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NFTs : Alex Ross s'embarque (à son tour) dans l'écocide de l'art numérique

NFTs : Alex Ross s'embarque (à son tour) dans l'écocide de l'art numérique

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Nouvelle lubie des collectionneurs fortunés, les NFTs ("Non Fongible Tokens" ou "Jetons Non Fongibles") agitent la toile depuis quelques mois. Escroquerie généralisée, nouveau champ des possibles, évolution naturelle du marché de la vente d'art à l'heure du dématérialisé, opinions et argumentaires s'entrechoquent sur les réseaux sociaux pendant que les collectionneurs et artistes s'échangent de coquettes valises de biffetons. Dernier converti, l'artiste Alex Ross signe un partenariat avec la compagnie Otoy, spécialiste de la modélisation 3D pour l'industrie de l'image virtuelle, en vue de commercialiser une première série d'oeuvres d'art.

Léger Rappel des Faits

Produit dérivé de la technologie des crypto-monnaies (Bitcoins et Ethereum, principalement), le NFT consiste à proposer à la vente un objet numérique, affilié à la famille des arts visuels ou sonores. Encore que, cette catégorie tendrait à s'ouvrir depuis peu : le fondateur de Twitter, Jack Dorsay, a par exemple récemment mis aux enchères son tout premier post sur la plateforme de réseau social, une capture d'écran commercialisée à 2,9 millions de dollars. Taco Bell se sera aussi amusé à vendre des GIFs de ses délicieuses galettes mexicaines. Les exemples les plus absurdes se succèdent sur un marché largement spéculatif, qui n'a cessé de gagner en valeur au fil de ces derniers mois - une ruée vers l'or du dématérialisé orchestrée par les géants de la tech' et quelques millionnaires accros aux effets de mode.
 
À l’origine, les NFT, inventés par Anil Dash et Kevin McCoy, devaient permettre de retracer l'origine de contenus numériques souvent copiés ou plagiés, un phénomène de masse à l'heure des réseaux sociaux de l'image. Le système, déjà basé sur la technologie de la "Blockchain", permettait d'authentifier l'auteur d'un contenu précis via une signature en forme de code, pour éviter les vols ou les appropriations frauduleuses. Ce principe s'appelait à l'époque "Monetized Graphics", avant de bifurquer vers la nomenclature NFT. Quelques années plus loin, Dash estimait, dans une tribune publiée sur TheAtlantic, que le phénomène actuel n'avait plus grand chose à voir avec le projet de départ, à la fois sur le plan technique et dans le phénomène d'appropriation économique organisé par les géants de la crypto-monnaie.
 
En résumé, acheter un NFT revient à acheter un JPEG livré avec un certificat d'authenticité. Une pièce de code enregistré dans la "Blockchain", système de protection complexe mis en place pour la technologie des crypto-monnaies, et qui assure l'authenticité et le caractère unique de ces objets numériques. Le propriétaire d'un NFT ne détient pas nécessairement le copyright de l'oeuvre en question, et n'a pas forcément la possibilité d'en déposer le brevet d'utilisation ou de le commercialiser à grande échelle : l'artiste reste propriétaire de son oeuvre au regard de la loi, et peut décider d'en éditer d'autres copies à commercialiser à d'autres individus. Si le propriétaire choisit d'imprimer son oeuvre en physique, le certificat d'authenticité reste dans le Cloud, et le résultat une fois encadré sera donc sensiblement le même que pour un amateur d'art qui se serait contenté de récupérer le même fichier gratuitement. Pire, certains escrocs mettent aussi en vente dans ce format des oeuvres d'art trouvées sur le web sans en posséder les droits, avec quelques affaires de vol survenues sur la plateforme ArtStation.
 
L'intérêt principal du NFT sur le marché de la vente d'art reste donc à déterminer. Quelques experts des comportements sociaux sur le web parlent de "pouvoir de la frime", autrement dit, la fierté de détenir un original ou une médaille en chocolat à placarder sur un fichier dormant sur une machine ou un serveur. Les industriels responsables de cette nouvelle forme de consommation du vide évoquent un achat "sentimental", en expliquant qu'une paire de chaussures à 200 dollars ne coûte généralement que 10% de son prix à fabriquer, et que l'acquéreur accepte de payer cette somme en raison du logo. Une rhétorique qui admet au global la vacuité du procédé, mais nos potes millionnaires ont après tout bien le droit de se faire arnaquer eux aussi. Le phénomène touche aussi des couches de population moins aisées : aux Etats-Unis, la NBA propose notamment aux fans d'acheter des extraits de matchs en NFT, une façon pour les amateurs de telle ou telle équipe de posséder un morceau de leurs joueurs favoris ou d'une performance sportive précise. Là-encore, l'acquéreur ne détient pas les droits du match en question : la possession se résume à une vidéo de quelques secondes d'un moment passé à la télévision, mais livrée avec un certificat d'authenticité, pour impressionner les copains.
 
Cela étant, le NFT pose un autre problème en tant que format : à l'instar des crypto-monnaies, cette nouvelle pratique n'est pas étrangère aux problématiques de coûts énergétiques. A mesure que l'industrie progresse, la technologie NFT consomme énormément d'électricité, jusqu'à atteindre des seuils colossaux ces derniers mois : au global, la dépense serait supérieure à celle de pays entiers de la taille de la Lybie ou du Nigeria selon les calculs officiels, un problème de société pour les Etats-Unis où l'électricité reste produite à partir de composants polluants. La situation pourrait devenir dangereuse pour peu que cette quête du marché spéculatif donne une impulsion trop rapide à la mécanique NFT, qui échappe forcément à toute forme de régulation en tant que microcosme artistique.
 
L'art numérique se présente donc comme un caprice de plus dans le sillage des crypto-monnaies, de la part d'une élite économie prête à mettre l'écosystème en danger pour s'échanger des pièces jointes assorties de jolis certificats, histoire de se la râcler auprès de Louis-André de St-Dieu et Marie-Cunégonde Bruni à la prochaine soirée pizza-foie gras sur le yacht de tonton Jacques-Henri (cette vanne caricaturale sera proposée en NFT d'ici les prochains jours sur Ethereum, il paraît que les riches ont beaucoup de second degré). 
 
Les principaux pourvoyeurs envisagent depuis plusieurs années de passer à un autre mode de certification, considérant la possibilité de mettre en place des bonds d'authenticité susceptibles de se passer du système de "Blockchain", ou d'opposer un mode de vérification externe qui libérerait de l'espace au sein de cette méthode de codage, principale responsable du coût énergétique des NFTs. Une autre alternative envisagée passerait par les sources d'électricité neutres en carbone, en se basant sur l'énergie renouvelable. Plusieurs intervenants estiment toutefois que cette solution se contenterait de gaspiller l'électricité des sources propres, sans résoudre le problème de l'énorme consommation associée au marché de l'art numérique.
 
Certaines initiatives de NFT ont du bon, à l'instar de différentes levées de fond organisées en direction d'associations d'aide à l'environnement - un détournement intelligent de cette lubie de l'art numérique sur le principe, attendu que le format consiste surtout à faire de l'argent avec du vide. Dans le cas du brave Matt Kindt, une histoire originale de la série Mind MGMT avait été proposée à la vente au profit d'une association écologiste. Le site ComicsBeat avait calculé que la somme engrangée (5100 dollars) couvrait à peine le coût environnemental de cette initiative bien intentionnée. En définitive, l'opération avait autant de sens que d'organiser une course de SUV alimentés au diésel au profit de GreenPeace - pour schématiser, l'envie de bien faire ne compense pas la bêtise du processus. La consommation des crypto-monnaies, basée sur le même principe de dématérialisation à outrance, pose le même genre de débats largement ignorés du très grand public. Certains artistes ne sont tout bonnement pas informés, ou choisissent de rester optimistes quant aux solutions étudiées en interne par les défenseurs du mouvement.
 
Différents acteurs de l'industrie du NFT tentent en effet de se responsabiliser en optant pour l'énergie verte, en attendant de pouvoir statuer sur un consensus global vis-à-vis d'autres méthodes de certifications. Ces entreprises sont encore trop peu nombreuses : l'essentiel du canal reste alimenté par Ethereum, qui ne semble pas s'intéresser à cette partie du débat, ou estime que les émissions du "crypto-art" sont encore suffisamment mineures dans le problème du réchauffement global pour se permettre d'en rajouter une couche. De leur côté, les artistes de bande-dessinée tâtonnent à leur rythme, sous le feu des critiques tandis que le gros du débat écologique reste invisibilisé par la tech', trop heureuse de vendre ce nouveau gadget comme un critère de différenciation entre les utilisateurs du passé et du futur. Les fournisseurs de NFT prennent effectivement leur cote sur chaque vente réalisée, en s'épargnant les frais structurels de restauration, de stockage ou d'entretien des vraies galeries d'art.
 
Quelques artistes tentent de récolter des fonds ou des idées pour proposer des solutions au problème des NFTs, en passant pas d'autres plateformes plus minoritaires, en estimant que l'art numérique mérite d'être reconnu pour sa spécificité. De son côté, Kevin McCoy, co-créateur du format avec Anil Dash, croit à l'alternative du "NFT vert" écoresponsable d'ici les prochaines années, tandis que différents réseaux de passionnés se mettent en place à une petite échelle pour contourner les géants des crypto-monnaies. Un éditorial de TheVerge invitait à ce titre les internautes concernés à soutenir ces initiatives, au hasard, en achetant les oeuvres de ces créateurs au format physique.

Ross et Rachat

En l'occurrence, le partenariat entre Alex Ross et Otoy participe au phénomène. En pré-retraite depuis quelques années, les revenus de l'artiste se résument majoritairement à la commande de couvertures variantes pour DC Comics ou Marvel et à la vente d'originaux depuis son site internet. Le bonhomme appartient au cercle fermé des illustrateurs de bande-dessinées exposés en musée, avec une place légitime sur le marché de l'art traditionnel pour son célèbre coup de pinceau, considéré comme l'un des créateurs les plus influents de l'histoire des comics de super-héros.
 
Cette bifurcation vers la fièvre du NFT n'a donc rien de particulièrement surprenant. Pour Otoy, Ross met en vente le tableau Shooting Up the Mainstream (2000), une toile réalisée pour servir de couverture au Comics Journal #233 et dont l'exemplaire physique avait déjà été proposé aux enchères il y a quatre ans, parti pour 167 dollars sur le site Heritage Auctions. Il est ironiquement très possible que l'édition dématérialisée rapporte un peu plus à l'artiste, compte tenu de la flambée récente des prix sur le format NFT. Au demeurant, s'il vous prend l'envie de retrouver l'original en haute résolution pour l'encadrer et l'afficher dans votre salon, rien ne vous en empêche, avec ou sans l'autorisation du futur "propriétaire" (au hasard, cliquez ici) en plus de minimiser l'impact environnemental au-delà du coût de l'encre et du papier d'impression.
 

 
D'autres toiles de Ross devraient être disponibles en NFTs dans le courant de l'année.
 
Corentin
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