En amont de cet été, on a souvent pu retrouver certaines tournures dans les colonnes de la presse spécialisée. Cette fois, c'est bon : c'est le dernier clou dans le cercueil. C'est le film de la dernière chance. Dernier arrêt avant le terminus. Autant de prophéties crépusculaires pour un cinéma des super-héros en bout de course, qui aura eu le temps d'user toutes les patiences, de tenter toutes les approches, et pour qui ne reste plus qu'un ultime coup de poker avant de devoir quitter la partie. Bon. Ceci étant, vous vous en doutez forcément : tout ceci reste de la pure prospective. Un narratif dans l'air du temps, comme le célèbre principe de la "fatigue des super-héros", revenue périodiquement pour contextualiser tel ou tel échec précis. Or, un narratif, ça se renverse.
Et c'est en poursuivant cet objectif immédiat que Marvel (Disney) et DC Comics (Warner Bros. Disocvery) se sont mis en tête de relancer la machine. Comment ? En revenant aux racines. Aux racines des problématiques qui avaient coincé le mécanisme, oui. Mais aussi, voire surtout, aux racines fondamentales. Phénoménologiques, même. Pourquoi pas. En se réintéressant aux super-héros fondateurs de leurs deux univers, Superman d'un côté et les Quatre Fantastiques de l'autre, les deux enseignes entendent dépoussiérer la formule pour proposer deux oeuvres plus authentiques, plus accessibles, dépouillées de toute nécessité de continuités antérieures, en hommage aux géants du passé, et dans des formats plus libérés qui s'autorisent (enfin) une zone d'expressivité loin des contraintes de producteurs, des ingérences de studio. Deux films qui assument de fonctionner comme de véritables adaptations de BDs, et dans des tonalités plus optimistes, enfin, en reflet d'un présent devenu plus gris, plus terne, plus compliqué.
Contrairement aux équipes de chez DC Studios, cependant, Kevin Feige et sa clique doivent toutefois composer avec l'idée d'une production enchassée entre deux moments. Contrairement au Superman de James Gunn, le film Les Quatre Fantastiques de Matt Shakman n'est pas une véritable nouvelle porte d'entrée pour le grand public. Mais plutôt, une amorce, une note d'intention, le "héraut" d'une éventuelle prise de conscience... ou la confirmation d'un sursaut au ralenti amorcé depuis la sortie du Thunderbolts* de Jake Schreier. Tout en servant de prologue inassouvi aux prochaines productions de la saga. Cette curieuse imbrication gâche une partie de la fête... et malheureusement, en sortie de séance, se perçoit tout de même un vaguement sentiment de comparaison qui amoindrit le résultat final. Excelsior ? Un peu. Mais pas tout de suite.
Pour entrer dans le vif du sujet : le film Les Quatre Fantastiques : Premiers Pas s'ouvre sur un carton qui pose le contexte d'emblée. Nous sommes bien dans une réalité parallèle. Une réalité qui n'a pas attendu que Tony Stark se libère de sa réclusion ou que Loki ne se découvre un complexe de fils adoptif pour valider l'amorce de la mécanique super-héros. Comme dans le monde des comics, les Quatre Fantastiques étaient au départ de simples exporateurs partis en mission dans l'espace, qui reviendront sur Terre chargés de super-pouvoirs après avoir été exposés aux rayonnements cosmiques. Comme dans les comics, cette fois, Susan Storm est enceinte. Et comme dans les comics... Galactus est en chemin. Le film opte pour une introduction qui mise d'abord sur l'intime avant de s'axer vers une direction plus généreuse, en reprenant les codes de la télévision des Etats-Unis dans les années cinquante et soixante pour mâcher le travail dans un résumé synthétique, généreux, gavé de clins d'oeils aux BDs de l'âge d'argent.
Au global, et en surexposition d'une superbe bande-son signée Michael Giacchino, cette accroche qui mise sur l'idée de présenter les Quatre Fantastiques comme les vedettes d'un esprit américain désuet fonctionne tout au long du film (en dehors de quelques moments plus discutables lors d'interactions avec la foule ou la presse). On comprend rapidement que toute l'armature du scénario s'est basée sur cette idée : se reconnecter aux optimismes béats, aux regards fascinés, aux moments d'émerveillement de l'aube du "Marvel Age", une époque rendue charmante par le passage du temps. La caméra reprend volontairement une esthétique de publicité, de sitcom familiale poussiéreuse, de reportages de télévision d'autrefois, et les décors sont chargés de références utiles pour habiller ce décor. Cet amalgame temporel reprend pour lui l'esprit des premières expéditions spatiales du monde réel, au moment de la course vers la Lune, lorsque les astronautes étaient encore traités comme des figures héroïques, patriotes, les hommes et les femmes demain.
On comprend aussi que Reed Richards est devenu le présentateur d'une émission éducative pour expliquer la science aux enfants (façon Bill Nye, le Jamy des Etats-Unis). On comprend que les Quatre Fantastiques représentent un esprit de mascotte pour cette Amérique en plein boum de la télévision domestique. Le film s'incarne pleinement dans cette esthétique rétrofuturiste, qui adopte une technologie atompunk, comme l'incarnation des grandes transition technologiques et sociales qui couraient dans le monde véritable au moment où Jack Kirby et Stan Lee inventaient ce groupe de héros.
Une sorte de retour d'ascenseur bienvenu pour un produit qui semble avoir pleinement compris la force de l'idéal qu'incarnent les Quatre Fantastiques : un optimisme d'époque parfaitement identifié et ancré dans son contexte. Celui de la science, des étoiles, mais aussi du divertissement, de la culture pop'. L'annonce des lendemains meilleurs et de la fédération autour d'une famille soudée et volontaire. Avec, en son sein, le savant, l'homme de la rue, le jeune garçon insouciant, et le ciment essentiel pour unir toutes ces figures disparates : Susan Storm, la véritable héroïne du film de Matt Shakman, portée par une Vanessa Kirby inspirée et convaicante (sûrement une question de nom de famille). Tous les éléments de référence sont là pour indiquer que l'équipe a bien fait ses devoirs.
On croise les bureaux de Timely Comics le temps d'une scène fugace, on croise un Ben Grimm dans Yancy Street, la rue dans laquelle Jack Kirby a grandi, on croise un équivalent du premier cartoon Fantastic Four, on nomme presque tous les vilains de la galerie traditionnelle... presque, bien sûr, puisqu'un nom manque forcément dans ce gros tas de références. Le costume de Galactus est repris tel quel (jusque dans le design de ses célèbres pupilles), de même que ceux des Quatre Fantastiques, bien plus réussis que l'écrasante majorité des tenues proposées par Marvel Studios depuis au moins... depuis au moins. Cette recherche studieuse d'une identité propre, volontiers décalquée de l'origine fondamentale des comics, se perçoit du début à la fin. L'ombre de Jack Kirby plane sur Les Quatre Fantastiques : Premiers Pas comme celle du Dévoreur des Mondes sur la ville de New York. Des choix de design réussis des intentions louables, une envie de trouver sa propre personnalité, de faire comics.
Depuis les détails de second plan jusque dans les machineries les plus évidentes : un décor concret pour représenter les rues de New York (et qui sera aussi rentable que la place de Hill Valley dans les films Retour Vers le Futur - en somme, "pour une fois on a construit un décor en dur, donc : on va l'utiliser"). De ce point de vue, l'exemple le plus évident serait probablement le Captain America de Joe Johnston, qui avait opté pour une photographie plus stylisée, et toute une variété de clins d'oeil aux premiers comics de Kirby et Joe Simon. Kevin Feige a visiblement intégré cette révérence vis-à-vis des auteurs pionniers dans son processus de production, en saisissant l'utilité de faire preuve d'un peu plus de justesse quand ces figures précises entrent dans l'équation. Pour un fan de comics, le résultat est prenant... mais trouve tout de même quelques limites évidentes.
Sur le plan du scénario et de la structure, le film avance vite. Au sortir de l'introduction, et de quelques scénettes pensées pour capter l'esprit de cette famille de surhommes, la menace va rapidement s'amorcer en reprenant, là-encore, les idées posées par Jack Kirby. Une Silver Surfer prophétise l'arrivée de Galactus, et les Quatre Fantastiques vont tenter d'empêcher ce dieu des étoiles de venir dévorer leur planète... en comprenant au passage que celui-ci a un autre objectif en tête. Une fois passé le stade du reportage télévisé et des fausses publicités, l'écriture et le montage se cognent contre quelques problématiques claires : un manque d'alchimie entre certains des membres du casting, un montage qui laisse trop flotter les moments de silence, et un découpage qui alterne entre de brusques accélérations et des scénettes attrapées au vol pour nourrir la mécanique familiale d'ensemble.
En somme : le film boîte. On comprend bien qu'une menace est en route, mais la temporalité du danger n'apparaît pas, et on réalise même rapidement que le film déroule presque une année complète de vie pour ces protagonistes (et pour la planète Terre dans son ensemble) en accéléré. A contrario, les moments de vie mettent un long moment avant de fonctionner, comme si le résultat avait été tourné par ordre chronologique et que le casting avait trouvé son alchimie en cours de projet. Pour proposer une présentation rapide : Vanessa Kirby s'en sort avec les honneurs, Pedro Pascal n'impressionne pas dans son interprétation éteinte et morose de Reed Richards (on comprend qu'il s'agit bien d'une direction assumée, le personnage étant présenté comme un pessimiste fondalementale renfermé), Joseph Quinn se dépatouille avec le peu de script qu'on lui propose pour habiller sa Torche Humaine, et Ebon Moss-Bachrach est plutôt convaincant... tout en devant composer avec un manque cruel de texte, là-encore.
Au global, ces personnages n'ont pas forcément grand chose de neuf en comparaison des lectures précédentes. Et c'est un problème à l'envers : d'une part, on comprend bien que Marvel Studios a voulu éviter de tomber dans le ridicule ou dans le burlesque, pour éviter d'être comparé aux films de Tim Story... mais il en ressort mécaniquement un résultat un peu plus froid, un peu plus flottant, et qui refuse d'utiliser les pouvoirs des Quatre Fantastiques dans leurs interactions quotidiennes. D'ailleurs, ceux de Reed Richards sont probablement les moins présents au cours de l'aventure, comme pour accentuer cette impression d'un héros pas forcément bien compris ou bien interprété.
D’autre part, si l’envie était de proposer une aventure plus humaine, ou plus ancrée dans la réalité sociale des années cinquante, le scénario laisse assez peu d’éléments aux deux “tontons” des Quatre Fantastiques pour exister sur un plan individuel. Lors d’une des scènes finales du long-métrage, l’un des personnages de l’équipe entame par exemple une sorte de sacrifice. Or, rien dans le scénario ne laissait supposer que cette idée allait être posée telle quelle, tout simplement parce que… le personnage en question n’avait pas forcément eu le droit d’exister au sein de ses propres problématiques individuelles pour accoucher de ce résultat. On comprend globalement que Matt Shakman, pour qui il s’agit du premier film de cette taille pour le cinéma (et du second film tout court, le bonhomme étant plutôt un habitué du registre des séries télévisées) a dû tatonner au niveau du montage. Un constat qu’il avait d’ailleurs évoqué lors d’une entrevue accordée récemment aux équipes du site Variety, en expliquant notamment pourquoi John Malkovich avait disparu de la version finale.
Cette petite absence de Johnny Storm et Ben Grimm laisse finalement reposer sur les parents Richards le cœur de l’intrigue et des enjeux concrets. Là-encore, quelques problèmes se posent, dans le rapport entre les parents et le reste du monde notamment, mais aussi dans cette envie de présenter la réalité des Quatre Fantastiques comme une Terre utopique, soudée, portée par les aventures héroïques de ce petit groupe d’individus. Sans trop en dire, le film envisage une parabole sur l’effort collectif face au risque d’un effondrement planétaire (message à peine dissimulé sur le réchauffement climatique) et une allégorie christique étonnante dans ses derniers instants… mais les deux idées manquent de place, manquent de matériaux pour être explorées en profondeur. Pour l’heure, les efforts restent superficiels, et c’est dommage, dans la mesure où ces deux pistes auraient eu le mérite d’ajouter un discours de fond dans cet enrobage de bonnes intentions.
Au global, Les Quatre Fantastiques : Premiers Pas ne propose pas réellement de "propos" en tant qu'oeuvre de fiction. Ou bien, peut-être, un propos beaucoup plus essentialiste : nous, humains, appartenons à la même espèce, à la même famille, et dans la mesure où les Richards incarnent tout bêtement la "First Family" de l’univers Marvel, leur microcosme passerait pour une allégorie de la résilience et de la solidarité de notre espèce par le prisme de l’héroïsme et du refus de la défaite programmée. Ce qui reste trop léger pour servir de base solide, malheureusement, mais probablement suffisant pour un film qui vise ouvertement le public des parents. Et qui se présente logiquement comme moins clivant que Superman dans ce petit groupe des productions modernes penchées le sujet de l’effondrement planétaire.
En définitive, Les Quatre Fantastiques : Premiers Pas reste un effort considérable de la part de Marvel Studios sur le pur plan formel. Plus riche, plus esthétique, plus créatif que l’essentiel des films de l’enseigne sur le plan artistique, le film s’amuse de son petit univers fantasmé, s’amuse quand vient le moment de filmer les séquences en surf de son héraldesse argentée, et propose une authentique fascination pour le voyage spatial et les merveilles de l’espace pendant le gros de sa seconde moitié. En revanche, le bilan est plus poussif sur sa dernière ligne droite, avec un manque cruel de moments marquants capables d’imprimer la rétine, ou d’utilisation ludique des pouvoirs des quatre héros.
Encore une fois, parce que ce même sentiment de retenue confond le fait de ne pas en faire trop par peur du ridicule… et la nécessité d’en faire plus, par peur de la mollesse. On se demande même si le film ne passerait pas pour plus "normal" ou plus "habituel" chez Marvel Studios sans la bande-son exceptionnelle de Michael Giacchino. Véritable vedette de toute cette petite expérience, celui-ci passe pour l’auteur inavoué de toute la trame émotionnelle du projet, dans les moments de grâce, de tension, d’intime ou d’émerveillement. Une magnifique partition qui comprend là-encore le besoin de revenir aux sonorités d’une époque où la science et le voyage spatial représentaient encore une source de miracle pour l'esprit humain, et où ces personnages incarnaient tout bonnement le grand renouveau de la fiction populaire.
Maintenant, s'il est naturel de vouloir pousser la comparaison avec un Superman moins académique, mais paradoxalement plus libertaire et émancipateur, on aurait peut-être tort de vouloir regarder dans cette direction. De fait, au sein du moule entretenu par Kevin Feige depuis plus de dix ans maintenant, Les Quatre Fantastiques : Premiers Pas reste une bouffée d’air frais dans l’épaisse brume de ces dernières années. Moins abouti dans l’écriture de ses problématiques humaines (c’en est même comique) que le Thunderbolts* de Jake Schreier, celui-ci a l’avantage de ne pas avoir vendu autre chose que ce qu’il entendait proposer, et surtout - surtout ! - de ne pas avoir pris son public pour un parterre d’abrutis.
Enfin, on n'entend plus normaliser les idées folles de la matière comics. Enfin, on assume que ces personnages entretiennent une paternité avec leurs auteurs légitimes avant d’en faire des héros de cinéma. Enfin, on ne blague plus sur Ben Grimm, en ne nous assénant plus l'angle de la créature mal dans sa peau. Enfin, Galactus a son casque, et enfin, Franklin Richards existe pour de bon. On peut dire beaucoup de choses sur les effets spéciaux, le manque d’une véritable déflagration dans la scène finale, ou le montage de la première partie… mais du simple point de vue des adaptations de comics, Superman et les Quatre Fantastiques nous permettent de passer un stade cette année. Hollywood ne ressent plus le besoin de cadrer ou de contextualiser : les deux grosses sorties de cet été s’assument pour ce qu’elles sont, et malgré quelques petites difficultés d'allumage des deux côtés de la barrière, respirent enfin de cette passion pour l’originalité unique qui va avec le fait de filmer des gugus en justaucorps contre de gros aliens baveux. Des oeuvres honnêtes… envers les fans, mais aussi envers ce qu'elles sont.
Beaucoup de choses pourraient encore se rajouter dans ce premier bilan du film Les Quatre Fantastiques : Premiers Pas, mais pour ce qui concerne la suite, la conclusion et la porte ouverte vers Avengers : Doomsday (ou d'autres détails que l'on ne peut pas évoquer sans tomber dans le spoiler), il faudra attendre encore un peu. Maintenant, mettons seulement que le résultat est plutôt agréable, surtout si l'on se compare aux précédentes tentatives d'adapter les héros de Jack Kirby. Même si l'on comprend que Matt Shakman porte cet héritage comme un fardeau, au point de se retenir de proposer un résultat plus libre ou plus articulé (au point de s'empêcher de vouloir faire rire - c'est rare chez Marvel ! - ou de ne pas réussir lors des quelques tentatives envisagées). Porté par son optimisme, alourdi par son montage, sauvé par son design et son envie d'incarner noblement le statut de l'adaptation qui a fait ses devoirs, le grand retour des Quatre Fantastiques au cinéma se veut plus mature et créatif tout en trahissant quelques limites notables. Non, il ne s'agit (toujours) pas du grand film dont Marvel Studios aurait eu besoin pour relever la tête au sortir de quelques années de vaches maigres... mais d'un produit d'une meilleure tenue sur le plan académique, suffisamment convaincant et bien intentionné pour tenir debout. On ne serait pas contre une suite, une fois libéré de cette pression de la première fois... et peut-être que Reed aura eu le temps de se laisser pousser la barbe d'ici là.