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TMNT : les années '80 et l'obsession Ninja

TMNT : les années '80 et l'obsession Ninja

chronique

Ce n'est pas un hasard si les Tortues Ninjas sont inventées au tournant des années '80. Emblématiques d'une période, d'un imaginaire que le cinéma, les comics et le jeu vidéo porteront de leur côté : une ère de punks, de ville de gangs, de ninjas et de vêtements fluos. Si la culture moderne aura retenu une partie seulement des lubies de cette époque, derrière les mafieux russes à tigre blanc, les cyborgs ou les synthétiseurs de Carpenter, le public de l'époque avait une autre obsession. Il aimait (vraiment) les ninjas.

Apparus à l'ouverture de la décennie, ce corps armé inspiré par une authentique tradition japonaise, largement remaniée par l'imaginaire d'occident, est l'étape d'après pour les films du répertoire Arts Martiaux. D'emblée, le ninja est cool. Mystérieux, surarmé, tantôt un bon antagoniste implacable et honorable, tantôt un vieux sensei sage et puissant qui transmet son savoir à un héritier - de préférence, américain. C'est ainsi que naîtra le mythe de l'American Ninja, terme référencé à un classique de la série B devenu une sorte de tradition à l'époque, où on ne se demandait pas si le whitewashing risquait de heurter quelqu'un. Mais n'allons pas trop vite.

 

En 1967, les productions Albert R. Broccoli adaptent une fois de plus les écrits de Ian Fleming et son célèbre James Bond. You Only Live Twice - On ne Vit que Deux Fois sous nos latitudes - transpose librement le récit de l'écrivain au cinéma, en gardant le paysage japonais et la présence de ninjas dans l'équation. C'est alors la première fois que l'occident pose les yeux sur ces étranges combattants, qui sont en fait ici plus proches de l'idéal japonais de référence. Des guerriers qui excellent dans leur domaine, la définition première et plus vaste de ce que l'inconscient collectif transformera plus tard.
 
Les années 1960 ont digéré les années pulp, l'aspect mystique ou ésotérique de l'Asie apparaît comme de moins en moins pertinente dans un monde qui s'ouvre de plus en plus à l'international. En 1964, les Jeux Olympiques sont organisés à Tokyo, une première mondiale pour l'ensemble du continent. Les bonnes performances de l'équipe de judo nationale impressionneront les spectateurs du monde entier, en plus de permettre à ce Japon traumatisé par la Guerre de faire étal de sa puissance retrouvée. Les films comme James Bond seront les premiers à concrétiser cette fascination pour les arts martiaux d'orient, une vague qui ne fera que monter jusqu'à l'importation massive de cinéma hong-kongais aux Etats-Unis et en Europe.
 
Dans les années 1970, le studio Shaw Brothers commence à occuper les salles américaines. Five Fingers of Death (1973) sera le premier de son genre à être distribué par un grand studio occidental, et suivront toute une génération imposée par la figure centrale du mouvement : Bruce Lee. Cette décennie là sera l'occasion d'un vaste éclatement aux Etats-Unis, qui se met à importer en masse le cinéma d'avant-garde européen et dont les productions locales à gros budget périclitent devant l'arrivée du Nouvel Hollywood. Sam Peckinpah lui-même sera le premier de son pays à filmer un ninja dans le discutable The Killer Elite en 1975. A l'ombre, une culture de genre fascinée par l'horreur et le combat se développe, devant les téléviseurs.
 
Puisque le cinéma d'arts martiaux devient un genre à part entière, largement popularisé par l'apparition à la fin des années '70 du format Video Home System (ou VHS) de JVC, et Betamax de Sony. L'ère des vidéoclubs s'annonce, et alors que de premiers acteurs blancs et locaux commencent eux aussi à corriger les malfrats des rues à coups de semelles de godasse, 1980 arrive, et Chuck Norris met les pieds dans le monde des ninjas.


La décennie s'ouvre sur un doublé d'oeuvres annonçant le changement de mentalités : Shogun, une mini-série historique où un explorateur anglais traverse les manigances brumeuses de la féodalité japonaise, et The Octagon - ou encore "La Fureur du Juste". Dans ce film du réalisateur Erik Karson, Chuck Norris fait ce qu'il fait de mieux. Il tape sur des gens, et parmi ces gens, on retrouvera l'un des premiers gangs de ninjas belliqueux de l'histoire du cinéma. Premières racines d'une tradition qui s'emparera des films d'actions et de combat de la décennie et où chacun des grands héros de l'époque y ira de sa propre mandale dans l'édifice. Croulant.

L'idée du ninja comme antagoniste évolue au fil de leur popularité et on les verra bientôt devenir des figures enviables. La mystique, leur aspect élégant, rapide, stylisé, donneront envie à certains artistes ou cinéastes de s'emparer de leur imagerie pour en habiller leurs héros. Ainsi naîtront les Enter the Ninja ou American Ninja, des élèves d'une tradition séculaire massivement réinventée à coups de sai, de nunhak' et autres shurikens classiques. Les productions de série B entrent vite dans le répertoire du film d'exploiration, ou la ninjasploitation, qui pénètre efficacement, à l'image des films de la décennie passée, les spectateurs afro-américains. 

Fier étendard du cinéma bis et de genre, ce genre évolue en parallèle de la blascksploitation, avec un même public pas mécontent de voir un peu de couleur se mêler à un paysage culturel encore trop blanc à l'époque - paradoxalement, le cinéma d'action asiatique aura une influence lourde sur l'imaginaire hip hop une génération plus tard pour les mêmes raisons.



En comics, un auteur en particulier sera fondamental pour l'imagerie, voire la création même des Tortues Ninjas. Nous sommes en 1979 quand Frank Miller arrive sur Daredevil au poste de dessinateur. L'artiste devra militer pendant deux ans auprès de Dennis O'Neil, à l'époque éditeur du Diable Rouge, pour obtenir les clés de l'écriture et transfigurer Hell's Kitchen à son image, avec ses propres obsessions et lubies. 

Si Miller a faconné en grande partie l'imaginaire des années '80 en BD pour ses rues sans lois, sa violence oppressante et ses héros brisés, l'auteur est avant tout un grand fan de culture japonaise. Inspiré par le manga Lone Wolf & Cub de Kasuo Koike dont il admire le dessin, le cinéma de Kurosawa et les mythes de ce lointain folklore comment celui de Zatoichi, le samourai aveugle, il va redessiner les rues de Hell's Kitchen en y insufflant ce goût pour les mangas et le cinéma asiatique. Daredevil devient tout à coup un ninja, formé par un maître aveugle. Elektra fait son apparition, de même que La Main - si vous vous demandiez pourquoi les adversaires des Tortues s'appelaient le Foot, vous avez votre réponse.

Dès l'instant où ils ont commencé à raconter l'origine des Tortues, dans le premier numéro de la série en 1984, Eastman et Laird lorgnaient sur un spoof sanglant de Daredevil. A une case près, le récit de Matt Murdock est celui des jeunes mutants, leur New-York un pastiche de Hell's Kitchen ou de la cité délabrée de Ronin, autre oeuvre culte signée Frank Miller.

D'autres séries Marvel ou DC commenceront à implémenter des ninjas, depuis Wolverine lorsqu'il fera le voyage vers le Japon comme le personnage d'Iron Fist, un autre héritier de la vague des films de Hong Kong dans les années '70. Le vieil homme au chapeau continuera sa route de son côté sur Batman dans un registre plus conventionnel, quoi que nous n'oublieront jamais son Joker yakuza dans All-Star Batman & Robin (pour de bonnes raisons).


Plus tard, le mouvement connaîtra un intéressant métissage, cette fois vu du Japon. A la fin des années '80, les jeux de combat et les beat them all sont de plus en plus présents dans les salles d'arcade, inspirées par le même héritage de films d'arts martiaux. Si, dans la plupart d'entre eux, le joueur commence par affronter quelques bandes de malfrats des rues, l'évolution en difficulté mène peu à peu vers différents échelons d'adversaires où l'on trouve encore une fois les lanceurs de shurikens. Même constat pour les jeux de combat, prolifiques après Street Fighter en 1987 (et sa légendaire suite) côté Capcom et SNK.

L'esprit des années '80 rayonne dans ces productions, qui vont directement chercher dans l'iconographie des combattants du cinéma bis de la décennie. Van Damme, Norris, Sho Kosugi, le Japon en bon consommateur de bizarreries venues d'ailleurs s'acoquine de ces versions parodiques de leur propre culture, pour mieux la revendre en occident. 

Le mouvement grossit jusqu'à des jeux comme Shinobi ou plus tard, Tenchu, Dead or Alive ou Ninja Gaiden, de merveilleuses déclarations d'amour à ce mélange de tradition authentique et d'iconographie stylisée entièrement fictive. Un vaste élan créatif d'union entre les joueurs, consommateurs d'animés et de mangas qui arrivent enfin en masse chez nos voisins outre-Atlantique et nos propres canaux hertziens, et les super sentai, Power Rangers et associés. Le dessin animé et les films Tortues Ninjas de l'époque empruntent même à leurs cousins de l'Est le gimmick des héros à couleur identifiable, et l'ensemble prend des allures de culture mainstream vendeuse pour les jeunes générations. 

Côté comics, tandis que les héros musculeux des années '90 font une place importante aux combattants de cette école (mélangés avec leurs propres codes de sexualisation et de démesure, à l'image de Psylocke chez les X-Men). On en trouve encore aujourd'hui, et le succès de la série Daredevil qui puise allègrement dans l'héritage de Miller est un énième symtôme de la vivacité de cette iconographie.


Le ninja des années '80 passerait pourtant pour ringard aujourd'hui. En vérité, c'est davantage cette première forme (rudimentaire) et le cinéma d'action qui l'aura invité le premier à venir visiter l'occident que l'on peut légitimement trouver vieillot. Dans le reste de son existence, débarassé de certaines exagérations, le mythe du combattant silencieux aura traversé les époques avec un vaste mouvement de métissage culturel. L'Asie se sera impregnée d'une génération adete d'un monde plus ouvert, qui va amalgammer tout un héritage de ses lectures à l'Est comme à l'Ouest pour extraire un genre de fascination moins bornée que celle du public de l'époque.

Dans les succès récents du ninja, des oeuvres comme Naruto montrent à quel point le terme peut devenir polymorphe pour peu qu'on ait envie d'en faire autre chose que le cliché habituel. Paradoxalement, les Tortues Ninjas sont plus héritières d'une décennie et de son regard particulier sur la question, tout en étant, de par leur histoire, fidèles à l'évolution du genre : perpétuellement populaires.

Corentin
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