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They Do Comics — Joe Keatinge

They Do Comics — Joe Keatinge

chronique

À l'instar des Maîtres de sur SyFantasy.fr et 9emeArt.fr, notre galerie de portraits se poursuit sur COMICSBLOG.fr sous un nouveau format complètement libre et dirigé par les petites mains d'Alfro : They Do Comics. L'idée, c'est de revenir toutes les trois semaines sur un artiste (scénariste, dessinateur, encreur, coloriste) qui marque son temps, et que l'on aime particulièrement au sein de la rédac'. Place à Joe Keatinge, caméléon de l'industrie, pour ce premier numéro ! 

Nombreux sont les artistes que l'on aura découvert grâce à Image Comics, qui fêtait ses 24 ans pas plus tard qu'hier. Même si cette tendance semble s'inverser dernièrement, l'éditeur indé' laissant de plus en plus de place à des auteurs déjà consacrés, de nouveaux talents continuent d'émerger au sein de leurs publications. Joe Keatinge fait partie de ceux-là, et pourtant l'homme aux cent casquettes n'a pas eu un parcours classique et a dû emprunter des chemins détournés avant de pouvoir partager avec nous ses histoires.

Joe Keatinge est né en 1982 à Santa Monica. Très vite cependant, ses parents vont quitter la ville californienne et ses célèbres plages pour s'installer à Portland. Ce sera dans la plus grande ville de l'Oregon, où il fera toute sa scolarité, que le futur auteur découvre ce qui va devenir sa grande passion : les comics. Nous avons déjà évoqué cette ville où résident un grand nombre d'artistes de comics comme Matt Fraction ou Brian M. Bendis. Elle a pour particularité d'avoir une concentration de comic-shops bien supérieurs à la normale, surtout que ceux-ci ont une offre très large puisque de nombreuses boutiques spécialisées, dans un étrange épiphénomène culturel, propose de la bande dessinée venue du monde entier. Si bien que Keatinge s'abreuve aussi bien de comics mainstream et indés que des BD de Métal Hurlant et des mangas. C'est donc en se faisant une culture très diversifiée qu'il gagne la conviction qu'il veut travailler dans le monde de l'édition, et surtout qu'il a l'idée de proposer un renouveau dans le genre de la BD américaine.

Une fois ses études finies, il va cependant quitter Portland, la capitale actuelle des comics. Mais ce n'est pas pour aller bien loin, à San Francisco, autre ville emblématique de la bande dessinée américaine, puisque c'est là que sont nés les comix underground, en témoignent les nombreuses boutiques spécialisées dans l'autopublication (les plus indés des indés) qui restent encore dans la cité nord-californienne. Là, il va se débrouiller avec des petits boulots, notamment en imprimerie. C'est surtout dans la ville des 49ers qu'il va rencontrer Erik Larsen. Le créateur de Savage Dragon va en quelque sorte devenir son mentor en lui apprenant toutes les facettes du métier. Ainsi, quand Eric Stephenson va demander à Larsen de lui aussi devenir éditeur chez Image Comics, ce dernier embarquera le jeune Joe Keatinge dans sa valise en lui proposant son premier vrai job dans l'édition.

C'est là que le chemin du futur scénariste prend des détours originaux puisque son premier job chez Image sera en tant que responsable de l'inventaire, puis attaché de presse. Il va même faire un passage par la case commerciale de la maison d'édition en apprenant le marketing auprès de Stephenson. Mais il est avant tout là pour apprendre à travailler dans l'édition et Erik Larsen continue à lui montrer les rouages du système. Notamment en le faisant participer à différents projets qui lui permettent de rencontrer de jeunes artistes. Keatinge va demander à l'un d'eux, Evan Bryce, d'illustrer une histoire courte qui sera intégrée à l'anthologie Negative Burn. C'est son premier travail d'écriture et déjà il se fait remarquer. Tellement que quand Erik Larsen lui propose de participer à une autre anthologie, qu'il édite lui-même, le dessin est assuré par nuls autres que Mike et Laura Allred.

C'est à ce moment-là qu'il faut lancer un générique de bromance, puisque peu de temps après s'être lancé en tant que scénariste sur ces histoires courtes, Keatinge va rencontrer Mark Andrew Smith. Ce dernier est presque son double, possédant la même culture BD globale, il est aussi un protégé de Larsen et Stephenson qui fait ses débuts chez Image en tant qu'éditeur. La seule différence, c'est qu'il s'est fait connaitre en étant le compère des premiers travaux de ce génie de Dan Hipp. Keatinge et Smith vont partager un grand nombre de points de vue sur les comics, et notamment que ceux-ci ont tendance à s'enliser dans leurs codes, et qu'il faut leur donner un coup de fouet en mettant en avant les artistes qui ont été influencés par la BD mondiale. C'est de cette idée que va naitre PopGun, une anthologie qui va faire découvrir un grand nombre d'artistes qui suivent la volonté d'évolution des deux éditeurs.

Les deux premiers numéros, dont les couvertures sont réalisés par Mike Allred puis Paul Pope, vont ainsi contenir des histoires d'artistes alors peu connus comme Andy Kuhn, Jim Mahfood ou Jonathan Hickman. Ces anthologies vont avoir un grand impact sur l'évolution d'Image Comics et son identité. Récompensées par la critique en recevant des Eisner et Harvey Awards, en 2008, elles annoncent une mutation du catalogue, qui suivra plus volontiers ces nouveaux créateurs. Il faudra attendre quelques années, on peut placer arbitrairement la date de cette révolution d'Image avec la sortie du premier numéro de Saga en 2012, pour voir comment cela va affecter l'éditeur qui va devenir la troisième force vive du marché des comics.

Pendant ce temps-là, Joe Keatinge va délaisser peu à peu son travail d'éditeur, laissant PopGun à la charge seule de Mark Andrew Smith (qui lancera encore deux autres numéros), pour se lancer pour de bon dans l'écriture. En 2012, il lance sa première série, Hell Yeah!, qui le voit assez étonnamment s'essayer à un comics super-héroïque. Prévue pour durer quelques temps, la série s'arrêtera au bout du premier arc (le premier numéro du second arc sortira sans jamais connaitre de suite) par manque de public. Le thème très classique, bien que déjà maîtrisé, et un dessin assez maladroit ne permettent pas à cette série de s'imposer, surtout que la mutation d'Image est justement en marche à ce moment-là. Keatinge va aussi à ce moment-là reprendre la fameuse Glory à la demande de Rob Liefield et révolutionner le personnage. Son travail sur ce comics va être largement remarqué et on va commencer à ne plus le considérer comme un éditeur qui veut écrire à côté mais comme un authentique scénariste.

Peut-être histoire de voir ailleurs comme c'est fait, peut-être aussi pour tuer le père de façon symbolique, c'est suite à cet embryon de reconnaissance que Joe Keatinge va rejoindre Marvel. Cependant, son expérience au sein de la Maison des Idées ne va pas durer très longtemps. On lui proposer dans un premier temps d'écrire la série Morbius, qui devait être régulière mais traitant d'un personnage si anecdotique qu'il était sûr qu'elle ne durerait pas longtemps (neuf numéros en l'occurrence). Pourtant, la critique louera son travail sur l'ennemi de Spider-Man, tout comme sur la mini-série Hulk qu'on lui confiera ensuite.

Comprenant tout de même que le work for hire n'est pas pour lui, le jeune scénariste va revenir chez Image au bout de son contrat qui aura duré à peine plus d'un an. De retour au bercail en 2014, il va lancer deux séries. L'une à la demande de Robert Kirkman, qui lui confie de relancer Tech Jacket, et surtout Shutter, qui sera son premier creator-owned au long cours et qui va confirmer tout le bien que l'on pensait de lui. Ce comics lancé avec l'illustratrice Leila del Duca nous emmène aux confins de l'imagination, dans un monde aussi loufoque qu'étrangement cohérent, où il met en scène une incroyable fresque familiale. Tant en terme de structure que de ce qui y est raconté, cette série est de très haute facture, si bien que l'on attend avec impatience son retour (le dix-huitième épisode sortira le mois prochain après une pause de six mois). Depuis, il a surpris son monde en lançant une série bien loin des cultures de l'imaginaire, puisque Ringside (trois numéros de sortis pour l'instant) raconte les déboires d'un ancien catcheur fauché dans les milieux interlopes de Los Angeles.


Notons aussi que Joe Keatinge est tout autant un passionné de musique qu'il l'est de bande dessinée. En effet, quand il n'est pas en train d'écrire, éditer ou lire des comics, le trentenaire joue dans Siamese Moog, un duo de musique électronique avec sa femme, et faisait tourner The Force of Habits Records, un disquaire punk de San Francisco qu'il avait racheté avec des amis (mais qui n'aura pas su résister à la disparition progressive des disquaires). C'est d'ailleurs suite à la fermeture de cette boutique qu'il a décidé de revenir sur ses terres de Portland. On voit que le scénariste américain ne connait aucun temps et que surtout il multiplie les expériences, une multiplicité de points de vue qui se retrouve énormément dans ses œuvres riches et qui célèbrent souvent la diversité du monde dans lequel on vit.

Alfro
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