Il n'aura pas fallu longtemps à Marvel pour réagir. En accord avec la coutume locale, la Maison des Idées intente un procès à ses artistes suite à une série d'actions légales menées par quelques créateurs pour récupérer les propriétés intellectuelles de grands personnages arrivés au bout de leur période de rétention. Ou plus précisément, quelques pères fondateurs. L'habitude commande : Marvel s'attaque cette fois à Larry Lieber, frère de Stanley Martin Lieber, Patrick S. Ditko, Don Heck, Don Rico et Keith Dettwiler, pour protéger les droits de Spider-Man, Doctor Strange, Iron Man, Hawkeye, Black Widow, Ant-Man, Falcon, etc.
Onc' Picsou vs the World
Pour mieux comprendre la situation du moment, l'exemple
des frères Jim et John Thomas revient depuis quelques mois comme une illustration concrète du facteur temps pour les artistes et créatifs en contrat avec différents genres d'employeurs. Lorsque ces deux scénaristes vendaient leur script de
Predator à la
20th Century Fox, ils acceptaient de renoncer à la propriété de leur personnage, et de l'univers bâti autour. Mais pas nécessairement
ad vitam eternam. Aux Etats-Unis, une provision dans la législation sur le copyright stipule que les auteurs peuvent, au terme d'une carence de trente-cinq ans ou cinquante-six ans pour les oeuvres développées avant 1976, déposer une demande de restitution de la propriété intellectuelle auprès du studio, de l'éditeur, du producteur, etc. Les frères
Thomas ont donc décidé de faire valoir leurs droits. Actuellement,
Marvel ne publie plus d'histoires consacrées au
Predator de peur que la justice tranche en faveur des scénaristes, et que
Disney perde l'usufruit du monstre d'ici les années à venir.
Pour tenter de garder la bestiole à demeure, Disney s'est évidemment empressé d'attaquer les deux scénaristes en justice. De la même façon, les artistes de l'industrie de la bande-dessinée tentent leur chance au tour à tour depuis quelques mois, pour récupérer les copyrights de certains personnages et devenir les propriétaires officiels, devant l'éditeur, de leurs créations. Problème : cette provision dans le droit américain stipule que les créations en work for fire, en mission salariée et rémunérée pour l'exécution d'une commande, ne rentrent pas dans la même catégorie. Si ces personnages reposent sur un contrat officiellement qualifié de work for hire devant la justice, à l'instar de celui passé entre Steve Gerber et Marvel pour Howard the Duck, les auteurs seront bêtement et simplement déboutés.
Marvel compte donc prouver devant les tribunaux que la plupart ou l'ensemble des héros mandés par leurs inventeurs ne leur ont jamais appartenu, devant la réalité salariale d'une industrie qui n'a jamais sérieusement considéré la possibilité d'intéresser les auteurs à la question de la propriété concrète. Seule lueur d'espoir : lors des différents procès
intentés par Marvel à l'artiste Gary Friedrich, co-créateur du
Ghost Rider, un tribunal avait statué sur le fait que les contrats proposés par l'éditeur étaient parfois peu clairs et trop peu explicites sur certains termes dans le partage des copyrights et leur usage dans la répartition des profits.
Marc Toberoff, juriste spécialiste dans la question du droit à la propriété et qui se chargera de défendre les différents prévenus dans cette série de procès à venir, devrait s'appuyer sur cette jurisprudence pour tenter de changer les choses.
Forcément, il sera difficile de croire à l'évolution concrète de la situation au terme de ces quelques affaires : depuis Jerry Siegel et Joe Shuster - autrement dit, depuis l'invention du premier super-héros - les éditeurs de bande-dessinées auront toujours refusé de considérer les artistes comme les propriétaires de leurs personnages, dont l'existence économique reste captée en interne par les entreprises, à l'ombre d'une maigre évolution du droit d'auteur et des revenus sur royalties. Si Toberoff devait parvenir à faire plier la justice, Marvel devrait alors faire face à une avalanche d'autres demandes du même genre, et à l'effondrement de l'ensemble de sa logique interne depuis l'invention des Fantastic Four.
Donnée étonnante : selon le Hollywood Reporter, la Maison des Idées compte également contester le droit à la propriété pour Stan Lee. Un curieux retournement de veste, dans la foulée des dizaines d'hommages rendus aux géants à lunettes après son triste trépas il y a quelques années. Là-dessus, Marvel ne concède aucune forme de souplesse, même symbolique.