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Édito #4 : Mais où est donc passé Alan Moore ?

Édito #4 : Mais où est donc passé Alan Moore ?

chronique

"Never compromise. Not even in the face of Armageddon."



Ce mantra que proclame un Rorschach dont la folie avilissante n'a pu entièrement cacher la grandeur intrinsèque qui habite le bonhomme, cette phrase lancée comme un défi, cette profession de foi même, Alan Moore doit l'avoir placardée bien en vue chez lui. Sur du granit immémorial que rien sinon les millénaires ne pourrait éroder. Le genre de truc aussi lancinant et imposant que le regard d'un maton ou d'un dieu (s'ils ne sont pas les mêmes). Car visiblement, il n'a jamais pu y échapper ce fou génial. Si Rorschach s'est fait narrateur, c'est qu'Alan Moore n'en était pas bien loin.

Jamais de compromis. Quitte à envoyer tout le monde valser. Lecteurs compris. Jeter le bébé avec l'eau du bain était trop timoré pour lui, il fallait mettre le feu à la salle de bain toute entière. Plusieurs fois. Comment un tel génie, un scénariste pour qui écrire était un combat qu'il menait tel le plus grand des gladiateurs, est-il devenu ce sujet de discussions où l'amusement vrille toujours la commissure des lèvres ? Un artiste qui déchirait la toile du réel pour entrer dans les cerveaux, mais qui a finit par traverser le tableau pour vivre dans sa fiction personnelle.

On va être honnête avec toi Alan, tout n'est pas que de la faute des éditeurs. Figure-toi qu'on les a lu tes dernières œuvres. Ou du moins, on a essayé. Franchement, il y a du bon, de l'excellent même, comme quand tu interroges le rapport que l'on a avec la culture pop dans tes dernières itérations de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires (qui montre quand même que tu n'es pas l'ermite auquel tu voudrais nous faire croire). Mais pour ce qui est du reste ?

Le Neonomicon ? Ce combat d'égo avec Garth Ennis pour savoir qui sera le plus irrévérencieux ? Un hommage à H.P. Lovecraft qui tourne dans un délire où le maître de la littérature fantastique disparait bien vite derrière des viols collectifs que même les plus grands auteurs de tentacle rape trouveraient malsain dans la construction. Je m'arrête à un épiphénomène dans la série. Tu as raison. C'est juste que l'arbre qui cache la forêt a quand même une sale tronche de verge d'un monstre qui n'a plus grand chose à voir avec Cthulhu.

Et Fashion Beast ? Ça c'était excitant comme projet ! Alan Moore et Malcom McLaren, le Pape fou de l'explosion punk, le vrai créateur des Sex Pistols, le manager-escroc visionnaire ! Le duo qui allait faire revenir toute ta verve sociétale et ton œil perçant ! Ou pas. Ou alors tu nous sers une analyse indigeste d'un monde de la mode daté, moche (bon ça, ce n'est pas de ton fait on te l'accorde) et à la limite du je-m'en-foutisme scénaristique. 


"This is all a joke."

Tu nous avais prévenus pourtant. On attend toujours ces histoires qui selon toi redéfinirait ce que pourrait être la bande dessinée dans le futur. Mais tu préfères tes productions Avatar Press cependant ? En terme d'innovation, on repassera. Pourtant, c'est pas faute de nous l'avoir dit, les comics et son monde mercantile, c'est fini, et désormais tu préfères t'adonner à des rites magiques obscurs, et voue un culte à Glycon. Ah, la bonne blague. Le Comédien était finalement bien plus le héros de Watchmen que n'importe quel autre personnage, et l'autre avec sa face de tâche d'encre était juste le reflet de tes angoisses, de ta propre paranoïa. Car le message avec Glycon est pourtant clair. Ce dieu réinventé de toute pièce par Alexandre, le faux-prophète (voir le traité de Lucien), une secte basée sur un mensonge qui aura fait plier l'Empire Romain d'Orient par la seule force de sa mystification.

Tout n'est qu'une vaste blague, ce monde et le prochain. Mais la blague n'est plus drôle depuis longtemps :

"J'ai entendu une blague un jour : un homme va chez le toubib, dit qu'il est déprimé, la vie lui parait dure et cruelle. Il dit qu'il se sent tout seul dans un monde menaçant. Le toubib dit : le remède est simple, le grand clown Paillasse est en ville. Allez le voir, ça vous remontera. L'homme éclate en sanglots : "mais docteur, qu'il dit, je suis Paillasse."

Bonne blague, tout le monde rigole, roulements de tambour, rideau."

Tu nous l'as dit et nous n'avons pas compris. Nous avons ri à tes blagues, demandé à ce que tu nous amuses encore. Mais ce rôle d'amuseur publique, il est tragique. C'est une blague qui tue, qui te tue. Nous, nous marchons sur le rayon de lumière sans crainte. Qui sont les fous ?

Alfro
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