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Comment Je Suis Devenu Super-Héros : Meilleure VF de Powers que la VF de Powers

Comment Je Suis Devenu Super-Héros : Meilleure VF de Powers que la VF de Powers

ReviewCinéma
On a aimé• Prend son sujet au sérieux
• Le casting qui va bien
• Rapide, fluide, bien monté
• Le mélange des genres
• Casse la dynamique de l'automatisme hollywoodien
On a moins aimé• Manque de scènes fortes
• On aimerait en voir plus sur certains segments
• Quelques habitudes du cinéma français
Notre note

Comment Je Suis Devenu Super-Héros se présente comme l'alternative (locale) d'un cinéma de passionnés aux productions tapageuses de l'horizon hollywoodien. Si le format des surhommes s'est transformé en une impressionnante usine à billets de l'autre côté de l'Atlantique, le genre est encore assez rare en France. Quelques tentatives se seront proposées pour pallier à ce manque, en passant par le prisme le plus évident lorsqu'il s'agit de franciser un répertoire : la comédie, la parodie. Hero Corp, Black Snake, ou même en remontant plus loin, les aventures du super-criminel Fantômas pliées aux codes de la gaudriole à la Louis de Funès, le Super Résistant du Splendid, le Super Menteur des Guignols, etc.
 
L'idée du justicier masqué inspire généralement à l'imaginaire français une envie de gag, probablement justifiée par le décalage culturel de cette représentation du muscle à l'américaine transposée dans un contexte plus "raisonnable", et dans un pays où la comédie tourne à plein régime. Comment Je Suis Devenu Super-Héros ne cherche pas forcément à coller à ces habitudes culturelles, et part surtout de la passion sincère de son réalisateur, Douglas Attal, pour la bande-dessinée américaine, des séries animées des années de la grande époque de Warner Bros. au travail d'Alan Moore, Chris Claremont, entre autres grandes évidences. Paradoxalement, le projet a surtout une bonne tête d'adaptation inassouvie de Powers, série culte de Brian Bendis et Michael Avon Oeming et déjà transposée à l'écran une première fois sur le service Playstation Video
 
Le produit fini se présente donc comme un curieux double-jeu : pas forcément cadré dans le paysage traditionnel des super-héros, le film de Douglas Attal sonne vrai, dans cette envie de prendre le format au sérieux avec une distribution qui ne veut pas aligner de grands noms de la comédie et compose avec des profils d'interprètes variés (pourtant bien reconnus dans le registre de la comédie), une production qui se donne les moyens d'assumer les effets spéciaux indispensables au genre, quitte à se cogner contre les limites d'un système de fabrication moins habitué à gérer les "blockbusters" coûteux. Le film aura eu des difficultés à se monter, et doit assumer un montage relativement serré. En tant que tel, Comment Je Suis Devenu Super-Héros convoque un vent de fraîcheur pour les passionnés de comics, une alternative enthousiaste qui prouve que l'exercice était possible, et qu'on avait bien eu tort de centraliser aux Etats-Unis une imagerie qui passionne aussi les foules francophones.

 

Le film se repose sur le roman du sociologue français Gérald Bronner, avec pas mal d'ajustements. Dans un monde où le super-héros est une donnée courante, on suit le personnage de Gary Moreau (Pio Marmaï), lieutenant de police détaché au département des affaires liées aux cas de super-pouvoirs. Solitaire, bougon, le loustic hérite d'une nouvelle partenaire, Cécile Schaltzmann (Vimala Pons), pour résoudre une curieuse affaire de drogue. A l'instar du film Project Power, un nouveau genre de trafic accompagne cette société d'individus aux pouvoirs exceptionnels, avec une drogue susceptible de restituer les pouvoirs de tel ou tel individu. Les deux héros vont remonter la piste des dealers, dans le style d'un polar français traditionnel, en évoquant au passage le passé de Moreau et sa relation avec une certaine équipe de super-héros à la retraite, dont seuls subsistent le vieillissant Monte Carlo (Benoît Poelvoorde) et Callista (Leïla Bekhti), une coach sportive proche des jeunes de quartier. Le décalage culturel génère quelques originalités : si le film assume des costumes crédibles, ses héros sont effectivement moins musclés, ses héroïnes moins sexualisés que les productions américaines, l'aspect général est moins aérien, plus terre-à-terre, centré sur ses personnages et dans une toile de fond réaliste qui laisse un peu de place à quelques autres sujets.
 
Le scénario s'inscrit dans un héritage très identifié de films policiers "classiques", avec les archétypes de rigueur : un héros qui ne fait pas confiance à sa nouvelle partenaire au début, le vieil officier à la retraite incapable de raccrocher les gants et cherchant encore à piloter son ancien protégé sur le terrain, le capitaine en colère, les jeunes des quartiers populaires qui s'embarquent du mauvais côté de la loi et finissent par se frotter à la brutalité des truands de métier. Des codes qui évoquent le cinéma des flics ou voyous des années 1980 et 1990, tapissés sur une photographie bleue grise empruntée à la tradition du polar français. En l'occurrence, cette patine aura tendance à s'écorner en cours de film, pour des nuances de violet, d'orangé ou des éclairages plus atmosphériques susceptibles de casser le moule. L'ensemble de ces poncifs de scénarios, pas forcément malvenus, deviennent surtout ludiques dans le contexte d'un monde de super-héros où les profils deviennent tout de suite plus originaux.
 
Par exemple, le personnage de Callista, prof' de sport au grand coeur cherchant à garder ses petits dans le droit chemin, prend une tournure plus intéressante dans sa capacité à prévoir le futur et les accidents qui pourraient arriver aux gens autour d'elle. Le personnage de Monte Carlo détourne le thème du handicap ou de la dégénérescence liée à l'âge, attendu que son syndrome de Parkinson l'empêche surtout d'utiliser précisément son pouvoir de téléportation. Les capacités surnaturelles servent d'allégorie ici ou là à d'autres moments du film, pour exprimer la crise d'adolescence, le traumatisme infantile, l'identité ou le consumérisme : Attal tisse une toile de références modernes au monde de l'image, avec des émissions de télévision, des chaînes Youtube ou des spectacles de magie prenant le super-héros pour thème principal. Une façon pour le metteur en scène de poser l'idée que cette société des surhommes a perdu de sa magie à force de se normaliser, et cherche un héros capable de réenchanter le rêve du justicier masqué, comme pour rendre à Superman un peu de sa superbe dans un monde où il ne serait plus qu'un simple produit dérivé.

 

Cette rencontre entre les thèmes de la bande-dessinée américaine et la fiction policière française évoque le travail des productions EuropaCorp, autre antenne locale intriguée par l'idée de reprendre au compte des européens les codes ou l'imaginaire de certaines productions américaines. Sur un plan plus général, le film de Douglas Attal évoque ces représentations de flics à l'ancienne, dépouillé des débats posés au sein de la société Française depuis quelques années. Quelques sales manies se glissent dans les interstices, avec une certaine idée de la banlieue, des médias, héritée d'une autre tradition - l'objectif n'est pas forcément de se placer sur un plan politique précis, attendu que ce monde reste une uchronie basée sur un autre modèle social. Cela étant, on pourra s'amuser de retrouver plusieurs occurrences de CNews ou BFM TV tout au long du film. Mettons que les deux chaînes n'étaient pas tout à fait les mêmes au moment où le projet avait été mis en production.
 
Sans fulgurances majeures, Comment Je Suis Devenu Super-Héros propose un ensemble bien dirigé, avec des comédiennes et comédiens attachants, une mesure générale et une économie de moyens louable dans les dialogues. Certaines fortes têtes comme Benoît Poelvoorde se mettent au service de l'exercice, en restant dans leur cadre, sans en faire trop - l'intérêt de ne pas donner dans la comédie proprement dite évite aux uns et aux autres de chercher à voler le cadre. Sur le plan de la mise en scène, quelques scènes assez jolies s'intercalent ici ou là, avec pas mal de bonnes idées, et un combat final qui casse l'habitude systématique du grandiose ou du money shot à l'américaine. Si le dernier tiers du film embarque son lot de fonds verts, d'effets pyrotechniques colorés et d'échanges de mandales à l'ancienne, le style ne vise pas la cascade au ralenti ou le plan "bande-annonce". La caméra d'Attal va plutôt chercher à imiter des scènes de course-poursuite dans des couloirs là-encore plus proches de l'éventail policier, en injectant un peu plus d'énergie, ou de rafales d'énergie compte tenu du sujet en présence. Finalement, une autre alternative aux routines, avec des super-héros un peu plus mesurés.
 
Côté longueur, le film va vite, en avançant de scène en scène sans problèmes de rythme ou effet de mou - quitte à survoler certaines séquences qui auraient gagné à être un peu plus étirées, comme dans le cas des origines du super-méchant (Swann Arlaud). Si Comment Je Suis Devenu Super-Héros est à l'aise dans le confort de son heure trente-sept, la fraîcheur générale ou l'aspect original de cet univers précis frustre compte tenu de la petite durée passée en compagnie des personnages principaux. En résumé, le défaut de sa qualité : difficile de s'ennuyer, difficile de trouver le temps long, et quelque part, un format qui marche pour celles et ceux qui n'auraient pas besoin de plus, mais le revers de la médaille fait qu'on n'en apprendra pas plus sur certains personnages, certains détails de cet univers. Manquent quelques scènes plus précises sur des protagonistes particuliers, quelques monologues ou une explication plus claire de l'opposition symbolique éventuelle entre Naja et Moreau, l'un victime du monde des super-héros, l'autre grand défenseur de leur idéal, pour appuyer le propos et éviter de tomber dans l'automatisme de la bagarre finale.


Le compromis est donc efficace : si Comment Je Suis Devenu Super-Héros n'est pas exempt de défauts, le film reste suffisamment original et bien conduit pour marquer la surprise. Attal construit un répliquât francophone de Powers, où Bendis animait déjà un officier de police lié aux justiciers masqués dans le passé, et accompagné par une autre partenaire, blonde elle-aussi, pour des enquêtes focalisés sur les assassinats de porteurs de cape. Quelque part, le projet évoquerait aussi la série Alias (Jessica Jones) du même scénariste, avec un motif commun de l'ancienne super-héroïne bougonne et solitaire qui gravite encore dans le cercle des têtes connues de Marvel et gagne sa croûte à coups d'enquêtes de détective privée. Plus généralement, Douglas Attal vient remplir un vide dans l'appropriation que les studios d'Hollywood on fait de la matière comics : les séries d'à côté, les figurants en périphérie, un corps entier de la bande-dessinée américaine où se bousculent Astro City, Marvels, Sam & Twitch, Powers, Gotham Central, Jimmy Olsen, la Night Nurse, etc. Le réalisateur peut se projeter dans le personnage de Moreau, grand admirateur des justiciers qui se sera longtemps cantonné à un rôle d'accompagnement, de fan, jusqu'à ce qu'on lui donne l'occasion de participer à cet univers qu'il admire.

En ce qui concerne la stratégie de sortie, un temps problématique, le film trouve finalement un intérêt à tomber sur Netflix - d'abord pour servir de contrepoint à Project Power, une oeuvre plus sociale qui ne cherchait pas particulièrement à capter l'imaginaire comics au-delà de ce dont elle avait besoin - en tant que divertissement estival bien fichu, et susceptible de défendre les couleurs du Powers à la Française aux Etats-Unis. A défaut de laisser au film une chance de trouver son public en salle, le principe de cette plateforme conçue en vase communicant permettra peut-être à Attal de tomber sur d'autres passionnés comme lui dans les couches de spectateurs anglophones, pas forcément écœurés par la lecture de sous-titre (autre débat). Le fait est que Comment Je Suis Devenu Super-Héros marche aussi comme un film de réaction, volontaire ou involontaire, à des années de long-métrages taillés dans le moule de blockbusters particulièrement répétitifs, comme si les personnages de BDs étaient incapables d'évoluer dans d'autres formats de récits. Pour peu que la fameuse "fatigue" soit une réalité, ce genre de productions permet aussi de démontrer par l'exemple que des modèles plus variés sont possibles, et même de s'amuser un peu.



A part d'un groupe vorace, Comment Je Suis Devenu Super-Héros est une petite réussite sur le front du cinéma de genre francophone. Au terme d'un pari difficile à tenir, Douglas Attal et son équipe font la démonstration des possibilités ouvertes dès lors que le super-héros s'accorde le droit au mélange. Moitié film policier français, classique dans ses codes, efficace dans son envie de prendre sa proposition au sérieux, moitié film de super-héros conduit par un passionné, le projet a surtout contre lui d'être trop court, de manquer de fulgurances marquantes et de s'arrêter trop tôt pour marquer au-delà de ses petites innovations et de son aspect unique. Il n'en demeure pas moins un premier jet agréable, un bon premier film de réalisateur, servi par des vedettes talentueuses et qui acceptent de se prêter au jeu. On aurait envie d'une suite (et d'un autre morceau d'Oxmo au passage - admettez que l'été est pingre en sonorités posées) et de balancer des avalanches de "cheh" aux producteurs qui auront refusé de financer ce genre de plaisirs de passionnés pendant aussi longtemps. Attal se retrouve quelque part seul au monde sur la scène du super-héros français authentique en refusant de faire des blagues sur le slip de Superman - gageons que le bonhomme en a encore sous le capot et que d'autres suivront son exemple, d'ici les années à venir.

Corentin
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