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L'immense caricaturiste Mort Drucker (Mad Magazine) nous quitte à l'âge de 91 ans

L'immense caricaturiste Mort Drucker (Mad Magazine) nous quitte à l'âge de 91 ans

NewsDc Comics

L'an dernier, DC Comics, responsable de la publication de Mad Magazine dans le consortium WarnerMedia, se décidait à mettre fin à la revue satiriste, monument du paysage de la presse papier aux Etats-Unis. En 1956, après le départ du fondateur Harvey Kurtzman, un jeune dessinateur proche de Will Eisner frappait à la porte de l'éditeur de MadWilliam Gaines, pour proposer ses caricatures après quelques années chez National (DC) à illustrer des strips militaires ou humoristiques. Le hasard veut que Mort Drucker, devenu entre temps le dessinateur le plus populaire dans l'histoire du magazine après cinquante-cinq ans de service, a suivi d'assez près l'annulation de Mad, comme pour saluer la fin d'une époque. L'artiste s'est éteint il y a quelques jours dans ses quartiers Woodburry, à New York. Il était âgé de quatre-vingt onze ans.

En 1947, Drucker, âgé de dix-huit ans, devient l'assistant de Bert Whitman sur la bande-dessinée Debbie Dean avait de prendre ses quartiers chez National, où il travaillera principalement sur les finitions. S'établissant en freelance au début des années cinquante, il finira par postuler pour Mad Magazine, une revue lancé quelques années plus tôt par William Gaines pour échapper aux censeurs du Comics Code Authority. Pendant les années Kurtzman, Mad se spécialise dans la satire des codes de la bande-dessinée, avec énormément de parodies ou d'histoires drôles contribuant à poser les bases du comics underground aux Etats-Unis. Sous la direction d'Al Feldstein, qui prendra les rênes de l'éditorial après Kurtzman, Drucker dirige peu à peu le magazine vers une satire plus proche des sphères du cinéma, amorçant une révolution qui transportera peu à peu le public de la revue vers d'autres lecteurs, à la croisée des disciplines. Amoureux de la pellicule, l'artiste se fait un nom pour ses parodies de grands films populaires, avec un talent unique pour la reproduction de techniques de mise en scène en BD, l'expressivité des mains et de la gestuelles, et en couchant les trognes des comédiennes et comédiens d'Hollywood sur papier noir et blanc.
 
En se faisant aider par un collègue, Angelo Torres, envoyé dans les salles de cinéma avec un appareil photo' pour capturer quelques séquences des oeuvres à parodier, Drucker devient peu à peu une référence pour les jeunes passionnés de cinéma et de comics, s'apprêtant à leur tour à entrer dans la carrière. En 1973, un jeune cinéaste débutant du nom de George Lucas fait appel au dessinateur pour réaliser le poster de son deuxième long-métrage, American Graffiti. Suite à cette rencontre, Drucker va répondre à cet hommage en signant la version parodique du film de LucasAmerican Confetti, dans les pages de Mad
 
L'anecdote qui s'ensuit entre vite dans les chroniques historiques de la relation entre comics et cinéma : en 1981, après la sortie de L'Empire Contre-Attaque, second volet de la saga Star Wars, le magazine publie la parodie The Empire Strikes Out, avec Mort Drucker aux crayons. Les avocats de Lucasfilm saisissent la justice, exigeant des éditeurs de Mad que le numéro en question soit retiré des kiosques, que les modèles d'impression soient détruits, et que les originaux et les profits sur les ventes soient confisqués au titre de dommage et intérêt.
 
Pour toute réponse, William Gaines expédie aux avocats du studio une lettre de George Lucas à la rédaction de Mad reçue peu de temps auparavant. Le cinéaste, pas du tout au courant de cette curieuse opération juridique, avait effectivement écrit à l'éditeur pour lui proposer d'acheter les originaux de The Empire Strikes Out, comparant Mort Drucker et le scénariste de cette parodie, Dan DeBartolo, aux "Bernard Shaw" et "Léonard de Vinci" de la caricature. Ni l'artiste ni le magazine ne furent embêtés davantage par les cols blancs du studio.
 
Artiste occasionnel pour le magazine Time, caricaturiste pour DC Comics à intervalles réguliers, auteur de livres de coloriage parodiques sur les présidences de Kennedy et ReaganMort Drucker entre peu à peu dans la légende. A la fois pour le public des amateurs de dessin de presse, mais aussi pour toute l'industrie du cinéma : avoir sa parodie publiée dans Mad Magazine devient une consécration aussi importante à Hollywood qu'apparaître dans les Simpson quelques générations plus loin. En 1985, l'acteur Michael J. Fox explique sur le plateau du Tonight Show qu'il avait eu l'impression d'avoir enfin réussi à se faire un nom dans le cinéma "le jour où Mort Drucker a dessiné ma tête" dans le magazine. Joe Dante, réalisateur des Gremlins, ajoutera à cela "il y a peu de choses aussi satisfaisantes au cours d'une vie que de voir son film parodié dans les pages de Mad".
 
Lauréat de quelques prix pour l'ensemble de son oeuvre, Mort Drucker prend sa retraite en 2001 après plus de cinquante ans dans les pages de Mad Magazine. En 2011, l'académie des Eisner Awards l'accueille dans son Hall of Fame, au détour de quelques autres sommités de l'art séquentiel américain. Rangé dans les volumes poussiéreux des archives d'une DC Comics ne s'intéressant plus au genre de la parodie, le travail du grand bonhomme trouvera toute sa place dans les livres d'histoire, avec Kurtzman, Crumb, et autres génies de l'humour séquentiel indispensables à cette contre-culture d'autrefois.
 

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Corentin
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