Encore relativement rares, proportionnellement au nombre de données à traiter, les documentaires consacrés à l'histoire de la bande-dessinée aux Etats-Unis se multiplient à l'aune des plateformes de vidéo-à-la-demande. Récemment, Disney+ accueillait plusieurs programmes de cette catégorie. Les fans s'organisent de leur côté pour étudier à la loupe quelques points plus précis, et d'autres sociétés s'accordent un regard rétrospectif sur leur propre histoire. Warner Bros. ouvre de son côté les archives de DC Comics pour un documentaire en trois parties consacré à l'histoire de cette société d'édition à l'avant-front d'un genre devenu dominant pour l'industrie des comics : les super-héros.
Secret Origin
La documentariste Lesley Iwerks aura la charge de ce travail de commandé, pensé pour rejoindre les autres productions Warner sur la grille de la plateforme HBO Max. Paradoxalement, cette habituée des productions encyclopédiques est aussi la descendante de plusieurs légendes de l'animation chez Disney. Son grand-père, Ub Iwerks, aura notamment travaillé avec le grand Walt Disney à l'animation des premiers courts consacrés au personnage de Mickey, voire même sur le personnage qui avait auparavant servi de brouillon à la souris, Oswald le Lapin. En s'intéressant à cette part de sa propre histoire familiale, Iwerks aura notamment eu l'opportunité de travailler sur le documentaire The Hand Behind the Mouse: The Ub Iwerks Story, puis, toujours dans le secteur de l'animation, The Pixar Story, sélectionné aux Emmy Awards dans la catégorie des meilleurs programmes non-scriptés.
Un nom ronflant et suffisamment capé pour motiver le spectateur curieux, encore que le problème habituel se pose au coin de l'annonce : ce projet, produit et développé par Warner Bros., reviendra sur l'histoire de la création des grands personnages de DC Comics et à l'histoire des auteurs et autrices mobilisées à la fondation et aux grandes transitions. Mais sur la base de quel point de vue ?
Ces programmes, produits en interne, ont souvent développé une fâcheuse tendance à ignorer les moments gênants des différentes sociétés concernées. Le documentaire Secret Origin of DC Comics, par exemple, occultait complètement les différents procès intentés par les auteurs de Superman, Jerry Siegel et Joe Shuster, à l'encontre de leurs anciens employeurs. Les litiges, les polémiques éventuelles, le débat sur la propriété intellectuelle s'effaçaient largement devant cette envie (festive) de mettre en avant les marques des grands personnages, leur symbole éventuel et l'intérêt à consommer ces produits ou à faire valoir une victoire symbolique de "la communauté geek" au moment où ces mêmes super-héros ont fini par prendre d'assaut la colline hollywoodienne.
Les différentes déclarations embarquées dans le communiqué de presse annonçant la mise en route de ces trois documentaires marche dans cette philosophie. Personne ne parle d'étudier à la loupe la réalité des bureaux de National Allied Publications à l'époque, les conditions de vie de leurs employés ou les motivations réelles derrière certains grands événements survenus à l'aune du marché spéculatif. Les termes employés voguent davantage vers l'habituel champ lexical du divertissement, enthousiaste et conquérant. Est évoqué un "voyage fantastique" du côté de Jim Lee, un monde "vaste, riche et cool" chez Jennifer O'Connell, présidente exécutive d'une division précise de HBO Max dédiée à la création de ce genre de contenus, et d'un documentaire "final" ou plutôt "définitif" pour Mike Parnell, président du département de Warner Bros. consacré à la production de produits non-scriptés. Les artistes interrogés ou invités à participer au documentaire n'ont en revanche pas droit à leur propre petit verbatim, probablement parce que le but n'est pas de mettre en avant les créateurs qui ont participé à cette monumentale histoire, mais plutôt l'entreprise. Le logo, les personnages, les marques, et quelques grandes lignes de fuite en perspective.
Problème, si cette production s'annonce en effet comme un documentaire définitif, ou comme l'opportunité pour Warner Bros. de célébrer le succès de quelques accomplissements récents, l'entreprise risque bien de passer à nouveau à côté de son propre sujet. Beaucoup de documentaires sur l'histoire des super-héros ont eu tendance à occulter la matérialité humaine, à l'ombre des records de vente de l'âge d'or et des grandes bandes-dessinées citées en permanence. Il n'est pas trop tard pour oser prendre le sujet au sérieux. Beaucoup de fans espèrent encore en apprendre plus sur la vie des auteurs et autrices de cette industrie, plutôt que d'entendre les mêmes anecdotes sur la genèse de Watchmen et de Dark Knight Returns, qui occulteront encore le moment où les scénaristes responsables de ces chefs d'oeuvre auront claqué la porte, peu de temps après.
Le documentaire n'a pas encore de date de sortie.