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Visions d'Alan Moore : expliquer le géant à travers d'autres points de vue

Visions d'Alan Moore : expliquer le géant à travers d'autres points de vue

ReviewIndé
On a aimé• Plusieurs exercices de style intéressants
• Ryp, le Geof Darrow espagnol et Massafera, l'Alex Ross brésilien
• Préfaces, interviews, bonus
• Le manuel d'écriture de Moore, crucial
On a moins aimé• Pas exactement un recueil d'inédits
• La colorisation Avatar Press pourra diviser
Notre note

Toute discipline a son géant. Artiste, auteur ou musicien tutélaire connu pour avoir secoué les conceptions figées d'un domaine précis, on recherche, dans des fonds de tiroir ou des maquettes inachevées, les dernières traces de créations susceptibles d'ajouter à la mosaïque d'ensemble. On déterre les inédits de Robert E. Howard, John R.R. Tolkien, Howard Phillips Lovecraft, comme on exposerait les carnet de croquis d'un grand peintre, pour éviter qu'une parcelle de génie ne se perde dans le désordre de l'impublié, ou pour mieux brosser un portrait entier du géant sans omettre les propositions moins en vue. Depuis leur lancement, les éditions Komics Initiative obéissent à ce principe simple : composer l'héritage lointain d'artistes phares en ne se contentant pas de gratter la surface.
 
Pour Jack Kirby ou Warren Ellis, cette recherche des inédits sera passée par des points moins connus de leurs parcours respectifs, loin des super-héros ou des sagas de science-fiction autrement plus connues en indé'. Quant à Alan Moore, par-delà les Watchmen, V pour Vendetta ou La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, l'épaisse bibliographie du magicien de l'écriture appelait nécessairement à ce travail de recherche. Après avoir longtemps gravité autour des éditions Avatar Press, Komics Initiative pioche dans les dérivations locales du scénariste, considéré comme le plus grand des plus grands, pour former l'ouvrage Visions. Présenté comme un aggloméré d'oeuvres relativement mineures, ce-dernier vise moins à donner à manger aux amateurs de l'écriture de Moore qu'à interroger le statut du colosse, à travers ses collaborateurs, continuateurs ou traducteurs, comme pour chercher dans ses pages le souvenir de celui qui dynamitait, jadis, la bande-dessinée anglophone, avant de devenir le symbole d'une façon particulière de penser la discipline.

  

Visions compile plusieurs histoires d'Alan Moore publiées chez Avatar Press. Celles-ci ont la particularité de ne pas avoir été commandées ou pensées par le bonhomme pour le format comics : il s'agit en réalité de travaux d'adaptations (de nouvelles, de chansons, de pièces de théâtre) réalisés avec son accord et composés par d'autres paires de mains. Old Gangsters Never Die, Another Suburban Romance, Alan Moore's Writing for Comics et Light of Thy Countenance, des histoires ou morceaux de textes mis en images par Juan Jose Ryp, Jacen Burrows, Ken Meyer Jr. et Felipe Massafera, cerclés de préfaces, de témoignages et de repères biographiques pour étudier la contre-histoire de Moore en parallèle de sa carrière ascensionnelle dans la bande-dessinée de super-héros. L'ouvrage évoque le travail de Komics Initiative sur le doublé Apparat et Bad World de Warren Ellis - on mentionnera au passage les superbes illustrations de Laurent Lefeuvre, pour la couverture et les portraits - à ceci près que l'auteur était plus directement concerné par les comics ou nouvelles édités par la structure.

La plupart des essais compris dans cette édition sont intéressants, ou agréables à l'oeil. Truands de films noirs, société en ruine, imagerie de l'urbain cradot à la Métal Hurlant, prophétie ténébreuse sur le cheminement de la télévision dans les foyers des Etats-Unis vécue comme une parabole sur le monstre, un ensemble touffu de réflexions, parfois poétiques et parfois non, encore valables dans le monde présent et servis par des artistes talentueux. L'essai Alan Moore's Writing for Comics, enfin traduit en Français, accompagnera bien la sortie de Promethea chez Urban Comics pour comprendre comment l'auteur superpose ses différentes couches de récit, son rapport au langage et à l'imagination, sous une forme enfin accessible au lectorat anglophobe. Un manuel utile pour se repérer dans le labyrinthe que forme l'esprit du géant, qui donne des conseils aux aspirants scénaristes désireux de se lancer.

 

Quelque part entre anthologie et beau-livre, Visions a ceci de frustrant que les histoires ne sont effectivement pas le produit du cerveau compliqué d'Alan Moore lui-même. Le bouquin cherche désespérément le spectre de l'auteur en mettant bout à bout ces parutions parallèles, ces réinterprétations de son travail par d'autres, comme un effet de miroir déformant. Juan Jose Ryp illustre Moore le temps d'une promenade dans un urbanisme déliquescent inspiré de Moebius ou Darrow, Felipe Massafera reproduit les découpages de Dave Gibbons dans une analyse fataliste de la prise de pouvoir des écrans sur les sociétés. Une série de morceaux choisis qui correspond bien à l'esprit Komics Initiative, structure de passionnés qui s'acharnent à restituer le parcours des géants en allant chercher dans les recoins les plus obscurs de leurs bibliographies. 
 
L'exercice de style reste intéressant sur le papier : composer des intrigues et des structures narratives à partir de chansons, un art qui interprète sur la base de morceaux de texte pensés pour la scène et pas pour la bande-dessinée. En quelque sorte, ce que propose également Dark Horse avec les adaptations séquentielles des écrits en prose de Neil Gaiman : comme une envie de ramener aux comics ces auteurs polymorphes partis vers d'autres formes de narration. Pour boucler la boucle, ou imaginer à quoi auraient ressemblé ces histoires si les pères fondateurs avaient décidé de se cantonner au séquentiel. RypMassafera et Antony Johnston livrent de superbes performances, saluées par Moore, pour poser des cases et des bulles sur ces essais ou fictions condamnés jusque là aux textes noir sur blanc.


Komics Initiative s'empile aux différents artistes venus témoigner de leur passion pour Moore ou détailler leur processus de création. Plusieurs traducteurs donnent leurs propres versions des faits, dans le cadre d'un projet qui ouvre ses propres coulisses. Alain Delaplace et Alex Nikolavitch reviennent l'un et l'autre sur le travail d'adaptation, leur relation personnelle à l'auteur et la difficulté de passer derrière lui - ce qui est assez amusant, pour un livre qui amasse justement les oeuvres de toute une série de continuateurs qui durent, eux aussi, s'approprier Moore en tentant à leur façon d'interpréter son style. Le titre de Visions n'intervient pas par hasard : dans la même recherche du fantôme de l'écrivain, les uns et les autres livrent leur lecture du mythe, leur rapport personnel au style, au texte, et à l'héritage du grand bonhomme. Ils permettent aussi au passage d'en apprendre plus sur certains choix éditoriaux dans le cas d'importations de ce genre (le volume est généralement assez épais en préfaces, moins anonyme ou impersonnel que d'autres entreprises du même genre).
 
Pour éviter toute tromperie sur le marchandise, on rappelle toutefois que le bouquin n'est pas à proprement parler un authentique recueil d'inédits : pour les lecteurs qui se cantonneraient d'apprécier le style de Moore sans aller creuser plus loin, le risque serait d'être déçu devant la structure du projet. Visions se présente davantage comme un lointain écho d'Alan Moore à travers l'industrie, entre l'Espagne, l'Angleterre et la France, par une armée de contributeurs amoureux de son travail, de son génie et de sa personnalité, ou une vaste reconstitution de morceaux précis de sa carrière. Celle-ci a l'avantage de proposer des "adaptations" validées par le scénariste, ce qui est suffisamment rare en soi.



L'obsession des contemporains du comics pour Alan Moore se matérialise sous de plus en plus de formes, synonyme d'un marché de la BD enfin prêt à accueillir des projets plus diversifiés. Sur cette fin d'année, en parallèle de Promethea, Komics Initiative consacre un ouvrage ambitieux au magicien de l'écriture de comics, où la forme évoque le fond : "Visions d'Alan Moore", au sens premier, propose plusieurs regards de professionnels sur le parcours et le style du géant. Qu'il s'agisse d'artistes qui se seront chargés de mettre en images une prose figée, de traducteurs qui auront fait le choix d'adapter la musicalité de ses mots ou d'éditeur qui auront tenté de lui rendre hommage en allant piocher dans l'inhabituel, le bouquin cale un creux dans l'imagerie tutélaire d'un colosse en laissant la parole à ses collaborateurs, et en laissant son écriture s'expliquer d'elle-même plutôt que de se poser sur une nouvelle intrigue. Un projet intéressant, qui suit Bad World, pour comprendre la pensée polymorphe de ces patriarches du comics anglais.

Corentin
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