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Punisher Soviet : Kalash, kalash, kalash, kalash sur la mélodie

Punisher Soviet : Kalash, kalash, kalash, kalash sur la mélodie

ReviewPanini
On a aimé• Une maîtrise des dialogues et du rythme qui n'a plus rien à prouver
• Jacen Burrows en bonne forme
• Quelques notes politiques en plus du discours militariste habituel
• Le Punisher Max, toujours agréable à retrouver
On a moins aimé• Malgré tout, anecdotique dans l'oeuvre de Garth Ennis
• Comme un sentiment de déjà lu
• Quelques facilités
Notre note

De temps à autres, Garth Ennis revient saluer ses anciens collègues de Marvel. Le label MAX n'existe plus, l'ensemble éditorial a été remis à plat, la plupart de ses vieux amis sont en préretraite, mais le scénariste ne peut apparemment pas s'empêcher de passer pour donner quelques nouvelles de son fils d'adoption, Frank Castle. Un peu comme ces repas de familles saisonniers, où l'on retrouve, à table, ces parents éloignés qui forment la mosaïque biscornue des arbres généalogiques : en parallèle des événements produits à rythme industriel, des déclinaisons de franchises foireuses et de l'envie systématique de réinventer la roue, Marvel garde encore une assiette pour le Punisher MAX de Garth Ennis, pour peu que l'un et l'autre aient encore envier de jouer le jeu.
 
Quelques années après (l'excellent) Punisher : The Platoon, le scénariste irlandais retrouve Castle sans Goran Parlov, mais avec Jacen Burrows, un autre de ses plus fidèles compagnons de route, pour la mini-série Punisher Soviet. Comme il s'agit d'une oeuvre de Garth Ennis, il s'agira une fois de plus de parler de la guerre, toujours la guerre. Et, comme il s'agit d'une oeuvre de Garth Ennis, l'ensemble sera très violent, ouvertement je-m'en-foutiste vis-à-vis des standards de moralité contemporaine, sans concessions. Le long des six numéros embarqués dans cette édition Panini Comics, un ensemble compact, dense, bien écrit et agréable à parcourir, mais qui ronronnerait presque devant l'infatigable formule du Punisher MAX, éternelle déclinaison des obsessions du bonhomme.

 

A ceux qui prendraient le train en route, le label MAX apparaît il y a une petite vingtaine d'années dans le système interne des éditions Marvel, afin d'isoler les séries plus graphiques, réservées à un lectorat d'adultes. Les travaux édités sous cette enseigne profiteront de leur propre continuité séparée - ce qui sera surtout utile au Punisher, attendu que la plupart des autres ne dureront pas dans le temps. Dans ce monde particulier, seuls Frank Castle et Nick Fury existent bel et bien, l'environnement général se passe de super-héros, de super-méchants, d'extra-terrestres et de mutations génétiques : le Punisher MAX permet à Garth Ennis de se débarrasser de tout l'attirail de personnages qui ne l'intéressent pas et de bâtir un ensemble plus réaliste, ancré dans un monde où les référents historiques sont pareils à celui de la chronologie normale des Etats-Unis.
 
Punisher Soviet se situe quelque part au milieu de cette saga, imaginée comme une porte d'entrée perméable sans nécessité d'avoir lu grand chose au préalable. Frank Castle est sur les côtes d'une armée de vilains truands russes, et s'aperçoit vite qu'il a été pris de vitesse par un autre amateur d'exécutions arbitraires. Le héros finit par coincer son rival de mitrailleuse, et décide de l'aider à faire tomber un vilain maffieux russe en passe de se reconvertir dans l'économie "légale". Jacen Burrows se débrouille bien pour identifier les figures et les caractères de ces personnages surarmés, en leur donnant une voix, une identité marquée, dans de chouettes pages aux allures de série policière très américaine ou de roman de Tom Clancy dans lequel l'humour acide de Garth Ennis serait venu s'immiscer. 



La plupart des travaux du bonhomme ont un thème commun : la guerre. La guerre, ses armes, ses soldats, ses traumatismes et ses vétérans. Le personnage du "Punisher Soviet", Valery Stepanovich, ne déroge pas à la règle : vétéran de l'Armée Rouge, le bonhomme a servi dans les bataillons russes envoyés en Afghanistan pour soutenir le gouvernement communiste local contre les insurgés Moudjahidines. La série permet à Garth Ennis d'évoquer ce conflit particulier, souvent analysé comme l'équivalent soviétique de la Guerre du Vietnam pour les Etats-Unis - une invasion condamnée par la communauté internationale pour sanctionner une révolte populaire dans un pays autonome, que l'U.R.S.S. finira par perdre par méconnaissance du terrain. Quoi que les ramifications historiques de ces deux conflits varient énormément, Ennis se sert du comparatif pour poser l'idée que Valery serait un Frank Castle du bloc soviétique, avec un historique comparable et en ramenant du front une motivation identique pour le meurtre de truands.

Les deux gars deviennent assez vite de bons copains, dans la tradition des amitiés gaillardes de la bibliographie de Garth Ennis. Scénariste d'une virilité fantasmée ou désuète, l'auteur n'a jamais caché son amour des vieux héros taiseux de western, charmants quand ils sourient, menaçants quand ils font la gueule, et souvent épaulé par un vieux copains de régiment. Cette fascination pour les hommes d'honneur, justiciers sans reproche ou belles ordures avec du sang sur les mains tend à varier au fil des histoires, en fonction de la quantité de whisky ou de l'humour de sale gosse amateur de choses grasses que le bonhomme trouve dans son encrier. En l'occurrence, l'amitié de Castle et Valery est, dans l'ensemble, réussie : la présence du Russe s'impose comme une évidence dans l'aventure du Punisher, qui ne trouve rien à redire à la croisade de cet autre lui-même, un peu plus souriant.

Cela étant, à force d'éplucher la bibliographie du scénariste, les artifices apparaissent un peu plus évidents : plus détendu, plus sympathique et plus abordable, le personnage est fait pour être un compagnon de route agréable. Burrows lui fige un sourire en travers du visage dès l'instant de sa rencontre avec Castle, à la fois pour traduire la mélancolie douce et amère de cette vie de vétéran en quête de vengeance, et pour offrir un contre-point évident à l'éternelle façade métallique du Punisher - dans la bibliographie de Garth Ennis, les sourires ont toujours un sens à part entière, en cela qu'ils inscrivent les héros dans des rôles de personnage fonction très particuliers. Les grands enfants. Les fous. Les hommes cruels. En l'occurrence, Valery n'est pas une création inintéressante, mais dans le long feuilleton de la continuité MAX, en dehors de proposer une trajectoire prévisible, le bonhomme ne dit pas grand chose que l'on ne sache déjà : les soldats sont les premières victimes de la guerre selon Garth Ennis, et les planqués de l'état major envoient ces pauvres gars à la mort, encore une fois.



La série va cependant chercher un peu plus loin que l'habituelle leçon d'histoire martiale dispensée par cet éternel admirateur des porteurs de treillis. Les situations et environnement sont étonnamment variés pour une aventure basée sur une proposition aussi sommaire, le propos se trouve d'autres finalités que cette simple envie de secouer les fantômes de la Guerre Froide - en somme Garth Ennis ne se contente pas de poser l'idée que le Punisher se fait un copain pour aller flinguer des types à deux. 

L'auteur tape sur la question des femmes trophées arborées fièrement par les hommes de pouvoir (mafieux, milliardaires, ou politiciens), des liens secrets entre l'oligarchie russe et la corruption gouvernementale aux Etats-Unis, un thème très actuel, et de la privatisation des vétérans de guerre pour servir de gardes du corps à des parrains du crime une fois le service rendu. Les services secrets des Etats-Unis laissent faire Frank Castle dans sa lutte contre le crime, quitte à lui fournir des informations, une perspective intéressante sur le meurtre sanctionné par l'état faute de solution plus efficace. 

A noter, le personnage de Zinaida Sebrovna, épouse du méchant et seule invention intelligente de Punisher Soviet, qui évoque en sous-couche les Melania Trump du monde réel, carriéristes prisonnières de maris riches, stupides et violents, souvent plus futées que les figures masculines de leur entourage - celle-ci amène quelque chose de nouveau à la bibliographie de Garth Ennis, souvent avares en portraits féminins de ce genre. Sans placarder ces idées sur la moindre bulle de dialogue, livrées dans un sous-texte général qui tient plus d'une vision posée sur un contexte social que d'un propos mené de bout en bout.


L'histoire avance tambour battant, avec les giclées de sang habituelles, quelques bonnes blagues et un ensemble graphique séduisant. Punisher Soviet est un produit agréable pour les amateurs de cette lecture particulière de Frank Castle, sans concessions, et sans chercher de contrat moral acceptable. Paradoxalement, si le bouquin a ses deux ou trois moments d'ultra violence indispensables à toute bonne histoire de Garth Ennis, les tueries paraissent étonnamment plus raisonnées que dans le volume anormalement cruel de Matthew Rosenberg, achevé récemment. 

A l'inverse de la plupart des autres variations sur le personnage, le Punisher MAX a surtout pour lui de reposer sur des personnages forts, construits, avec un fonctionnement rationnel et une logique suivie de bout en bout. Il a souvent été dit qu'Ennis était le seul scénariste capable de donner une voix authentique à ce fou de Frank Castle, là où beaucoup d'autres cherchent généralement à contourner le problème, ou à surjouer le portrait du tueur sanguinaire. La différence ne se joue pas forcément sur cet angle précis de la violence : Ennis arrive surtout à se mettre à la place de son personnage, sans approuver ou condamner, en somme, en séparant l'homme du coupeur de tête.

De fait, il est forcément agréable de retrouver un auteur de talent sur un personnage qu'il est, finalement, le seul à comprendre si bien. Mais, le fait que Marvel ait décidé de se passer de Frank Castle en série régulière pour se retrancher derrière ce projet d'auteur qui repose plus sur une idée de promotion du patrimoine, de faire revenir ces grands auteurs grisonnants sur des figures qu'ils ont contribué à façonner, a sans doute quelque chose de précis à dire sur l'acceptation contemporaine du Punisher en tant que héros de fiction. En partie parce que le personnage est devenu l'un des avatars de l'extrême-droite aux Etats-Unis, un symbole pour la police en dépit de son statut de tueur et de hors-la-loi, et une mascotte pour les groupes appelant aux milices armées contre l'état.


Même en acceptant Punisher Soviet comme une histoire inscrite dans un genre avec des codes figés, on pourra trouver certains passages difficiles - pas nécessairement sur le plan de la violence, plutôt sur celui des idées, un monde d'hommes gouverné par les hommes, sans considération pour l'envie d'améliorer la société ou de lutter contre autre chose que le crime organisé par des mafieux très méchants. Partant de là, le bouquin n'est évidemment pas à conseiller à tout le monde, ni à mettre entre toutes les mains, ou en comprenant bien que Garth Ennis lui-même met des idées en mouvement plus que des idéaux, il est certain que cette série en particulier ne changera rien au statut philosophique du Punisher comme peluche doudou de la N.R.A. pour les lecteurs d'outre-Atlantique. En tant que simple objet de fiction, cependant, on apprécie ce retour ponctuel aux affaires, bien mené, agréable, même si le gars a décidé de ne pas changer grand chose à ce style devenu une signature à force de volumes empilés.

Punisher Soviet, c'est la dinde de Noël de maman. A force, on connaît le goût par coeur, on sait que ça rassasiera, on sait qu'il y aura beaucoup de jus (en un sens, on sait que ceux qui préfèrent le blanc seront servis les premiers). Routinier, répétitif, le scénariste livre une énième extension de son volume mythique qui ne surprendra personne, mais qui fait tout de même plaisir - pour la bonne raison qu'il n'est pas si évident de lui trouver le moindre défaut. Pour les nostalgiques de ces géniales séries de porte-flingues d'autrefois, pour ceux qui aiment un Frank Castle qui s'assume, pour ceux encore qui aiment s'entendre conter la guerre par un passionné capable de vous réciter la moindre bataille comme s'il l'avait faite, le titre fait le boulot en attendant Punisher : Get Fury, promesse plus ambitieuse d'étendre les séries MAX de Catle et Nick Fury attendue pour l'an prochain. Pour les autres, préférez peut-être The Platoon, plus perméable, quoi que moins généreuse.

- Vous pouvez commander Punisher : Soviet à ce lien

Corentin
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