A force de faire les poches au fantôme d'Alan Moore, DC Comics se retrouve obligé de sortir les fonds de tiroir. En décembre prochain, la compagnie publiera l'album DC Through the '80s: The End of Eras, un ensemble de réimpressions pensé pour rendre hommage à la mentalité des comics de super-héros pendant la lointaine décennie 1980. A ce moment précis de sa carrière, Alan Moore, pas encore fâché avec l'édition traditionnelle, s'attachait à démonter les justiciers costumés à coups de renversements et de projets de grande ampleur.
En apposant sa philosophie à l'ensemble du monde fictif de DC Comics, Moore avait alors proposé à l'entreprise un événement éditorial baptisé "Twilight of the Superheroes", inspiré en partie par le Dark Knight Returns de Frank Miller (quand l'un et l'autre s'appréciaient) et par Le Crépuscule des Dieux, formule consacrée désignant le Ragnarök dans la mythologie scandinave. Le projet visait à recréer le multivers après Crisis on Infinite Earths, entre autres choses.
Dans un futur gouverné par des dynasties de super-héros (descendants des justiciers contemporains et de leurs entourages), Twilight of the Superheroes aurait pu représenter la bataille finale des personnages costumés, avec les bons, les mauvais, les anciens et les nouveaux, ainsi que les quelques extra-terrestres occupant la Terre. Une apocalypse théologique comparable au Ragnarök pour sceller une fois pour toutes le sort des surhommes dans la droite lignée de Marvelman ou de Watchmen, dans le grand processus de déconstruction cher au scénariste, mais cette fois posé sur une plus grande échelle. Dans la diégèse du récit, Rip Hunter, le voyageur temporel, explique à John Constantine ce qui s'est passé durant cette fameuse dernière bataille.
Alan Moore finira par se brouiller avec DC Comics, et ne restera alors de cette idée qu'une proposition de scénario, à l'image de la maxi-série Minutemen un temps prévue par l'auteur et son camarade Dave Gibbons. Les idées de Twilight of the Superheroes se seront ensuite diluées (au hasard) dans la série Kingdom Come de Mark Waid et Alex Ross.
L'album DC Through the '80s: The End of Eras éditera pour la toute première fois les pages écrites par Alan Moore pour présenter le projet à DC (soit, vraisemblablement, un synopsis et une éventuelle première page de script dialoguée), en plus de quelques numéros d'Action Comics, Detective Comics, The Flash, Jonah Hex, House of Mystery, Wonder Woman, Sgt. Rock, et de postfaces diverses sur les années 1980 par Jack C. Harris, Elliot S. Maggin, J.M. DeMatteis et Andy Kubert.
Sur le papier, la perspective de pouvoir enfin découvrir le document original, pour imaginer ce à quoi l'événement aurait pu ressembler, est forcément séduisante - quoi qu'elle prenne à défaut les plus fervents amateurs du travail d'
Alan Moore, qui se retrouveront obligés d'acheter un volume à 49,99 dollars pour quelques pages de synopsis. L'éditeur aurait tout aussi bien pu
publier la proposition de Twilight of the Superheroes sur le web (comme l'a fait
Bleeding Cool). Après avoir écoeuré
Moore, tué leur poule aux oeufs d'or et profité pendant quarante ans des fruits de son travail, l'éditeur en est donc réduit à rançonner le lectorat pour fourguer les quelques dernières traces d'inédits encore accessibles aux archives. A se demander si
DC Comics ne finira pas par fouiller les poubelles de l'auteur, histoire d'avoir un peu de matière à assembler dans un autre album synthétique.
DC Through the 80's : The End of Eras est attendu pour 15 décembre 2020.