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Les Femmes dans les Comics

Les Femmes dans les Comics

DossierDc Comics

Aujourd’hui c’est la Journée de la Femme ! (Youpi !) Et à cette occasion, je vous ai concocté un petit dossier qui vous vous en doutez parle….. des femmes dans les comics !
Ce sujet est tellement dense et palpitant que je me suis permis de le décomposer en deux parties, la première consacrée à ces artistes féminines qui œuvrent souvent dans l’ombre depuis les prémices de cette industrie, et la seconde qui parle de ces héroïnes qui nous font tant rêver malgré les régressions multiples qu’elles ont pu subir tout au long de l’Histoire avec un grand H.
Dans ce dossier, je n’ai pas tenté d’inventorier toutes les artistes, ni tous les personnages féminins qui existent car si tel avait été le cas, je n’aurai pas terminé pour l’année prochaine !

J’ai préféré aussi vous parler de ce vaste domaine d’une façon générale, dans son ensemble, c'est-à-dire sans aller dans les détails au risque de m’y perdre. Ainsi j’ai par exemple délibérément omis de vous parler du costume sexiste de Power Girl, et des innombrables couvertures bondage de Wonder Woman, ou encore dans quelles circonstances Trina Robbins a conceptualisé le costume de Vampirella, et pourtant ce n’est pas l’envie qui me manquait !

Certains trouveront aussi que je n’ai pas assez mis en valeur les Marvel Girls, et ils auront raison ! Le fait est que je suis plus sensible à l’Univers DC, maison d’édition qui selon moi a réussi à mettre plus en avant ses personnages féminins que Marvel.

Bon ces petits détails énumérés, je vous souhaite une bonne lecture et SURTOUT une bonne journée de la Femme !

 

I Les artistes féminines

 

Quel sujet passionnant que celui qui traite des femmes dans les comics. Désarmant et complexe aussi. Car les femmes sont à la fois extrêmement présentes, tout en étant sous exploitées et mises de côté par cette industrie phallocrate où le super héros viril et surpuissant tient souvent le haut du pavé.
Et si aujourd’hui, Journée de la Femme oblige, on rendait un peu hommage à toutes celles qui participent depuis le début à l’évolution des comics, autant par le biais des artistes que des héroïnes ?

 

1/ L’histoire est en marche.

On le sait, depuis toujours les femmes représentent une minorité dans ce média, et pourtant elles ont depuis le début apporté leur impact et leur influence sans que (presque) personne ne sans rende compte. Aux balbutiements de cette industrie, c'est-à-dire au début du 20ème siècle, à l’époque ou les comics étaient encore publiés sous la forme de strip ou d’illustrations dans les journaux,  Nell Brinkley (1886 -1944) est considérée comme la pionnière dans ce domaine.

Elle est en effet la première illustratrice à être publiée dans le New York American Journal avec son personnage nommé The Brinkley Girl qui aura d’ailleurs une carrière qui dépassera le domaine de la bande dessinée. Sans vouloir énumérer toutes les dessinatrices qui ont œuvré à cette époque, on peut néanmoins citer Rose O'Neill créatrice de la Poupée Kewpie (personnage mentionné dans le Journal d’Anne Franck, et Des souris et des hommes de John Steinbeck.), Grace Wiederseim, Edwina Dumm.

C’est ainsi que dans les années 20, (période marquée par un essor économique et social avant la grande dépression) plusieurs dessinatrices (comme Ethel Hays, Virginia Huget, Gladys Parker et sa célèbre Mopsy ainsi que Marjorie Henderson Buell à qui l’on doit Little Lulu*) vont se réunir et former un mouvement artistique et culturel appelé le « Tambour ».
La grande dépression voit apparaître la série intitulée Apple Mary crée par Martha Orr en 1932 et très prisée par les lecteurs de l’époque.

 

 

 2/ Les reines du Golden Age.

Dans les années 40, Dale Messick crée le personnage de Brenda Starr, une femme extrêmement moderne pour l’époque, journaliste aux allures de Rita Hayworth, et réputée pour ses aventures exotiques et ses romances torrides.

En 1941, Tarpé Mills rentre dans l’histoire avec son personnage, Miss Fury (qui à l’origine porte le nom de Black Fury), dont l’alter ego est la riche mondaine Marla Drake, justicière qui combat le crime dans sa combinaison noire. Elle est la première super héroïne crée par une femme.

Jackie Ormes quant à elle est la première femme afro-américaine à travailler en tant qu’illustratrice à succès, on lui doit les séries Torchy Brown Heartbeats, Candy, Patty-Jo ‘n’ Ginger, et à ainsi défié les dessins stéréotypés des personnages noirs dans la bande dessinée de l’époque .

 

 

Hilda Terry, Liens Marty et Linda Walter comptent aussi parmi les illustratrices qui ont marqué leur génération.
Ruth Atkinson
est considérée comme une pionnière, étant la première artiste de comics de l’ère moderne, on lui doit notamment les personnages de Millie the Model (1945) et Patsy Walker (1944) la future Hellcat.

Will Eisner, (The Spirit) monument de l’industrie du comic-book et entre autre co-fondateur de l’éditeur Fiction House, permis à de nombreuses femmes de travailler en tant que scénaristes, dessinatrices ou coloristes (on peut nommer Ruth Atkinson , Fran Hopper , Lily René, Ann Brewster, et Marcia Snyder) .
D’ailleurs, les héroïnes de cette maison d’édition se trouvent être des personnages à la fois denses et riches, totalement à l’opposé des godiches et autres fantasmes masculins que l’on trouve déjà.

Marie Severin qui a été récompensée d’un Eisner Award a œuvré chez Marvel dès les années 50, on lui doit entre autre des couvertures et des illustrations sur Namor et Hulk, The Amazing Spider-Man, Iron Man, Conan le Barbare, Kull le Conquérant, Hellcat et Daredevil.

 

3/ Woman’s lib.

Ramona Fradon est une artiste prolifique du Silver Age, connue pour avoir co-crée les personnages de Metamorpho et Aqualad, le sidekick d’Aquaman. Elle a été récompensée par deux Eisner Awards. Elle va ouvrir la voie à toute une génération d’artistes féminines, souvent engagées dans la cause féministe.

A partir des années 70, les femmes vont aussi pourvoir s’exprimer artistiquement grâce à l’essor des maisons d’éditions indépendantes et underground, et ainsi de pouvoir parler de sujets beaucoup plus matures que les super-héros. L’une des fers de lance de ce mouvement se nomme Trina Robbins (qui a notamment conçu le costume de Vampirella), elle est à l’initiative de It Ain't Me Babe, le premier comics intégralement produit par des femmes, ainsi que du collectif Comix Wimmen dont les publications ont des thématiques centrées sur le mouvement féministe, l’homosexualité, le sexe, et la politique.

Une autre série issue de la publication underground et entièrement conçu par des femmes, se nomme Tits and Clits Comix, fondée par Lyn Chevely et Joyce Farmer.
Dans cette même mouvance, les artistes Lee Marrs, Shary Flenniken, Aline Kominsky-Crumb (l’épouse de Robert Crumb), et Dori Seda sont les portes drapeaux de cette génération de femmes artistes politiquement engagées.

 

4/ Les femmes de demain

Depuis cette époque, les femmes vont se partager entre les titres mainstream et indépendants, et ce dans tout les domaines de création, qu’ils soient artistiques ou éditoriaux. En effet, jusque dans les plus hautes sphères des deux grandes maison d’édition, Marvel et DC, les femmes sont aussi présentes dans des postes à responsabilité à l’image de Diane Nelson qui est actuellement à la tête de DC Entertainment.

La relève est donc assurée, et ce grâce à des artistes extrêmement talentueuses qui œuvrent sans rougir sur des titres de renom. Elles se nomment Amanda Conner (Power Girl), AmyReeder (Madame Xanadu, Supergirl, Batwoman), Stéphanie Hans, Emma Rios (Osborn, Firestar), Jo Chen (Buffy), Alina Urusov (NYX) , Kelly Sue DeConnick (Osborn, Sif), Kathryn Immonen (Hellcat, Runaways), mais aussi  Ann Nocenti (créatrice de Marie Typhoïde et Longshot ), Louise Simonson (scénariste de Power Pack), Juin Brigman (dessinatrice sur la même série), Gail Simone ( Birds of Prey, Wonder Woman, Secret Six, Welcome to Tranquility ), Devin Grayson (scénariste sur Batman, Catwoman, Black Widow) ou encore Agnes Garbowska.

 

Que de chemin parcouru depuis les illustrations de Nell Brinkley, l’histoire de la bande dessinée américaine est d’autant plus intéressante qu’elle est liée (contre toute attente) à ces femmes qui ont participé à son développement. Présentes depuis ses origines, les artistes féminines ont toujours eu une influence directe dans ce média, par la création de personnages, de courants artistiques, ou en favorisant l’édition indépendante, faisant de l’industrie des comic-books, bien plus qu’un nid de super héros.

 

*Ce personnage a inspiré le nom de l'association Friends of Lulu , une organisation pour promouvoir la lecture et la création de bandes dessinées pour les filles et les femmes.

 

 

II Des Héroïnes et des Hommes

 

Bien que l’on s’accorde à dire que les comics ont pendant très longtemps formé un média destiné à un public exclusivement masculin (heureusement ça n’a pas toujours été le cas, cette constance s’est effritée au fil des décennies) les femmes ont toujours été présentes dans les pages des différents éditeurs et par conséquent représentées de manière plus ou moins grossières ou au contraire avec respect.

Il est bien évidemment difficile de ne pas faire un rapprochement entre l’évolution des femmes dans la société contemporaine et leur représentation dans les comics. Historiquement, la femme a souvent fait l’objet de représentations stéréotypées ou totalement fantasmées, assujetties aux désirs sexuels de leurs auteurs ou cantonnés à des rôles peu glorieux, ne servant qu’à mettre en exergue la puissance toute masculine du super héros.

Et pourtant, il fut un temps où les femmes étaient plus nombreuses à lire des comics que les hommes. En effet, au début des années 40, les femmes plébiscitent notamment les personnages d’Archie Comics  ainsi que Nellie the Nurse, Tessie the Typist, et Millie the Model, dans ces séries, les femmes sont dépeintes de manière réalistes, elles ont un travail, elles sont entreprenantes, et elles arrivent même à conjuguer leur vie sentimentale et leur carrière. 

           

Elles deviennent aussi d’intrépides aventurières et justicières à l’image des héroïnes de la maison d’édition Fiction House, ainsi que Miss Fury ou encore Sheena la reine de la jungle, créée par Will Eisner. Aviatrices, espionnes, infirmières de guerre, détectives, ces aventurières du Golden Age se partagent le devant de la scène avec les premières super héroïnes : Fantomah et Wonder Woman en tête.

L’Amazone a été créée par William Moulton Marston qui a toujours cru aux vertus éducatives des comics. Celui-ci disait à l’époque que « « Même les filles ne voudront pas être des filles tant que nos archétypes féminins manqueront de force, de vigueur et de puissance. Comme elles ne veulent pas être des filles, elles ne veulent pas être tendres, soumises, pacifiques comme le sont les femmes bonnes. Les grandes qualités des femmes ont été méprisées à cause de leur faiblesse. Le remède logique est de créer un personnage féminin avec toute la force de Superman plus l'allure d'une femme bonne et belle. »

C’est à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, alors que les femmes avaient remplacé les hommes partis au front dans de nombreux métiers difficiles, que celles-ci vont se retrouver remises « à leur place », et la guerre des sexes qui va en découler aura même des répercutions sur l’image de la Femme dans les comics.

A partir de ce moment, on ne trouvera plus de juste milieu entre les Good Girls et les Bad Girls pendant un bon moment. En effet, dans les années 50 apparait un nouveau genre de comic-book mettant en scène des personnages féminins, d’un côté les Good Girls comics (ou Romance comics) où les fantasmes des lecteurs rejoignent leur vision machiste de la femme au foyer, totalement dépendante de son mari, ou de la soupirante décérébrée incapable de tout discernement affectif. Il faut savoir que ce genre de comics destiné aux adultes a été créé par  Joe Simon et Jack Kirby, les deux pères de Captain America.

En parfaite opposition aux femmes respectables c'est-à-dire soumises au patriarcat, les femmes fatales et autres Bad Girls provenant des Crime comics (et notamment la série Crime by Women), personnifiaient la décadence et la pornographie, à en croire le fameux livre « Seduction of the Innocent » qui est à l’origine du Comic Code Authority.

     

 

Ce principe d’autocensure instauré par les éditeurs va avoir un impact encore plus désastreux sur la représentation de la femme dans les comics. DC par exemple va exiger que les personnages féminins soient systématiquement relégués au second plan :
« L'introduction des femmes dans les histoires est spécifiquement déconseillée. Les femmes, lorsqu'elles sont utilisées en structure de l'intrigue, doivent être secondaires en importance, et doivent être représentées de façon réaliste, sans exagération de leurs attributs féminins ».
Ainsi, dans les années 60, des personnages comme Loïs Lane, Jean Loring ou Carol Ferris, vont servir de potiches en attendant qu’elles soient sauvées par Superman, The Atom ou Green Lantern.
Pire, et si une super héroïne a la chance de pouvoir se battre aux côtés du male dominant, (comme se fut le cas pour la première Batwoman et Batgirl) ce sera à coup de phare à paupières, et autres produits de maquillage à moins qu’elles soient dans l’incapacité de se batte parce qu’elles ont grillé un collant.
Mais Marvel n’est pas en reste puisque sa première super héroïne se nomme Susan Storm et à la particularité d’être …. Invisible.

On peut alors espérer que la révolution sexuelle et l’idéologie féministe aura raison du sous emploi des personnages féminins dans les comics. C’est effectivement le cas (du moins en partie), l’image de Wonder Woman se modernise, ainsi que celle de Loïs Lane, exit les potiches en quête de romance, les femmes sont au contact des faits de société comme le racisme ou l’exclusion. Susan Storm jusque là « fille invisible » (Invisible Girl) change de statut social en devenant La Femme Invisible. De nouvelles héroïnes font leur apparition (comme Vampirella,Power Girl, Halo Jones, les héroïnes de Love and Rockets), d’autres vont voir leur destin prendre un chemin inattendu et dramatique (Batgirl qui devient Oracle, Jean Grey en Dark Phoenix), on notera d’ailleurs que c’est souvent dans la souffrance et dans des circonstances dramatiques que les personnages féminins sont sublimés et prennent de l’ampleur.

   

Mais comme c’est souvent le cas, une période d’avancée et d’évolution fait souvent suite à une période de régression, les années 90 marque donc une époque assez mitigée ou de nouvelles héroïnes comme Sara Pezzini, Caitlin Fairchild, Aspen Matthews, Red Monika, Lady Death, Darkchylde, ont le vent en poupe et amènent une nouvelle génération de lecteurs, mais sont souvent représentées dans des poses lascives et hypersexuelles.

 

D’un autre côté, les comics indépendants vont amener une vague de fraicheur et de féminisme moderne avec Tank Girl, Francine et Katchoo de la série Strangers in Paradise, mais les comics mainstream développent aussi des personnages féminins à la hauteur comme Renée Montoya et les Birds of Prey dans l’univers de Gotham City par exemple. La télévision devient aussi une source d’inspiration, la preuve avec le personnage de Buffy transposé du petit écran au comic-book, et ce avec succès.

C’est aussi à cette époque que le vent du changement commence à souffler, et ce grâce à Internet qui démocratise l’avis des filles en matière de comics, elles qui jusqu’à maintenant restaient discrètes dans ce domaine. L’apparition de sites et de blogs comme celui de la scénariste Gail Simone : Women in Refrigerators qui recense le sort funeste des héroïnes dans l’histoire de la bande dessinée américaine, va inciter les éditeurs à considérer un peu mieux leurs personnages féminins.

On peut donc légitimement se demander qu’elle va être la prochaine évolution ou révolution de nos héroïnes de comics, en ce début de 21ème siècle. Il ne faut pas se leurrer, le lectorat toujours essentiellement masculin continuera à avoir une emprise sur nos déesses de papier. Même la plus vieille et la plus illustre des super héroïnes n’a pas fini de se dépêtrer du carcan paternaliste de ses scénaristes masculins.

Mais au-delà du clivage qui peut exister entre les éditeurs mainstream et indépendants, et de leur rapport (et du respect) qu’ils entretiennent avec leurs héroïnes, nous devons aussi nous demander en tant que lecteur, ce que nous souhaitons voir comme personnage, ou plutôt quelle image de la femme sous souhaitons voir dans ce média.

Et si l’espoir pour moi réside à Gotham  sous les traits de la nouvelle Batwoman, c’est à chacun d’entre nous de trouver et de soutenir les héroïnes qui symbolisent et personnifient au mieux la femme du 21ème siècle.

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