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Marvels Snapshots - Esprit d'époque et humanité des surhommes chez Kurt Busiek

Marvels Snapshots - Esprit d'époque et humanité des surhommes chez Kurt Busiek

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Notre note

Engagée sur une boulimie de nostalgie depuis quelques années, la Maison des Idées s'est réintéressée aux cas de Kurt Busiek et Alex Ross, auteurs de la fameuse série Marvels, pour mettre en chantier différents projets censés remettre au goût du jour l'esprit de cette oeuvre monumentale. Décrivant les origines de l'univers Marvel à travers le regard du photographe Phil Sheldon, la série Marvels fait partie des bande-dessinées les plus importantes de l'histoire du format super-héros : une perspective humaine sur les aventures de surhommes, mise en relation avec l'histoire vraie des Etats-Unis et la matérialité de ces nouvelles icônes costumées dans l'imaginaire collectif américain. 
 
Pour Marvels comme pour Astro City, une bonne partie de la bibliographie de Kurt Busiek se sera attachée à remettre un peu de réalité dans la vie des super-héros, interrogeant les relations entre la fiction de ces justiciers et le quotidien du lectorat à travers le temps. Une oeuvre dense et chargée, que Marvel entend justement remettre à la mode. Marvels Snapshots fait partie de ces tentatives récentes de transporter l'esprit Marvels dans le présent, avec plusieurs histoires courtes consacrées à différents personnages, supervisées par Busiek et exécutées par différentes équipes créatives. Panini Comics publie un premier volume baptisé Diapositives comprenant quatre numéros de cette anthologie, dans l'ensemble réussie. Découpons. 

Namor le Médaillé


 
Le numéro consacré à Namor, écrit par Alan Brennert et illustré par un Jerry Ordway en grande forme, est peut-être le plus évident dans son rapport à l'esprit Marvels. En 1946, le héros subaquatique est un allié officiel des Etats-Unis, qui a participé à l'effort de guerre en Europe, et a même droit à sa propre vie civile en compagnie de sa petite-amie Betty Dean. Les deux amoureux vont se rendre à la fête foraine pour une petite journée de détente, dans un format d'histoire qui évoque la mode des comics de romance qui s'était abattue sur le monde de l'édition aux Etats-Unis après la Seconde Guerre Mondiale. A ce moment là, les vilains avaient été battus dans le monde réel, le public s'intéressait moins aux aventures des justiciers et davantage à la construction d'un nouvel imaginaire hédoniste dans l'Amérique dorée des bande-dessinées.
 
L'histoire de Namor est donc ouvertement méta', en piochant dans cette période de comics plus légers et focalisés sur les rapports humains, la famille, la romance et les loisirs. Ce parallèle entre les tendances éditoriales des comics de 1946 insère toutefois une variable de réalité : pendant que les civils des Etats-Unis aspiraient à retrouver une vie normale et optimiste, les vétérans rentrés du front ramenaient avec eux les stigmates des horreurs de la guerre. Le héros est encore tourmenté par son passage dans les camps de la mort, et n'arrive pas encore à s'ajuster à cette paix, dans le cadre d'un numéro en forme de parabole sur le stress post-traumatique des soldats. Une réalité qui évoque le travail de Busiek sur la gravité des faits historiques transposés dans ces personnages de fiction, généralement imperméables aux grands drames de l'humanité.
 
Bien rythmé, bien construit, avec de jolies pages et de superbes couleurs qui insistent sur le décalage temporel, le numéro de Brennert et Ordway est une déformation intelligente de ces comics de romance subitement très optimistes de l'après guerre, qui ne laissaient que peu de place aux super-héros et à leur combat contre l'injustice. Namor y est présenté comme un humain incapable de se débarrasser des séquelles de la guerre, dans un paysage de carte postale qui reprend l'iconographie des comics Archie ou des peintures de Norman Rockwell, avec quelques hommages au Captain America et Bucky de l'entre-deux Timely/Atlas, pour évoquer une transition historique et donner du corps à un héros souvent incompris. Chouette promenade, avec des requins nazis de bonne qualité. 

Johnny la Rockstar


 
Moins dramatique, le numéro consacré à Johnny Storm fait le choix de voir le héros d'un peu plus loin. Le regard se pose plutôt sur son ex petite-amie Dorrie Evans, un autre vieux souvenir des premières aventures des Quatre Fantastiques. Johnny et Dorrie ont fini par se séparer, et ont fait leur vie d'adulte loin l'un de l'autre sans se perdre de vue. A l'occasion d'une réunion des anciens du lycée, une chaîne de télévision s'intéresse à la ville où les enfants Storm ont fait leurs jeunes années le temps d'un reportage. Deux journalistes passent dans la ville, interrogent quelques uns des anciens amis, voisins ou ennemis de Johnny Storm, dans une grande mise en scène de la célébrité et du narratif des success stories, là-encore très ancrée dans les pratiques de nos copains des Etats-Unis.
 
Le numéro prend un parti pris plus cynique au premier abord, en évoquant le voyeurisme de l'opinion pour ces vedettes et leurs bourgades originelles. Ceux qui les ont croisées, ceux qui les ont connues, ceux qui ont tenté de profiter de leur succès, un axe de scénario qui critique ouvertement la fascination des individus exceptionnels au profit du groupe et la capitalisation de la célébrité dans les médias. Les musées de pacotille, la jalousie des bougons qui ne comprennent pas pourquoi eux n'ont pas eu droit à la même trajectoire, et aussi les anciens super-méchants des premières aventures des Quatre Fantastiques tombés dans l'anonymat. Sur le plan méta', Evan Dorkin et Sarah Dyer évoquent aussi la simplicité de cette première période des comics Marvel où les super-méchants étaient de petits scientifiques de bas étage et où la vie civile de Johnny Storm était celle d'un adolescent normal à la Spider-Man
 
Là-encore, les scénaristes injectent une dose d'humanité franche à la Kurt Busiek dans les interstices de ces super-héros, le hors champs de leurs aventures cosmiques et de leurs bagarres pyrotechniques. Dorkin et Dyer rappellent que ces personnages ont aussi eu une enfance, des voisins, des professeurs, des petites-copines ou des petits-copains qui ont refait leur vie sans eux. Les dernières pages du numéro sont particulièrement réussies sur cet axe très humain, pour transcender le cynisme conventionnel et terminer sur une conclusion plus chaleureuse, plus optimiste, en enlevant le "super" du "héros. Pas de requin nazi, mais un gros toutou qui fait plaisir, nous ne sommes pas perdants. 

Cyclops le Marginal


 
Le numéro consacré au personnage de Cyclops est écrit par Jerry Edidin et illustré par Tom Reilly, le temps d'une histoire qui n'a pas grand chose à voir avec la proposition des Marvels. L'intrigue revient sur l'adolescence de Scott Summers, sa découverte des premiers super-héros et leur impact sur la construction de son identité, un ensemble bien fichu et pas inintéressant, mais tout de même assez conventionnel. Le scénario revient sur l'allégorie originelle des X-Men comme représentants des minorités et des persécutions : Cyclops se sent différent, à part du groupe, et va finir par comprendre qu'il n'est pas seul après avoir découvert l'existence d'autres gens comme lui. Une métaphore de la différence ou de la solitude adolescente qui évoquera différentes choses en fonction des sensibilités.
 
Chaleureusement accueilli au moment de sa sortie en VO, le numéro brosse dans le sens du poil les amateurs de Cyclops et de ces origin stories très humaines, très sensibles. Sur le papier, l'ensemble est effectivement assez bien écrit, bien illustré et réussi dans sa mise en abyme de la différence, mais n'a pas grand chose à voir avec le reste des Snapshots embarqués dans ce recueil : Edidin ne prend pas le point de vue d'un humain normal dans l'entourage du héros, ne se connecte pas à l'histoire des Etats-Unis en dehors de sa présentation de l'apparition des Quatre Fantastiques, pour se contenter d'une histoire somme toute banale, très proche des écrits de Chris Claremont sur le jeune homme au regard foudroyant. Pas de quoi gêner le plaisir de lecture, mais ce pan particulier du bouquin n'a pas forcément sa place dans le projet Marvels, et se serait mieux intégré à un recueil sur l'histoire de Scott Summers ou sur les X-Men en règle générale. Le dessin de Tom Reilly est très réussi. Il y a aussi une mante religieuse géante. 

Captain America le Babtou


 
Mark Russell et Ramon Pérez imitent de leur côté le travail de Kurt Busiek sur le numéro consacré au personnage de Captain America, avatar d'une nation blanche sourde aux problématiques sociales des quartiers noirs de New York. Là-encore, une mise en abyme des comics Marvel de cette période précise des Etats-Unis, hermétique à l'engagement politique frontal et représentée par une caste de héros en grande majorité caucasienne. Le scénario accompagne un jeune noir du Bronx après une émeute, qui va s'engager dans les rangs de l'A.I.M. faute de pouvoir obtenir une bourse d'études pour mettre ses talents en électronique au profit de la société.
 
Le personnage joue le parabole sur l'égalité des chances aux Etats-Unis, où la couleur de peau joue un rôle discriminant dans l'accès aux études ou à l'emploi pour ces minorités des quartiers pauvres, en abordant aussi le rôle du gouvernement et de la police dans la gestion des crises localisées à ces espaces défavorisés. Beaucoup moins drôle que les satires habituelles de Russell sur le champ des super-héros, le numéro évoque le travail de John Ridley IV sur The Other History of the DC Universe, en tirant des parallèles très évidents entre le manque de représentation des noirs dans la bande-dessinée populaire et l'utopie de ces univers censés protéger de l'injustice sans distinctions de couleurs.
 
Le scénariste revient sur le rôle social supposé des super-héros et leur utilité comme vecteurs d'espoir en tant qu'icônes de fiction. Un numéro bien construit et là-encore plutôt agréable à l'oeil, qui hérissera le poil de nos copains qui ne voient pas les couleurs, ou qui choisissent d'ignorer des décennies de racisme institutionnel aux Etats-Unis, cette fameuse invention des médias politiquement corrects pour obliger les blancs à se sentir coupables alors que hey, moi j'étais même pas là à l'époque et en plus ça va de mettre de la politique partout oui ? 
 
Attendu que ce numéro ne comprend pas de monstre géant, vous n'êtes de toutes façons pas obligés de le lire. 
 
Marvels Snapshots s'en sort plutôt très bien sur ce premier tome. L'esprit Marvels est majoritairement au rendez-vous, avec une bonne compréhension de ce qui faisait l'intérêt de la première série de Kurt Busiek et Alex Ross : l'humanité, le rapport au réel, aux grands faits historiques, et le comparatif de cette chronologie des Etats-Unis vis-à-vis de son équivalent fictionnel en bande-dessinée. Mentions spéciales à Namor et Captain America, les meilleurs élèves de la fratrie, et à l'éditorial pour avoir su mener ce projet sans tomber dans le piège de l'autocongratulation. La toile de fond est riche, intelligente, avec des axes pertinents et une perspective chaleureuse sur ces héros poussiéreux qui acceptent enfin de regarder en arrière. Le seul échec de l'initiative sera justement de compartimenter le projet à une simple anthologie, au lieu d'ouvrir la possibilité à des futures mini-séries susceptibles de creuser un peu plus loin ces diapositives de héros plus humains.

Corentin
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