Outre le
charisme de son protagoniste et de son supporting cast, Frankenstein, Agent of S.H.A.D.E bénéficiait jusqu'à son #9
d'un dessin idéal (qu'il a conservé) et d'une narration efficace à
toute épreuve. Jeff Lemire manifestait épisode après épisode la
capacité de condenser des histoires pleines d'action, d'émotion et
de réflexion en 20 pages à peine. Chaque épisode nous emmenait
vers un coin différent de l'univers DC, appelait à des émotions
inattendues pour un titre de cet acabit et surtout se suffisait à
lui-même. Le #10 voyait l'arrivée de Matt Kindt à l'écriture. Une
écriture peut-être pas radicalement différente de celle du
Canadien (qu'il connaît bien), mais alors moins efficace le temps de
deux épisodes. Depuis, le #12 m'a clairement convaincu qu'il pouvait
être l'homme pour le job. Le #0 achève de le prouver.
Après
deux semaines dans le Zero Month de DC, Frankenstein, Agent of
S.H.A.D.E #0 est le plus abouti qui soit passé entre mes mains.
Histoire d'origines parmi tant d'autres ce mois-ci, celle-ci s'avère
particulièrement brillante. Et pourtant, Frankenstein, tout le monde
connaît. Seulement, du labo de Victor Frankenstein aux confins de la
forêt amazonienne, tout ici surprend agréablement. On savait qu'on
finirait par nous raconter l'affrontement entre la créature et son
créateur. Depuis l'annonce du Zero Month, on se doutait que cette
histoire serait pour le numéro de septembre. La seule chose qu'on ne
pouvait prévoir était la forme que cet affrontement allait prendre.
A la fin du numéro, le seul regret qui m'a pris au ventre est que
cette partie de l'histoire du pourfendeur vert n'ait duré qu'un
numéro et ne se soit pas étendue sur un arc entier.
Le
personnage de Victor donne tout son sens au mot « savant fou ».
Le détachement dont fait preuve le génie face à l'horreur
l'entourant dans son laboratoire lorsqu'il crée celui qui sera sa
perte, sa fureur froide lors de sa croisade vengeresse, l'arrogance
qu'il lance au visage des pires monstres... Tout du personnage
respire la folie calculatrice. Face à lui, celui qu'on appelle à
tort Frankenstein, ce monstre maniant l'épée comme personne et
adorant la poésie, reste celui qu'on connaît depuis le #1. Kindt
parvient à composer avec les thèmes récurrents de la série sans
être redondant. Le monstre de Frankenstein est une erreur de la
science faite force de la nature. Implacable, incapable de définir
ce qu'il est, le héros de cette histoire trouve ici la cause pour
laquelle il se battra pendant des siècles.
Pour accompagner
ce script quasi-parfait, Alberto Ponticelli fait encore des
merveilles. L'artiste italien est fait pour donner corps à cet
univers horrifique. De la stupéfaction à la colère, le dessinateur
connaît sa palette d'émotions. Qu'il s'agisse de croquer
Frankenstein (le monstre hein) fracasser des crânes et arracher des
bras ou simplement esquisser un bateau voguant sur les flots,
Ponticelli livre un travail dynamique qui fait ressentir au lecteur
chaque choc, chaque chute, chaque changement de température. Des
montagnes neigeuses suisses à la flore luxuriante de l'Amérique du
Sud, on voyage avec les protagonistes et on en redemande. Et que dire
des abominations sur lesquelles s'ouvre la première page...
Loin d'être expédiée ou naïve, l'histoire que Matt
Kindt nous conte en 20 pages est complète, efficace et intelligente
dans sa narration. On regrettera peut-être le manque de nuances. Les
méchants sont méchants, très très méchants. Seulement, on peine à
s'attarder sur ce détail tant Frankenstein, Agent of S.H.A.D.E
#0 est plus que la somme du talent du duo aux commandes du titre.
Ceux qui aiment la série seront satisfait. Ceux qui sont passé à
côté feraient bien de s'y mettre. En plus d'être bon, ce #0 est un
parfait point d'entrée dans la série. Il serait dommage de passer à
côté.