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Crossover #1 : le trauma' du terrorisme porte une cape et des collants

Crossover #1 : le trauma' du terrorisme porte une cape et des collants

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On a aimé• Analyse méta' sur le principe du crossover estival
• Des renvois à l'histoire des comics
• Une métaphore intéressante du traumatisme terroriste en occident
• Multiversity ?
On a moins aimé• "Vous en avez pas marre des reviews à 4 étoiles ?"
• Hey oh. Vous êtes lourds.
• Puis ça nous arrive de mettre moins.
• Des fois.
• 'Pas notre faute si les BDs sont bonnes.
Notre note

Même les meilleurs ont le droit de se tromper. Avant que la série Crossover de Donny Cates et Geoff Shaw n'ait pointé le bout de son museau séquentiel dans les catalogues de commande, le site BleedingCool annonçait un événement d'ampleur à l'horizon des éditions Image Comics, en imitant les fameuses rencontres estivales de justiciers, à la Crisis ou Secret Wars. On anticipait Spawn ou Savage Dragon main dans la main, imitant le duel de biscottos du film Predator, pour aller casser la gueule à quelque menace alien susceptible de rivaliser avec la pelletée d'événements éditoriaux assommants proposés à intervalles périodiques chez Marvel ou DC Comics.
 
En définitive, il n'en fut rien (ou pas pour le moment). La série Crossover n'emporte, dans les présupposés de ce genre de séries rassemblant tout un tas de héros pour un ample échange de super-mandales, que le nom. Les justiciers ne sont pas les héros du premier numéro, publié la semaine dernière chez Image Comics. Les super-méchants non plus. Crossover parle d'autre chose, d'un état de fait à la fois pertinent pour une bande-dessinée, et actuel pour un auteur du présent. Dans son style, Donny Cates part sur les traces de l'histoire de la censure dans les comics de super-héros, appliqués au traumatisme des populations occidentales après un assaut terroriste, sans avoir besoin d'impliquer Mark Grayson, Rick Grimes ou Al Simmons pour le moment. On commence ?

 

Crossover #1 pose le contexte d'une société où super-héros de comics seraient subitement apparus dans le réel. Un beau matin, dans le Colorado, une immense bulle de fiction apparaît au beau milieu d'une ville, rasant les habitations environnantes. Au sein de cette bulle, des super-héros en plein combat, une bataille de surhommes et de vilains monstrueux aux proportions cosmiques, en résumé, un combat digne d'un crossover estival imprimé chez Marvel ou DC. Les personnages en question seraient bel et bien les justiciers des revues imprimées depuis les tout débuts de l'histoire de la bande-dessinée des Etats-Unis, mais, cette fois, pas de contrôle éditorial pour amoindrir la brutalité de cet événement sur les populations civiles, pas de coup de baguette magique pour réduire autant que possible le nombre de victimes au sein des gens normaux. Les morts se comptent par milliers, ou, plus précisément, ne se comptent plus vraiment : le combat fait rage depuis des années sans possibilité d'estimer l'ampleur des dégâts.

Après qu'un des surhommes ait eu la bonne idée de cadenasser l'état entier du Colorado dans un immense champ de force, pour éviter que le conflit ne s'étende au reste du pays, les Etats-Unis pansent leurs plaies en s'adaptant aux règles de ce nouveau-normal. Personne ne sait ce qui se trame dans la bulle, supposément encore active. Personne ne sait comment les personnages de fiction se sont matérialisés dans le réel, personne ne sait comment les chasser. Et, comme d'habitude, l'inconscient local réagit durement à cette attaque, comparable au traumatisme du 11 septembre 2001 en Amérique, comme proportionnelle à d'autres attentats terroristes de grande ampleur en Europe. Les conservateurs imposent une persécution brusque aux amateurs de bande-dessinées, aux commerces des comic shops et aux artistes de cosplay, dans une vaste allégorie des répercutions du terrorisme sur les communautés entretenant un vague lien avec la cause des fanatiques. A l'instar des commerces halal accusés de séparatisme après un attentat djihadiste, les marchands de BD sont vus comme les collaborateurs indirects des super-héros meurtriers du Colorado, persécuté par une Amérique blanche encore traumatisée et en proie à une vive radicalisation des idées.

L'histoire va s'attacher à suivre l'aventure d'Ellie, cosplayeuse et libraire dans un comic shop persécutée par une foule en colère arborant des pancartes "Pay the Capes Away" - évocation directe du slogan "Pray the Gay Away" utilisé par les instances religieuses homophobes des Etats-Unis, prétextant d'utiliser la foi comme rempart à l'homosexualité. 



Crossover #1 s'ouvre sur deux citations : une du professeur Fredric Wertham, auteur de La Séduction des Innocents et instigateur des premières campagnes de censure contre la bande-dessinée américaine, et une autre de Todd McFarlane, éternel grand enfant et fondateur d'Image Comics et de son héros défiguré, Spawn. Donny Cates met en opposition ces deux grandes figures pour creuser son sujet : la bande-dessinée vécue comme un passion de jeunesse contre les fantômes du puritanisme américain, représentés par le slogan symbolique "God Hates Mask", pour faire écho à la lutte originelle des puritains et des censeurs contre les personnages de comics. 

Cette perspective est intéressante sur un certain point de vue : en revenant à cette origine, Donny Cates pose l'idée que les comics ont été attaqués une fois par une partie de la population américaine sur la base d'idéaux d'extrême droite. L'idée que les justiciers costumés seraient de nature à corrompre l'esprit des enfants, les inciter à l'homosexualité ou à la folie mentale, des arguments que l'on a pu entendre ces dernières années dans la bouche de grands leaders du parti Républicain contre la production d'Hollywood (accusée de propagande gauchiste, démocrate ou antifa). 

Le scénariste évoque le présent politique des Etats-Unis en faisant du comics l'avatar d'un terrorisme contemporain, pour permettre au débat posé par La Séduction des Innocents de redevenir pertinent dans le contexte actuel : au-delà d'une envie de défendre la bande-dessinée, Cates part sur une attaque frontale envers l'extrême-droite et ses adhérents sur un sujet qu'il connaît bien, ou mieux. Les super-héros, les aventures de justiciers masqués, attaquée dès ses débuts sur la base de principes philosophiques encore vivaces aujourd'hui, et portés jusqu'aux cimes du pouvoir. A l'instar de la série Rorschach de Tom King, Crossover se présente comme une charge politique où un auteur de BD interroge ses contemporains en se servant de ses propres outils de passionné, évoquant le travail de Quentin Tarantino sur Les 8 Salopards : artistes obnubilés par une discipline précise servant à exprimer une pensée sur l'Amérique politique du présent en piochant dans des codes de fiction.  


Certaines allégories évoquent directement le mandat du président Donald Trump : on évoque un "mur", avec une jeune fille issue d'une bande-dessinée qui aurait abandonné ses parents à la frontière, à l'instar des camps de migrants imposés entre les Etats-Unis et le Mexique, avec un passeur qui aiderait les personnages fictifs à quitter le Colorado. D'une manière plus générale, le présupposé de Crossover reste toutefois assez universel pour évoquer des situations proches de nous (y compris en France), en parlant de la radicalisation sous toutes ses formes. Et surtout, en parlant de comics, à grands renforts de symboles évidents sur l'héritage des surhommes en collants, en particulier dès lors qu'il s'agira de représenter le fameux passeur et son rôle dans toute l'histoire de la bande-dessinée des Etats-Unis.

L'exercice de style fonctionne sur une base de normalité, avec des scènes familières, aperçues au journal télévisé, ou sur la base de réflexions communes à toute personne ayant eu à subir un traumatisme national dans son pays. Ellie va au boulot, discute avec son collègue passionné Otto, un vieux grigou à la Stan Lee qui évoque immédiatement une sensation familière, comme si tout bon fan de comics avait déjà croisé ce type de bonhomme au comic shop ou en convention. Geoff Shaw s'amuse à placer des références dans les cases, dans la tradition de ces BDs qui parlent de BDs ou de ces titres qui évoluent dans l'atmosphère ludique des librairies spécialisées, un véritable sacerdoce d'hommage auto-contenu pour le genre des comics. Cela étant, si Batman ou Superman sont mentionnés nommément, la plupart de ces clins d'oeils se cantonnent à des personnages du catalogue Image Comics - les autres étant dessinés dans des versions plus parodiques. Compte tenu de la direction que paraît vouloir prendre la série, il conviendra de voir comment Cates se débrouillera pour invoquer des figures plus officielles de DC et Marvel (quitte à voir le titre mériter le nom de Crossover, rien n'est encore joué).


En résumé, un premier numéro qui frappe fort et pose un bon nombre d'idées par-delà le seul hommage méta-textuel à l'histoire des comics qui paraissait se profiler le long des premières pages. Crossover a tout d'un numéro bonus de Multiversity, avec un Donny Cates en plagiaire sympatoche de Grant Morrison dans l'éternel sujet d'étude du scénariste : les relations ténues entre réalité et fiction, la vie réelle d'un monde de fiction en deux dimensions passé le stade de la couverture. Le scénariste cite explicitement une réflexion survenue dans Animal Man au début du numéro, et s'autorise quelques commentaires méta' pas forcément utiles à la Ultra Comics ici ou là. Sans aller jusqu'à creuser la moindre réflexion historiographique sur les comics dispersés au fil de cette entrée en matière, Crossover s'annonce comme un projet séduisant, avec un message sur les comics comme métaphore du présent, et une question posée à toute l'évolution du super-héros depuis le père fondateur jusqu'à l'état des choses actuelles, avec de probables enseignements méta' à tirer là-encore.

Un ensemble dense et qui devra se compléter d'autres numéros à venir pour s'épanouir et laisser aux idées le temps de reposer. Agréable à l'oeil, évocateur sur plusieurs points, Crossover s'annonce comme l'énième filouterie d'un auteur de comics passionné placardant sur les fenêtres de son chez lui ses planches de BD de sa jeunesse pour, peut-être, comprendre un peu mieux le monde qui l'entoure. En partant chercher assez loin dans l'histoire éditoriale des super-héros, Cates attaque l'Amérique, première ennemie des justiciers masqués depuis La Séduction des Innocents et antagoniste original des valeurs de paix et de justice servant de sous-titre aux aventures de Superman. Les cibles potentielles sont nombreuses, la réflexion intéressante à développer, ne reste qu'à suivre le déroulement de la série pour voir si le scénariste a l'ambition d'un crossover qui fera date (et cette fois, pas seulement pour patienter en attendant le suivant).

Corentin
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