce numéro d'introduction s'ouvre cependant quelques temps avant que Dieu ouvre les vannes et que l'espèce humaine s'apprête à rentrer dans le grand bain. Plus précisément, on est 1600 ans après qu'Adam et Eve se soient fait expulser du jardin d'Eden aussi rapidement que des immigrés sans papiers, ce qui est l'une des chronologies officielles de la Bible.

Ce laps de temps a son importance puisque le "héros" de cette histoire que nous a concocté le scénariste américain n'est autre que le rejeton que ces premiers humains ont eu : Cain. Celui qui a inventé le meurtre en tout premier quand il a assassiné son frère Abel. Il fut maudit par Dieu pour ce crime, le tout premier crime, en devant vivre éternellement et en portant une marque invisible mais qui signifiera à tous les hommes qu'il est différent, qu'il est "autre". Condamné à vivre une éternité d'ostracisation et de marginalisation, Cain erre dans ce monde que nous découvrons au fil des pages. Un monde que les auteurs ont voulu éloigner de l'imagerie classique de la Bible, associée à ces grandes scènes en toge et hommes de haute prestance. Ici, les hommes sont encore à l'âge préhistorique, vivant dans des huttes et se servant d'instruments de pierre. Tous sont marqués de cicatrices, marques de la vie difficile qui est la leur, sauf Cain qui se détache du reste de l'humanité par sa face immaculée.

"If only I hadn't gotten so goddamn angry."

Loin des poncifs sur le monde biblique, Jason Aaron créé un monde âpre et violent, qui n'est pas sans rappeler les westerns spaghetti et leur sous-texte nihiliste. Impression renforcée par le trait de R.M. Guéra qui n'est pas sans nous rappeler les œuvres de Jean Giraud avant qu'il ne devienne Moebius. A propos de nihilisme, une autre œuvre nous saute aussitôt à l'esprit : Berserk. Comme Kentaro Miura, Aaron a créé un monde cruel et où rien n'a de sens évident, et habité par un héros dur, qui ne fait surtout pas de sentiment et qui semble n'avoir aucun mal avec le meurtre, même s'il sait pertinemment le prix que cela lui coûte, qui a volontairement fait sacrifice de cette partie de son âme. Là où Guts finit par trouver un sens à son combat, Cain n'a que lui et ses regrets. Confronté à ces hommes vénaux, égoïstes et violents, il ne connait pas la mansuétude. Son mépris affiché pour ce que les hommes sont devenus, la façon dont ils détruisent tout autour d'eux (un point d'eau qu'ils ont ruiné avec leurs déjections) est aussi nietzschéen que vain.

D'ailleurs, la métaphore que met en place Aaron est assez vite évidente. Nous avons face à nous un monde pré-apocalyptique, puisque amené à être noyé sous des hectolitres de pluie, et les hommes continuent à se préoccuper d'eux de la plus individualiste des façons, d'ailleurs les créateurs de Scalped forcent le trait au point de faire de ces quelques exemples d'humains des êtres au comportement des plus bestial. Cette satire de notre société à peine déguisée pourrait tourner dans le vide si la fin ne laissait pas entrevoir un projet sur le long terme, même s'il est ambigu. En effet, la rencontre avec Noé, le bâtisseur étant présenté comme un chef tribal bien loin des poncifs et encore plus de Russel Crowe, nous laisse encore sur un doute. Est-il symbole d'espoir ? Ou bien complétement du contraire ? Avec Aaron, la réponse se situera certainement entre les deux. Car ce début n'a rien résolu, on sent que ce récit doit se développer pour dévoiler tout son propos. Tant mieux, on sera là pour la suite.

Sous ses dehors de titre provocateur, la question biblique étant toujours sensible aux Etats-Unis, The Goddamned se révèle être un titre bien plus riche qu'une simple satire. Entre dark fantasy préhistorique et western désabusé, l'histoire de Jason Aaron et R.M. Guéra explore les pires penchants humains avec violence et horreur, une plongée vertigineuse dans le thanatos. En attendant l'éros ?

Alfro
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