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Jupiter's Legacy : prendre son temps, allégorie

Jupiter's Legacy : prendre son temps, allégorie

ReviewSeries tv
On a aimé• L'esprit des comics assez bien restitué
• La fidélité visuelle
• Comprend les enjeux de l'exercice de l'adaptation
• Le joli générique avec les dessins de Jock
• Un univers vivant
On a moins aimé• Beaucoup trop long et lent
• Des développements qui n'avaient pas besoin d'être contés
• Le rythme de la double narration
• Le visuel trouve vite ses limites
• Un casting irrégulier, parfois agaçant
Notre note

Août 2017. Non content d'avoir déjà plusieurs de ses oeuvres adaptées sur grand écran et, du côté de Marvel Studios, servant de base pour une bonne partie de la construction du MCU, Mark Millar signe avec Netflix. La clause : un rachat total du Millarworld, son propre label de créateur de comics, en vue d'à la fois adapter des bandes dessinées déjà publiées, et de produire de nouvelles histoires dans une logique trans-médias. Le scénariste écossais est qualifié de roi du pitch. Ses détracteurs qui se faisaient déjà un malin plaisir de dire qu'il ne produisait que des comics "clé en mains" pour être adaptés (avec le reproche de ne pas aller plus loin que le concept), sont dépassés par la réalité. Désormais, Millar pitche, et Netflix a de toute façon l'adaptation dans les cartons. 

Concernant Jupiter's Legacy, une maxi-série en deux volumes et 10 numéros démarrée en 2013, le rachat par l'entreprise de Reed Hastings change quelque peu le projet. Initialement pensé comme un film, l'adaptation devient sérielle, et se livre donc comme la première des productions Netflix du Millarworld. Huit épisodes, une envie d'expliquer ce que c'est qu'"adapter" - se servir des possibilités d'un médium par rapport à ce que le support originel ne peut faire - tout en restant fidèle aux comics de base. Au sortir de cette première saison, le constat est mitigé, et dépendra surtout de votre passif de lecteur ou de découvreur profane. Jupiter's Legacy veut bien faire dans l'intention, mais se perd dans des méandres temporels qui rendent le tout bien trop long.


Conflit générationnel version super-héros

En 1929, des conséquences terribles, sur son entreprise mais aussi sur le plan personnel, du krach boursier aux Etats-Unis, Sheldon Sampson réunit quelques personnes pour une expédition dont il n'est même pas sûr de la destination. C'est "là bas" qu'il récupérera des super-pouvoirs, changeant avec ses collègues, à jamais, la face du monde. Bien des décennies plus tard, à notre époque, Sampson est devenu Utopian. Sa femme est Lady Liberty, et ils sont les garants de The Union, la plus grande alliance de super-héros qui veille sur le monde libre. Utopian et Liberty ont eu deux enfants, et ont tenté de leur inculquer leurs valeurs, pour qu'ils reprennent leurs rôles quand le jour sera venu. Problème : le fils (Brandon) croit de moins en moins dans les idéaux d'un père dont il recherche la validation, quand la fille (Chloe) préfère vivre une vie de star façon "fille de", loin des préoccupations super-héroïques des darons. Fardeau de l'héritage et des responsabilités, place du super-héros sur le politique et la société, quelles règles appliquer aux surhommes : vous avez quatre heures.

Dans les faits, Jupiter's Legacy peut-être considérée comme une bonne adaptation. Dans le sens que Steven DeKnight  a compris que l'idée de porter un comicbook sur un autre support n'a d'intérêt que si l'on peut tirer des forces du dit support. En ce cas particulier, l'oeuvre de Mark Millar et Frank Quitely allait très vite dans son postulat de départ, dans l'établissement de ses idées pour bousculer totalement le statu quo en milieu de premier volume, sans qu'on ait forcément eu le temps de trop connaître les protagonistes. La série est là pour palier à cet écueil. Beaucoup des scènes vues en bande dessinée se retrouvent presque telle quelles, d'autres sont détournées pour être mises dans une autre contexte, et surtout : les personnages ont leurs sous-intrigues qui vont aller chercher leur personnalités, et développer le propos pour chacun.


En reprenant la scène de combat contre le super-vilain Blackstar de Jupiter's Legacy #1, la série va prendre un tournant différent de son origine pour lorgner vers une enquête qui s'étalera sur toute la saison. Les avancées sont en revanche assez minimes, puisque la série doit constamment aller se poser auprès de tel ou tel autre personnage ; ainsi, il faut comprendre l'opposition idéologique entre Sheldon et son fils, mais aussi celle, rampante, entre Sheldon et Walter Sampson (Brainwave), son frère. Là, il faudra nous présenter Hutch et comment il en viendra à rencontrer Chloe. Les situations qui étaient données telles quelles en papier trouvent ici leurs origines. L'utilisation du format TV est donc assez maline pour que Jupiter's Legacy ne se loupe pas dans l'exercice du décalque et trouve sa propre voix. En ce qui concerne l'esprit de la BD, la fidélité se montre au rendez-vous : on parle du rêve américain, de ce que les super-héros auraient le droit ou le droit de ne pas faire - notamment sur la question du "un super-héros peut-il tuer ou non ?", ici incarnée centralement par le "Code" de l'Union. On cause aussi idéaux politiques, déliquescence de la société, tandis qu'une moitié de l'intrigue nous expliquera comment Sheldon et sa troupe auront obtenu leurs pouvoirs. Là, une forme d'esprit pulp, bien retransmises par des décors et costumes d'époque, donne vie à un sentiment d'aventure. 

Jusqu'ici, vous vous direz alors que Jupiter's Legacy est plutôt bien partie, mais c'est maintenant qu'on abordera les problèmes. Si la série a bien compris les enjeux de l'exercice de l'adaptation, c'est en les appliquant qu'elle trouve ses limites. Là où les comics se montraient très rapide dans l'enchaînement des scènes, c'est qu'en réalité Millar faisait dans l'économie de choses qui n'avaient pas forcément besoin d'être racontées. C'est que, si une idée peut être comprise en une planche et deux lignes de dialogues, il n'y a pas besoin d'en faire quinze scènes de trois minutes chacune pour exprimer la même chose. Ainsi, Jupiter's Legacy, la série TV, passe beaucoup trop de temps à vouloir le prendre, au risque fatal d'ennuyer son spectateur. On a pas besoin de voir Chloe prendre de la coke quatre fois et d'aller en boîte pour cerner son archétype. Pas besoin d'avoir six disputes sur le fait de tuer ou non pour comprendre que la thématique est importante. Et pas besoin de passer la moitié d'une saison en flashback pour cerner ce qu'il est arrivé à Sheldon et ses acolytes dans les années '30 - à la limite, un épisode spécial de 35 minutes ferait l'affaire. La résultante est que : le rythme est lent, et le tout paraît bien trop long. Dites vous que c'est comme si, en comics, Brian M. Bendis s'était occupé d'écrire le tout. Voilà. C'est "décompression", le terme que vous cherchiez.


Cette longueur se ressent d'autant plus au fur et à mesure des épisodes, alors que la production fera le choix d'alterner systématiquement des scènes du présent avec l'intrigue du passé, chacune venant en réalité empiéter dans l'autre ; l'agacement d'avoir des demi-morceaux d'intrigues en continu créera une frustration évidente. Les discussions à rallonge où le fait de vouloir rajouter quelques sous-rebondissements font que Jupiter's Legacy peine aussi à convaincre sur l'investissement dans chaque épisode. Bien sûr, il y a aussi de l'action, mais ça ne suffit pas ; c'est à se demander si ces rallonges sont là pour compenser le fait de ne pas avoir assez de budgets pour tirer pleinement parti de l'univers de super-héros dans lequel la série s'inscrit. 

Bien sûr, on retrouve une envie de bien faire et de générosité. Toujours sur l'aspect "adaptation", Jupiter's Legacy ramène dans son giron des personnages qui, dans les comics, n'apparaissent que plus tard. Le casting dans son ensemble profite de pas mal de rôles secondaires et tertiaires qui apportent de la vie à la diégèse de l'oeuvre. D'ailleurs sur le plan purement visuel, il faut dire que la production a fait du bon travail pour la ressemblance du casting avec les contreparties papier - à l'un ou l'autre ajustement près, notamment pour Hutch. Duhamel est le Utopian des comics, Ben Daniels est Brainwave, Leslie Bibb est Lady Liberty, et ainsi de suite. Les costumes aussi sont tirés tout droit du trait de Quitely, mais la retranscription sur écran a elle aussi ses limites. Heureusement, le travail de prod' est assez soigné pour que l'ensemble soit crédible, mais il n'y a rien d'ébouriffant. Même la scène de baston la plus colossale ne renverse rien, ni sur les effets spéciaux (parfois vraiment chiches), ni sur une réalisation qui n'a pas l'air de savoir comment se dépasser. Il faut dire que même avec les meilleures intentions, il est impossible de transposer la magnificence du trait de Frank Quitely et l'immensité de ses compositions, de ses effets de suspension temporelle que seul lui sait faire par le dessin.


Un autre problème, c'est que Jupiter's Legacy n'est pas un titre qui fait dans la demi-mesure. Or, la série TV n'arrive que très peu à cerner la grandeur de ses héros et vilains, ou la puissance de ses personnages. Si quelques passages versent dans une certaine forme de violence graphique, pour se démarquer des productions plus mainstream, on peine à y voir une forme de gravité. Si l'idée était de vouloir être un peu subversif, hé bien. Disons que The Boys est déjà passée par là. On en arrive donc à une curieuse situation, où qui connaîtra les comics saura cerner les intentions de Millar et comparses, mais ne pourra nier que, tout de même, on s'ennuie pas mal - et ce n'est pas faute de déjà connaître l'histoire ou de ne s'intéresser qu'aux changements. C'est que la réalisation ne transcende rien, qu'il n'y a pas de grand travail sur la photo' ou les visuels (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de jolis plans), que le tout est beaucoup trop long pour ce que ça raconte - et c'est sans compter quelques performances calamiteuses sur l'acting. Le niveau général est correct sans être renversant, mais Elena Kampouris est abominable dans son (sur)jeu pour Chloe, Leslie Bibb peine à convaincre en Lady Liberty une fois en action, et l'absence d'émotions d'Andrew Horton empêche de se passionner pour le torturé Brandon Sampson.

Chez Comicsblog, on commence à fatiguer, au final, d'être toujours dans le constat définitif qu'il vaudra bien mieux consacrer son temps à découvrir Jupiter's Legacy en comics plutôt qu'à passer près de huit heures pour se voir conté ce qui tient (littéralement) en deux numéros. Ce n'est pas être dans une posture : après Umbrella Academy (qui se rattrapait sur sa seconde saison), Locke & Key (qui est un affront à la BD originelle), The Old Guard (qui perd toute puissance visuelle par sa photo' à l'abandon) et d'autres produits comme V-Wars ou October Faction, les faits sont que : Netflix ne réussit pas la majorité de ses adaptations, quand bien même elle en commande des nouvelles chaque mois. Heureusement, Legacy ne dénature pas l'oeuvre de départ comme L&K, mais la BD originelle est bien trop puissante pour que la série puisse daigner ne pas souffrir de la comparaison. Alors, ne reste qu'à espérer que le grand public profitera d'une série qui reste fidèle à ses personnages, ses thématiques et son intrigue dans les grandes lignes, pour ensuite aller se plonger entre les planches de BD.


Si vous avez huit heures devant vous et que vous n'avez pas lu Jupiter's Legacy, la proposition de Netflix pourra peut-être vous tenter. Dans l'idée, la première production live action du Millarworld par la plateforme de streaming a compris ce que le format TV permettait de tirer des comics. Le soucis, c'est qu'elle tire trop dessus. Trop long, trop lent, incapable de retranscrire toute la grandeur de cet univers ou sa puissance visuelle, la série souffre trop des limites de son médium pour s'apprécier comme une bonne alternative aux comics dont elle est issue. Si vous avez lu les comics, vous avez sûrement autre chose à faire de votre temps. Dans le cas contraire, on espère que cet amuse bouche vous amènera au fantastique plat de résistance que constitue la version papier. 

Arno Kikoo
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