Prendre un comics juste parce qu'on a un crush sur la couverture, c'est un peu rentrer dans un resto juste parce que la salle à l'air sympa. Parfois, le menu était tricky et on se demande dans quelle galère on s'est embarquer. Parfois, le chef derrière les fourneaux est juste un tueur qui nous fait passer un moment exceptionnel. Le cuisinier qui nous a mitonné Empty Zone tient clairement de la seconde catégorie.
Jason Shawn Alexander est ce genre d'artiste que l'on croise au détour de différents comics sans réellement sans réellement qui l'appartienne à cette industrie. Cela fait vingt ans qu'il est dans le milieu, à faire des comics pour tous les éditeurs, ayant collaboré avec Mike Mignola, dessiné des pages de Batman : Arkham City ou même travaillé avec Greg Rucka sur Queen & Country. Une bibliographie aussi disparate que peu fournie. Faut dire qu'il est plus connu pour sa carrière de peintre et illustrateur (ayant fréquemment été publié dans les pages de Juxtapoz ou Hi-Fructose). Un artiste au style particulier qui voulait se lancer pour la première fois dans un projet de comics creator-owned où il serait au scénario et au dessin.
Si bien qu'il a financé son Empty Zone grâce à Kickstarter et ainsi attiré l'attention d'Image Comics qui lui a apporté sa science de l'édition et son réseau de distribution. Un modèle bien particulier qui nous amène une série tout aussi particulière. Un véritable hommage au cyberpunk le plus pur; qui saurait sans doute ravir William Gibson tant ce comics respecte le genre à la lettre. Monde post-apocalyptique où la lumière du soleil ne traverse plus un épais nuage de pollution, ancienne soldat qui se balade avec un bras bionique, histoires de vol de données informatiques et robot tueur (bien cool). Tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette nouvelle série un véritable condensé de ce que la littérature cyberpunk a apporté à l'imaginaire collectif.
Seulement, son hommage n'est pas uniquement cosmétique, à faire dans la référence dénuée de sens. Jason Shawn Alexander s'approprie aussi les thématiques du genre, avec cette héroïne, Corinne, qui se laisse mourir dans un monde qui est lui aussi à l'agonie. On la suit au fil de ses missions (que l'on suppose être de l'espionnage industriel, comme un certain Johnny Mnemonic) et à travers sa dépression. Là où on sent que l'auteur a tout compris de ses influences, c'est quand il fait douter son héroïne de la réalité. A travers des fantômes qui viennent hanter son esprit et jouer avec ses sens. Des esprits qui semblent être produits par une étrange corporation, encore un clin-d'œil au genre cyberpunk.
Cet univers qui ressemble à une relecture bien sombre de Ghost in the Shell, comme si Mamoru Oshii avait rencontré Philip K. Dick, est magnifiquement porté à nos yeux par l'art saisissant de Jason Shawn Alexander. Féru de techniques mixes, dessin classique, fusain, peinture, il donne la vie à un monde aussi complexe que fouillé. Avec une véritable science du design, il créé une héroïne au charisme fou et la fait rencontrer des personnages hauts en couleurs, avec en point d'orgue un robot tueur absolument génial que Yukito Kushiro n'aurait pas renié. A cela, il associe une mise en page aussi astucieuse qu'efficace, qui accompagne parfaitement la lecture et met encore plus en lumière l'aspect émotionnel de son récit.
Encore une bonne surprise chez Image Comics. Empty Zone nous appâte d'abord par des graphismes sublimes et de grande maîtrise avant de nous livrer un récit aussi passionnant qu'éthéré. Une plongée dans les ténèbres d'un futur à l'agonie où l'on croise une héroïne incroyablement classe et intéressante. Le cyberpunk a de beaux jours devant lui.
