A défaut de posséder les droits de publication de Marvel ou DC Comics, Delcourt a toujours eu comme parti pris de privilégier son édition et la cohérence de sa ligne éditoriale. Ce principe pousse l'éditeur à proposer le plus possible des œuvres de ses auteurs phares, qu'elles soient plus ou moins grand public, ou plus ou moins récentes. C'est grâce à cela que Delcourt nous propose Codeflesh de Joe Casey (Haunt) et Charlie Adlard (Walking Dead).
Les deux auteurs ont déjà vu l'une de leur publication commune sortir chez Delcourt. L'histoire "Corps de pierre" qui racontait la transformation progressive d'un homme en pierre. Ici Delcourt remonte un peu plus loin avec leur première collaboration il y a 12 ans de cela, en nous proposant en un volume l'ensemble des épisodes qui avaient à l'époque eu une publication quelque peu erratique. La série est découpée en chapitres d'une douzaine de pages publiée dans le magazine Double Image pour les 5 premiers, Double Take pour les 3 suivants, et uniquement dans le TPB pour le dernier numéro. Il est intéressant de voir d'emblée que l'histoire et le dessin n'en ont pas été impactés, le tout reste cohérent.
Si l'auteur avoue qu'il est plutôt né de sa passion commune avec Charlie Adlard pour The Spirit, on peut associer à première vue Codeflesh au personnage de Rorshach de Watchmen. Ici, le masque du héros arbore cependant un code-barre à la place de la tâche de Rorshach. On ne sait pas pourquoi, et on ne le saura jamais. C'est d'ailleurs l'une des frustrations de ce comic book : beaucoup de choses ne sont pas expliquées, beaucoup de choses n'ont pas de but, si ce n'est d'être là. On suit l'histoire de Cameron Daltrey, prêteur sur gages auprès de délinquants et criminels en tout genre, qui se "déguise" en chasseur de primes pour aller les récupérer lorsqu'ils ne se présentent pas au tribunal. Notons que dans son monde, certains super-pouvoirs existent, comme la télékinésie ou la pyrokinésie, mais qu'une nouvelle fois on ne nous l'explique pas et cela n'a finalement pas d'importance.
Là où le lecteur peut se sentir troublé, c'est que l'on assiste pas à une histoire de super-héros, ni même d'un héros. Ce n'est que la chronique de la vie d'un homme qui ne possède aucune fibre héroïque, mais possède une forte addiction à la violence. On le suit à travers sa vie, son travail et ses problèmes de couple, avec une strip-teaseuse qui ne comprend pas pourquoi il travaille autant et qui ne sait rien de son activité secondaire. On ne cherche pas à savoir s'il sauvera la demoiselle en détresse ou s'il parviendra à vaincre le grand vilain de l'histoire, mais bien à savoir comment il concilie ses deux vie, et s'il le peut. C'est une nouvelle fois frustrant pour un lecteur classique dans le sens où le rythme du comic book reste assez linéaire. On n'assiste à aucune envolée, aucun grand enjeu.
Le dessin de Charlie Adlard est très bon et colle au ton un peu glauque de l'ensemble. C'est étrange de le voir colorisé quand on est habitués à Walking Dead, et il s'avère que la publication originale en single ne l'était pas. Il se colorise lui-même en collaboration avec Marc Meltzmann et le résultat donne également une ambiance qui rappelle celle des polars comme 100 Bullets ou Criminal.
Notons également un chapitre 8 très intéressant dans sa construction puisqu'il nous présente une nouvelle fois une chronique de la vie du héros, mais dans celle-ci toute les zones de textes (cases, bulles, ...) ne font que citer une lettre qu'il est en train d'écrire à sa bien-aimée.
Codeflesh ne plaira pas à tout le monde, et il faut savoir à quoi s'attendre avant de mettre la main dessus sous peine d'être potentiellement déçu de ne pas y voir une histoire plus classique. Mais ce comic book en demeure très plaisant à lire et original. Joe Casey était déjà prometteur à l'époque et on peut s'étonner qu'il reste si discret aujourd'hui. Et ça fait du bien de voir Charlie Adlard dessiner autre chose que des zombies et des éclopés.